Le Japon l’accueille les bras ouverts (Presse)

L’article retranscrit

France Gall est au Japon pour deux semaines. Elle y donne 12 récitals (dont un devant 4000 étudiants) et triomphe des Beatles au hit-parade. A dix-huit ans, le “poids plume” de la chanson française se maintient régulièrement dans les dix premières places.

Sacré Charlemagne (deux millions d’exemplaires vendus) est un hymne officiel pour la jeunesse de plusieurs pays.

Sa réussite est celle d’une famille groupée autour de sa petite idole. France a trois maisons, le matériel le plus perfectionné et le caravaning le plus imposant de la jeune vague.

Yves Salgues vous explique ce succès et vous révèle comment fonctionne le « cirque Gall ».


« Tu dois être une copine formidable, et j’aimerais faire ma vie avec toi … », « Ah ! si je pouvais te rencontrer à la faveur des prochaines vacances., « Tiens, à titre documentaire, voici ma photo ! »

Ce genre de lettres que, naguère encore, les « fans » d’une Sylvie Vartan ou d’une Françoise Hardy adressaient à leur idole, on ne les écrit jamais à France Gall.

Par contre, décembre venu, les explorateurs de l’expédition polaire dessinent à son intention, depuis le lointain rivage antarctique, une carte de vœux (représentant un coucher de soleil sur la banquise) et lui avouent : « En cette veillée de Noël, nous pensons à toi. Nous écoutons tes couplets. Tu es notre vrai lien avec la France. Aux antipodes, dans la brûlante Afrique Noire, les soldats d’une garnison s’endorment – c’est rituel – sur deux des chansons (« Nounours » et « Bonne nuit les petits ») que France a enregistrées pour les enfants. Un soir – et- dans le seul but de tenter une expérience – le lieutenant-colonel a supprimé France Gall à ses hommes.  J’ai cru que la caserne allait exploser », raconte-t-il.

Quand, plus récemment, France a quitté l’Algérie – où « Sacré Charlemagne » est un hymne national adopté par tous les mouvements de jeunesse – un groupe d’étudiants musulmans lui a remis un somptueux étendard, avec ces mots brodés à la main et daté : « A toi, France Gall, qui symbolise la véritable adolescence. »

Poids plume de notre nouveau music-hall, France Gall (1m53 de taille pour 42 kg de poids et 18 ans et demi d’âge) n’est pas populaire à la façon des autres idoles. Ses chansons forment une sorte de chaine de solidarité, étendue à tous les pays de la planète. Elles sont, pour des centaines de milliers de jeunes, une manière d’espéranto, un signe de ralliement qui exclue la notion de frontière. Quant aux adultes ils éprouvent – d’instinct – le besoin de protéger cette petite fée remuante et menue, ce « bout de chou » aussi blond que frêle.

Des scouts marchent en chantant « Charlemagne ».

Pourtant, ce « bout de chou » est une « Grande ». Après trente mois d’une carrière commencée à seize ans (record de précocité), France – se maintient régulièrement dans les dix premières ventes françaises : avec une moyenne globale de 120 000 disques vendus sur un super 45 tours publié. Or, elle en est à son dixième microsillon de poche. Lancé par le puissant tremplin de l’Eurovision, « Poupée de cire, poupée de son » – son tube numéro 1 – dépasse à présent les 2 millions d’exemplaires. S’il conduit, en Allemagne, le peloton de tête des best-sellers étrangers, il coiffe – au Japon – les Beatles sur te poteau : avec un tirage de 350 000 unités.

Autre refrain-talisman, le fameux « Charlemagne », traduit en 16 langues, a envahi les cours de récréation américaines ; les scouts du Vermont et du Nebraska I’ entonnent pour se mettre en marche dimanches et jeudis.

Gamine archimillionnaire, France ne se contente pas de bien réciter ses leçons de chant, elle innove. Grâce à Serge Gainsbourg, son compositeur fétiche (à qui elle procure la dimension publique, faisant de lui une des fortunes de la S.A.C.E.M.), la petite Gall est la première, en France, à parler du Pop à une époque où le Pop’art bouscule les normes artistiques officielles.

