L’amour lui a redonné le succès (Presse)

L’article retranscrit

Pas vraiment facile de parler de France Gall ! Bien sûr, on peut jouer sur du velours, se laisser glisser sur les pistes confortables du conformisme ambiant.

Dire, par exemple, que France Gall, jolie frimousse et dégaine cool, est, à 34 ans, la gamine à peine vieillie de “Sacré Charlemagne”.

France Gall Lamour lui a redonné le succès Presse Elle 1982 17
Pas vraiment facile de parler de France Gall ! Bien sûr, on peut jouer sur du velours, se laisser glisser sur les pistes confortables du conformisme ambiant.

Ou bien encore qu’elle est aujourd’hui l’épouse modèle d’un des “plus beaux couples de la décennie”. Mais allez savoir … L’ennui, c’est que France Gall, c’est tout ce qu’on veut sauf la caricature d’une rescapée de “Salut les Copains”. France Gall, c’est France Gall, quoi ! Une jeune femme “bien dans sa trentaine”, à la silhouette adolescente inchangée, qui a été l’enfant chérie des sixties avant de devenir, aujourd’hui, la vedette sautillante des années 1980.

Tout pour la musique depuis 17 ans. Elle est la seule, en effet, avec Eddy Mitchell, à coller encore à son temps, en sautant à califourchon sur deux décennies (il est vrai en se rattrapant parfois de justesse), sans jamais s’accrocher avec nostalgie au passé ; en balançant sur des rythmes neufs ; et en susurrant, autrement, des mots sucrés, tendres · et insensés, des mots d’aujourd’hui. Bref, elle n’a pas raté le train de l’Histoire. Les années 1980 lui vont bien. Aujourd’hui, en effet, France Gall distille ses rengaines partout, ses disques ne se sont jamais autant vendus. Et telle une star mondiale, elle va tenter pendant un mois de remplir l’immense Palais des Sports de Paris : “C’est le moment artistique le plus important de ma vie, explique-t-elle avec une sorte de fermeté, c’est la carte la plus importante de toute ma carrière. Oh j’ai horreur de ce mot vieux, car c’est quelque chose que je n’aurais pas fait il y a dix ans. Ou que je ne pourrai plus faire dans vingt ans”

Trop longtemps éloignée des scènes du music-hall, France Gall n’avait jamais, en effet, jusqu’à présent été considérée comme une artiste “complète”. Alors, pour être une vraie vedette, à la hauteur de ses scores au hit-parade, il fallait, lui a-t-on expliqué, qu’elle fasse un spectacle important. Sinon … Sinon le succès eût été sans fondement réel. Et France Gall, un colosse de vinyl aux pieds bien fragiles. Alors elle a accepté. Elle a tout accepté : ces cauchemars qui, ces temps-ci la rongent, de suivre un régime strict, de ne plus vraiment voir ses deux enfants, de quitter sa retraite dorée de Rueil et même de rencontrer ces quelques journalistes dont elle a si peur. D’ailleurs, quand on écoute France Gall distiller ses confidences et ses impressions avec spontanéité et prudence, on a l’impression que cette vie privée qu’elle sacrifie quelque peu, que cet environnement heureux qu’elle s’est constitué, ne sont qu’une condition du bonheur. Une condition nécessaire, mais pas suffisante. Epouse de Michel Berger, elle ne veut bien sûr pas être seulement Madame Berger. Mère de deux enfants, elle est aujourd’hui comblée, elle à qui les médecins avaient dit qu’elle n’aurait jamais d’enfants. “Cette idée me désespérait et c’est un bonheur auquel je n’arrive pas encore à croire, moi dont la vie a toujours tellement différé de celle des autres femmes.”

Alors, devant cette force tranquille et déroutante du show biz, au vu de tous ces sacrifices, on s’interroge. Et l’on se demande ce qui oblige cette femme “comblée” à prendre le risque important de ce spectacle démesuré ? Qu’est-ce qui fait courir cette mère de famille “très traditionnelle” (c’est elle qui le dit…) ? Qu’est-ce qui va la faire bondir sur la scène du Palais des Sports ?

