La quarantaine, c’est bouleversant ! (Presse)

C’est son premier disque depuis cinq ans. C’est aussi l’occasion de recueillir les confidences d’une star secrète.

Qui se penche sur les années yéyé pas toujours roses, sur les années Berger toujours belles. Ce qui n’empêche pas les remises en question …

Pourquoi avez-vous laissé passer cinq ans entre votre dernier album et celui-ci ?

Après Babacar j’ai eu envie de m’arrêter définitivement. J’étais très heureuse, mais je croyais être parvenue au bout de moi-même. Vous savez, j’ai commencé ce métier à 15 ans. J’ai été très gâtée, mais aussi très déstabilisée. Je voyageais dans le monde entier, et j’avais une image terrible à assumer : celle de l’adolescente un peu perverse qu’on m’avait fabriquée … On me poussait : Montre-toi ! Fais-toi belle ! Ne perds pas de temps.

Au début, vous n’avez pas été grisée par le succès ?

Non, moi ce que je voulais, c’était ne pas redoubler ma troisième ! J’avais déjà redoublé la sixième … Chanter était ce que je faisais de mieux. En deux mois, je suis passée du lycée aux studios où je côtoyais Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Daniel Filipacchi. C’était l’époque de “Salut les copains”. Mon père m’avait fait apprendre deux chansons à la guitare. Huit jours après, essai de voix, puis disque, et ça a marché tout de suite ! Puis Gainsbourg et l’Eurovision sont arrivés …

Vous vous retournez souvent sur cette période ?

En ce moment, oui, j’y suis obligée. Je me suis lancée dans une psychothérapie pour comprendre ce qui m’a fait mal, tout ce qui est à l’origine de mes peurs.

De quoi avez-vous peur ?

(Long silence pensif.) Ça va mieux maintenant, mais pendant longtemps je ne pouvais pas supporter qu’on me regarde.

Que redoutez-vous ?

Le mal. J’ai eu beaucoup d’amour, mais on m’a aussi beaucoup démolie.

Si vous n’aviez pas rencontré Michel Berger, vous auriez abandonné la chanson ?

C’est sûr. Les textes que l’on m’écrivait ne me plaisaient pas. La vie que je menais, non plus. Je voulais autre chose : fonder une famille, notamment. Quand j’ai entendu Michel à la radio, je me suis sentie faite pour ces mots, pour cette sensibilité. C’était ainsi que je devais chanter. Je le lui ai dit. Auparavant, on s’était rencontrés sans se voir.

Depuis presque vingt ans, vous représentez le couple idéal. Ensemble, vous avez fait deux enfants et beaucoup d’albums. Concevoir un nouvel album en duo, est-ce une épreuve où tout peut être remis en question ou une façon de resserrer les liens entre vous ?

Il y a eu de la douleur dans l’élaboration de ce disque. C’est la première fois que cela nous arrive. Voilà un an je me suis dit : « Ça y est, je sais ce que je dois chanter pour être exactement moi et apporter quelque chose de nouveau. » Je l’ai annoncé à Michel. Il s’est donc mis à composer pendant l’été. Jusque-là, je chantais tout ce qu’il me donnait sans éprouver le besoin de discuter. J’étais à l’aise sur ses chansons, c’était magique. Mais ces dernières années j’ai changé. Je voulais des textes plus violents, énergiques. Pas des chansons d’amour. C’est vrai que nous avons une vie très agréable. Nous sommes célèbres, nous évoluons dans un décor de rêve, mais ce n’est pas cela qui nous rend profondément heureux. Il y a des épreuves. Je ne voulais pas faire comme si elles n’existaient pas. Jusqu’à maintenant, nous avions toujours marché côte à côte, tout entrepris ensemble. Mais, moi, j’ai pris un nouveau chemin. La quarantaine, tout comme l’adolescence, est une période bouleversante.

Comment Michel a-t-il réagit ?