« Baby Pop » est non seulement un candidat sérieux au hit-parade international, mais aussi une locomotive.

La réussite ne se limite pas au studio ; sans cesse, elle se confirme sur scène. Au Majestic, l’Olympia d’Alger : 2 800 places – France fait un triomphe ; dans des conditions d’autant plus difficiles que la première partie du spectacle comporte un programme exclusivement « oriental ». Avec elle, après l’entracte, on accueille l’Occident : l’Occident qui plait.

Il y a un miracle Gall, dit Gainsbourg. En 1966, les miracles s’expliquent. « La petite France » est aussi facile d’accès que le sont ses chansons. Les gens trouvent exactement devant eux le personnage qu’ils s’attendent à voir. On ne découvre pas « la môme Gall », on la connait d’avance. Hommes et femmes, papas et mamans ont envie de la serrer dans leurs bras. Car elle est le contraire d’une star orgueilleuse. Sa modestie physique est un atout considérable. Si Aznavour, mesurant 2 mètres de haut avait été capable de mettre K.O. Cassius Clay, pensez-vous qu’il aurait fait cette immense carrière mondiale ? Non. Eh bien, avec l’abattage d’une Bardot, « la petite France » n’eût duré que le temps d’un feu de paille … »

Chez les Gall, chacun a son appartement.

Elle est là, devant moi, « la petite France » : sur une terrasse de 400 m2, en plein ciel de Paris. Comme des sapins grandissent alentour, des plantes vertes poussent, des massifs d’hortensias fleurissent la balustrade… on se croirait dans un jardin suspendu, avec vue sur le pont de Billancourt. La famille Gall – une moderne tribu plutôt – se singularise dans tous les domaines de l’existence ; et, tout d’abord, l’habitation. A Boulogne, sur le toit d’un immeuble de seize étages (compris dans le « complexe Pouillon », l’architecte de toutes les audaces), les Gall résident dans une maison indépendante, où chaque membre de la tribu dispose personnellement de 250 mètres d’espace pour vivre à sa guise. « La liberté, c’est cela : une attribution d’espace vital non rationné », affirme « le patriarche, Robert Gall, parolier de « La Mamma » et de quinze autres best-sellers. France possède son living-room, sa chambre, sa salle de bain, son bureau de travail… installés selon ses goûts et vœux.

En ce lundi de Pentecôte (« J’ai quartier libre pour le week-end, déclare-t-elle), France parait particulièrement heureuse. La tribu Gall – la plus unie du show business français – est au complet pour ces jours de fête. Philippe et Patrice – les frères jumeaux et ainés : ils ont dix-huit mois de plus que France – grattent la guitare à l’ombre d’un fusain en pot. Militaire à Thionville, l’artilleur lourd Philippe Gall est arrivé en auto-stop. « J’ai eu de la chance, clame-t-il, j’ai fait 300 km d’une traite, sans changer de chauffeur.

Ici, chacun a de la chance. Patrice, qui – en signant « Le Temps de la Rentrée » pour sa sœur bien sûr – a fait ses débuts de compositeur, cherche un thème de mélodie.

– Tu le trouveras, ton thème ! lance l’idole, en souriant.

– Comme tu as trouvé ta voie ! réplique Philippe, avec une gentille ironie.

– Oh ! vous m’avez tellement aidée, vous, les éclaireurs ! poursuit France. Vous êtes de merveilleux défricheurs de savane.

– Silence ! hurle Patrice.

On interviewe la vedette. Tokyo pavoise pour la recevoir le 8 juin. Allez-y monsieur, annoncez la couleur.

YVES SALGUES : En quoi consiste, France Gall, cette tournée au Japon, où vous n’êtes jamais allée jusqu’ici. Est-elle si importante à vos yeux ?

FRANCE GALL : C’est la plus importante de ma carrière, parce que pour la première fois, je vais tenir la scène pendant plus de deux heures trente. Un one-woman show quoi ! Je ferai le spectacle toute seule en intercalant – entre deux chansons – une courte confidence : pour éviter la monotonie.

