« A Rio, pendant huit jours, la ville entière danse dans la rue. Quand les gens sont trop épuisés, ils s’allongent, dorment quelques heures, sur un banc, puis repartent en dansant au rythme implacable des sambas »
Notre DC8 s’est posé comme une plume, après quatorze heures de vol. Je découvre Rio sous 35°. Panique à l’aéroport. Nos bagages sont égarés : seul Jean-Marie (NDLR : Périer) avait conservé ses appareils avec lui. Il nous faut une heure pour récupérer nos petites valises. Les employés de l’aéroport me semblent ivres. En réalité, ils sont, depuis déjà quelques heures, « dans » la samba. C’est vrai, le carnaval est commencé. Et le carnaval, c’est, pour tout Brésilien, de tout âge et de toute condition, la folie collective pendant huit jours, Quelle drôle de ville que Rio !
Les immeubles les plus modernes, en verre et en acier, voisinent avec des masures sordides. Mais l’architecture est bien la dernière chose à laquelle je songe, tandis que notre taxi (piloté par un fou) nous conduit à plus de 100 km/h, jusqu’au Copacabana Palace. La foule est dense, chamarrée, colorée, exaltée, en pleine hystérie. C’est un spectacle fabuleux. Quelle chaleur ! Moi qui ai quitté Paris sous la grisaille ! Notre première réaction, en arrivant à l’hôtel, est de nous précipiter dans Ia piscine. Mais l’eau est encore plus chaude que l’air ! Seule la mer est rafraîchissante. Les gros rouleaux qui cinglent le corps nous redonnent un peu de tonus.
Le carnaval ? C’est une suite de bals qui se déroulent en différents endroits de la ville. Les plus importants sont le bal des Mille et Une Nuits (qui a lieu aujourd’hui), celui du Copacabana et le bal municipal. Nous voici dans la foule, parmi les costumes les plus délirants que j’aie jamais vus. Chaque Brésilien économise pendant toute l’année pour se confectionner un costume somptueux. Le bruit est assourdissant. Des centaines de haut-parleurs diffusent dans toutes les rues des sambas à puissance quasi insoutenable. Et voici le défilé des écoles de samba. Il durera trois jours, chaque école comptant trois mille danseurs, vêtus de costumes folkloriques aux couleurs les plus folles. Des enfants, des adultes, tout est mélangé, tout se confond dans la couleur et dans la musique des percussions. Les bals sont gratuits pour les femmes pendant tout le carnaval de Rio. Alors, les hommes se déguisent en femmes pour entrer à l’œil. Cela donne des séances de travestis étonnantes ! A l’intérieur des salles de bals, des milliers de personnes sont entassées, de tous âges, de toutes couleurs, de toutes conditions. Il est difficile de reconnaître des humains sous ces costumes extravagants : grosses dames habillées en papillons multicolores, enfants vêtus en pierrots, jeunes éphèbes fringants comme des princes orientaux, vieux messieurs affublés de paillettes, de cornes de cerf, de masques de sorciers …
L’imagination est comme la foule : piétinée. Je n’avais jamais pensé que le sens de la fête pouvait encore exister à ce point dans une partie du monde. J’en ai pour des mois à ressasser ces souvenirs fous. Pour venir au carnaval de Rio avec Jean-Marie, j’ai dû annuler plusieurs émissions de télévision à Paris. Mais je ne regrette rien ! Ou plutôt si … je regrette que les photos ne puissent être sonores. Car la samba, c’est beaucoup plus que la bossa-nova que nous connaissons. C’est le rythme à fleur de peau, c’est la vie même du carnaval qui demeure, je crois, le plus grand cirque du monde …
Magazine : Salut les copains
Merci à Fanbabou47
Avril 1970
Numéro : 92