La trajectoire de France Gall fournit la réponse. En 1964, une adolescente blondinette, sage et rigolote, avec un brin de voix, fille d’une famille de musiciens, chante des chansons évocatrices et ambiguës, des chansons pour tous publics, écrites sur mesure par le compère Gainsbourg. A l’époque, elle sort un disque tous les trois mois, ce sont tous des tubes. On se souvient de “Baby pop”, mais aussi, mais surtout des “Sucettes à l’anis” dont elle dit aujourd’hui, vaguement scandalisée : “A l’époque, je ne comprenais pas du tout le sens de cette chanson. Et d’ailleurs, à l’âge que j’avais, c’était tout à mon honneur. Vous savez, j’étais très sage et j’ai même vécu jusqu’à l’âge de 25 ans chez mes parents. Ce sont mes copains qui venaient chez eux …”. Tous les publics accourent alors vers France. Pour eux, elle est, tour à tour, une adolescente yéyé, une fillette un peu perverse, une jeune fille romantique et éperdue… France Gall est un personnage national et tout irait pour le mieux s’il n’y avait pas chez elle, aussi, ce curieux “syndrome Marilyn” : “Il s’est passé à l’époque ce qui se passe toujours avec les gens qui démarrent trop tôt : je suis passée à côté de tout. Je n’avais vraiment pas d’amoureux ou de passion, je ne voyais rien de la vraie vie …. Car, vous savez, quand on fait ce métier-là, les gens ne s’approchent pas, ils ont peur de vous … Il y a une grande solitude …”.

1968. L’époque refait les jeux. La jeunesse n’est pas accrochée à son Teppaz ou au Golf Drouot mais ailleurs … France Gall décide alors de se séparer de ses auteurs et compositeurs, de “voler de mes propres ailes car j’avais évolué. Les textes bébé ou cochons que l’on me proposait ne me correspondaient plus. J’avais évolué. Mais en changeant, je me suis magistralement cassé la gueule”. Ainsi, après son dernier tube, “Bébé requin”, en 1969, France Gall va, comme la plupart de ses copains des années 60, rejoindre les anthologies. Oubliée la petite France !

Les années 70 vont commencer sans elle. C’est pendant cette douloureuse traversée du désert qu’elle rencontre un chanteur connu. Ils s’aiment et vont vivre à la campagne. Cette fois, elle n’a plus du tout de succès mais elle a l’amour. Elle ne fait plus “peur”. L’ennui, c’est qu’il est déjà une très grosse vedette, alors, par la force des choses, France reste dans l’ombre. “Amoureuse, mais étouffée”, dit-elle à propos de cette époque dont elle n’aime guère parler. “Je me suis rendu compte alors que je ne pouvais pas mener une existence normale. Et j’avais terriblement peur de devenir une vieille ringarde !” Et puis, un jour, au sortir d’une dépression nerveuse, vers 1973, elle voit son attention attirée par un disque : “Attends-moi”, interprété par un garçon à la voix de velours, un certain Michel Berger qu’elle avait dû croiser au temps de “Salut les Copains”.

“Et alors, raconte-t-elle, j’ai voulu aller vers lui, vers cette mélodie. C’est la première fois de ma vie que j’avais envie d’aller vers quelqu’un. Je me suis dit : il faut que je le rencontre. Mais attention, c’était uniquement professionnel, car je n’étais pas disponible …”. Voilà donc le début de ce “conte de fées”, un “conte de fées” où d’ailleurs on démêle difficilement ce qui est amoureux de ce qui est professionnel. Pudique et malheureuse, France va tenter des “approches musicales” que Michel va repousser. Mais il cédera finalement à la douce obstination de France.

En 1974, au moment de l’élection de VGE, il lui fait sa “Déclaration” qu’elle ne cessera de chanter. Un immense succès immédiat. Cent mille disques vendus en un mois, plus encore qu’au sommet de sa gloire des sixties. Pour France, c’est un fracassant retour du pays de l’oubli. “Je me suis sentie renaitre, dit-elle alors que son visage s’illumine. Les chansons de Michel m’allaient tellement bien”.

En 1976, enfin libre, elle épouse son auteur-pygmalion. Pour la première fois de sa vie, les deux conditions de son bonheur sont réunies : l’amour et le succès. Mais ce couple-là, si idyllique soit-il, est aussi un couple d’artistes. Et quand on demande à France, au détour d’une question, qui des deux “marche” le mieux, elle répond en riant : · “Mais, c’est moi, bien sûr !”

Si on continue à la titiller, elle persiste: “Mais oui, voyons, j’ai la chance, moi, de pouvoir réunir tous les publics. Mais, au fond, ça n’a aucune importance car, vous savez, entre Michel et moi, il n’y a pas de rivalité ni de rapport de forces ».

Cette “Lolita” devenue femme aime avoir du succès parce que c’est pour elle recevoir de l’amour. “Tout pour la musique.»

Georges-Marc Benamou – Photos Yann Matton

Magazine : Elle
Date : 4 janvier 1982
Numéro : 1878

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