YVES SALGUES : Vous ne redoutez pas une réaction de lassitude de la part des Japonais qui ne comprennent pas notre langue ?

FRANCE GALL : Nous avons prévu cela. C’est pourquoi les vingt-quatre chansons de mon répertoire seront traduites sur le programme, gratuitement distribué. A la fin de chaque petit intermède, après un titre, j’annoncerai le suivant, ainsi que la page où figurent son texte français et sa traduction japonaise.

YVES SALGUES : Votre itinéraire nippon ?

FRANCE GALL : Mardi 7 juin, départ d’Orly, avec 500 kg de bagages et ma troupe : les musiciens, les régisseurs et papa, neuf personnes au total. Mercredi 8, arrivée à Tokyo ; le lendemain, conférence de presse ; le 10, récital au Sankei Hall, l’équivalent de notre salle Pleyel, mais en plus vaste ; le 11, nous reprenons l’avion pour Sendaï, la capitale du Japon du nord ; le 12, Osaka ; le 13, Nagoya, la métropole du sud, où je chanterai devant 4000 étudiants groupés au Centre Culturel ; le 14, deuxième gala à Osaka … Ce qu’il y a de surprenant, dans cette tournée en Extrême-Orient, c’est la dispersion géographique à laquelle nous serons soumis. Chaque jour, ou presque, nous traversons l’Empire du Soleil Levant de part en part.

YVES SALGUES : Quelle surprise réservez-vous à vos spectateurs ?

FRANCE GALL : Demain, mardi, je grave un disque en japonais : mon second dans cette langue, que je puis apprendre par cœur mais non parler couramment. Il aura « Le Prince Charmant », pour titre-étoile. On adore, là-bas, légendes, contes et féeries.

YVES SALGUES : Et cette bonne vieille Europe ?

FRANCE GALL : Je rentre à Paris le 23, pour repartir pour la Belgique. A Huy, près de Namur, je participe aux « Fêtes de la Bière et du Folklore » : avec Jacques Brel, Adamo, les Rolling Stones… Le 7 juillet, je suis à Colmar ; le 8, à Istres, où je chante en matinée. De Marseille, je m’envole pour Londres : 45 tours simple et émission de TV. Le 16, j’atterris à Tunis. Ma mémoire se perd dans ce calendrier trop rempli. Certaines semaines, je passe plus d’heures dans le ciel que sur terre. Tenez, sans voir si loin, je fais un gala, samedi 4 juin, à Saint-Hilaire-du-Harcouët près d’Avranches. A peine aurons-nous le temps de remballer les instruments, la sono … et d’atteindre Paris par la route qu’il nous faudra, dès 8 heures du matin, mettre le cap sur Marseille à bord d’une Caravelle : car je passe dimanche après-midi, au théâtre municipal de Fabregoulles, près d’Aix-en-Provence.

YVES SALGUES : Votre père, Robert Gall, assume votre organisation professionnelle ? Racontez-nous.

FRANCE GALL : J’ai quatre musiciens, tous des jeunes, dont le benjamin, Mimi, seize ans, remplace mon frère Philippe à la guitare. Nous n’avons de problème qu’avec l’orgue : un orgue Hammond à deux claviers, qui a les dimensions d’un orgue d’église, et que nous transportons dans un car aménagé tout exprès. Comme il n’est pas question de l’emmener au Japon, nous avons dû nous rabattre sur un instrument de format plus modeste : ce qui désespère Henri Garella, l’organiste, un garçon de vingt-deux ans, musicien en diable.

YVES SALGUES : Parlez-nous de votre caravaning. On le dit imposant. Depuis que vous avez obtenu votre permis, vous pilotez, France Gall, une Hillmann blanche à intérieur écarlate.

FRANCE GALL : Taisez-vous ! Par excès de précipitation – un démarrage trop spontané, cinq secondes avant le passage du feu rouge au feu vert – j’ai défoncé une superbe Lancia. L’homme, au volant, était furieux …

YVES SALGUES : Vous avez pourtant dans votre famille, le culte des voitures de sport ?