Douloureusement. Michel n’est pas un faiseur. Il ne peut pas écrire ce qu’on lui dit d’écrire, sur commande. Je lui ai vivement conseillé de partir seul à Los Angeles où il aurait aimé habiter. Ici, il écrit au milieu du salon. Il a un studio, tout près, mais il veut être là, au milieu de nous, et il ne faut pas que nous bougions pendant qu’il crée.

Aviez-vous changé sans qu’il s’en rende compte ?

Sans doute. Il ne pouvait pas voir à l’intérieur de moi et, moi, j’avais du mal à exprimer ce que je ressentais. J’ai tenté de lui expliquer que nos différences ne nous séparaient pas, bien au contraire. C’est peut-être grâce à elles que ça marchera jusqu’au bout, entre nous. La vie n’est pas toute rose. On est toujours si près de se perdre.

Vous êtes finalement arrivés à vous comprendre, puisque ce disque est là, superbe et harmonieux.

Oui, heureusement. Au retour, je ne lui ai rien demandé, je n’ai rien voulu écouter. Nous sommes entrés dans le studio d’enregistrement. Michel m’a dit : “Je suis sûr” Il a joué “Laissez passer les rêves”, et j’ai adoré.

Vous avez des larmes aux yeux en disant cela …

C’était un moment très intense. Michel n’a pas encore totalement accepté que je sois devenue différente de la femme qu’il a connue. D’autant que lui m’offre moins l’image d’une pérennité absolue. Mais j’ai vaincu quelques-uns de mes démons. J’ai plus confiance en l’avenir.

Comment y êtes-vous parvenue ?

Depuis quelques temps, je suis attirée par la solitude. J’ai besoin de me couper du monde. Ce n’est pas facile. Je ne veux pas laisser Michel et mes enfants trop souvent. Pauline a 13 ans et Raphaël 11 ans. Ils représentent ce qu’il y a de plus important. Mais je pars dès que c’est possible vers l’Afrique J’ai au Sénégal une maison sur une île quasiment déserte, où l’on n’accoste qu’en pirogue. Il n’y a pas l’électricité. J’y vais toujours seule, depuis deux ans. Maintenant que j’ai ce refuge au milieu de la mer, je me sens mieux.

Les Africains vous ont adoptée ?

Tout de suite, oui. Dans l’album, il y a une chanson qui s’appelle “La Négresse blonde”. C’est moi. J’ai découvert l’Afrique en accompagnant une mission humanitaire : Action école. Ensuite je n’ai pas cessé de nouer des liens là-bas.

Qu’est devenu Babacar, le petit Sénégalais que vous aviez pris en charge lors de votre premier voyage là-bas ?

Michel et moi avons donné à sa mère les moyens de subvenir à ses besoins en l’aidant à devenir couturière.

Dans une de vos chansons, il est question d’une petite fille cambodgienne blessée. Vous êtes allés à Phnom Penh avec Michel ?

Oui, car Nan, une Cambodgienne qui s’occupe de nos enfants depuis douze ans, n’avait pas vu ses parents depuis vingt-six ans. Nous avons réussi à les retrouver après des années de recherche, grâce à la Croix-Rouge et à un ami reporter-photographe. Nous sommes allés également voir l’équipe de Médecins du monde dans l’unique hôpital de la capitale. Là, il y avait une petite fille aux jambes criblées par des rafales de mitraillette. Toute sa famille avait été abattue par les Khmers rouges. Elle avait survécu. Mais je ne sais pas si elle pourra un jour remarcher.

Tout cet album est empreint d’événements dramatiques, mais chaque texte se termine par une note d’espoir. Vous l’avez voulu ainsi ?

Je suis contente que Michel les ait composés de cette façon. J’espère, moi aussi, pouvoir me réveiller un jour lavée de toute inquiétude et vivre, sereine, cette deuxième partie de ma vie.

Magazine : Elle
Par Patricia Gandin
Date : 22 juin 1992
Numéro : 2425

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