FRANCE GALL : Il y a quatre machines au garage. Papa, qui dirige tous mes déplacements, a une Jaguar couleur terre cuite, du type 3 litres 8S, rapide comme un météore. Moi, j’ai – outre mon Hillmann – un petit engin complémentaire (ou de secours, si vous préférez) pour assurer la liaison avec la secrétaire qui m’accompagne. Nous possédons, en plus, un car à couchettes : pour l’orchestre, le matériel et les costumes de scène. Enfin, un break ID, pour les régisseurs et la sonorisation.

YVES SALGUES : Votre port d’attache, votre piste d’envol est ici, à Boulogne ?

FRANCE GALL : Oui, mais pas pour longtemps. A partir du 1er juillet, ce sera l’ile de Noirmoutier. Nous y avons une vieille maison vendéenne, avec un toit en forme de demi-cercle et qui tombe en pente douce. La cuisine est dans le four à pain et ma chambre dans une petite tour exquise. Dans le jardin, nous disposons de deux caravanes, que je réserve à mes amies. C’est à côté de Lherbaudière, le port de pêche de l’ile. La plage est à un jet de fronde. -Nous avons un bateau à voile et moteur. Comme le club d’équitation est tout proche, l’on peut faire du cheval sur la grève, à marée basse. Cette maison, que nous baptiserons probablement « La Galère », est l’œuvre de mes parents, surtout de ma mère, Cécile Gall. Sainte-Cécile, vous le savez, est la patronne des musiciens.

YVES SALGUES : Vous avez la passion de la pierre ?

FRANCE GALL : Mon père l’a pour moi. Bientôt, nous pourrons vivre en Bourgogne une partie de l’année. Robert Gall fait retaper une magnifique ocrerie – située à 15 km de Chablis, dans l’Yonne – que nous avons héritée de mes arrière-grands-parents maternels, les Parquin, lesquels découvrirent l’ocre dans la région de la Puisaye, non loin d’Auxerre. La demeure n’a rien de seigneurial, elle est même primitive et rustre ; mais la salle commune mesure 160 m2, et, dans la cheminée de la cuisine – faite avec d’antiques auges à vache – douze personnes peuvent contenir debout. Nous mettrons partout des peaux de bêtes. Pas de fauteuil en cuir, évidemment ! La vue est splendide sur les anciennes carrières d’ocre, aujourd’hui recouvertes de chênes. Je suis amoureuse d’un buis deux fois séculaire.

YVES SALGUES : Jamais deux sans trois, affirme le proverbe. Existe-il, hors de Paris, une troisième maison de France ?

FRANCE GALL : Pour l’instant, non. Mais, ça viendra. Je m’étais éprise d’un relais de templiers dans la campagne d’Aix, avec 80 hectares de terres alentour. C’était beaucoup trop. Et puis, mon père craignait les incendies. Nous cherchons autre chose dans le coin. Nous avons pignon sur l’Atlantique, droit de cité en Bourgogne. Il ne nous manque plus qu’un domicile dans le bassin méditerranéen …

La force de France, c’est sa famille.

Soulignons-le : en Robert Gall, ce solide paysan passé à la poésie de chanson, la « petite France » possède un argentier qui sait convertir les cachets de sa fille en « valeurs éternelles ». La force de France, c’est sa famille, cette tribu dont tous les membres ne font qu’un. Dans cette tribu, chacun fait confiance à l’autre : L’erreur individuelle est quasiment impossible : à celui qui se tromperait, tous les autres crieraient gare ! Très sollicitée par les producteurs, France brûle du désir de faire ses débuts au cinéma cette année : n’a-t-elle pas pour meilleure amie Béatrice Rappeneau, sœur cadette de Jean-Pierre, le metteur en scène de « La Vie de Château » ?

« Non, se sont insurgés Robert, Philippe et Patrice Gall. Avant de mettre les pieds dans un studio, tu dois aller partout où tu es la première. Au Japon, en Amérique du Sud, au Canada ! La « petite France » a obéi, la petite France ne pouvait qu’obéir.

Magazine : JOURS DE FRANCE
Par Yves Salgues
Numéro du 11 juin 1966
Numéro : 604

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