Elle parle de Michel pour la première fois (Presse)

L’article

Elle a longtemps hésité avant de participer à “Celui qui chante”, l’hommage collectif rendu à Michel Berger, le 25 janvier sur France 2, six mois après sa mort.

Devant l’enthousiasme de Bruel, Cabrel et d’autres, à se joindre à l’émission de Lionel Rotcage, elle s’est lancée, “admirable, digne et vraie”, pour évoquer le chanteur tant aimé, tant admiré et trop tôt parti, et pour chanter aussi deux chansons, “Superficiel et léger” et “Jamais partir”.

Michel avait une vie très occupée et très stressante pour moi. Lentement mais sûrement, il allait passer derrière la caméra. Le dernier album que nous avons fait ensemble marque un très grand changement. C’était le tout début d’autre chose et c’est un grand dommage pour moi de ne pas être le témoin de ce que serait devenue cette deuxième carrière, j’aurais voulu la voir s’épanouir.

France Gall a longtemps hésité avant de participer à “Celui qui chante”, l’hommage collectif rendu à son mari le 25 janvier sur France 2, six mois après sa mort. A Lionel Rotcage, un ami de longue date du couple, producteur, scénariste, réalisateur de cette première émission souvenir, elle n’a cessé de confier ses doutes : “Je ne pourrai pas, je vais fondre en larmes, peut-être qu’il ne faut pas“, et puis plus tard, la décision prise: “Est-ce que je ne suis pas trop présente ?“, “On ne me voit pas trop ?“.

France Gall ne veut pas être la gardienne du temple, la seule héritière d’un talent qui appartient à tous, elle n’est qu’une jeune femme balayée par le chagrin, « perdue, une personne admirable, digne et vraie » (selon Lionel Rotcage) qui a accepté de chanter deux chansons du dernier album “Double jeu” parce qu’elle seule pouvait les chanter. Dans les conditions absolues du direct, avec son orchestre. Le visage lisse, petite robe noire, elle n’a rien perdu de sa fraîcheur et sa voix garde toute sa vitalité quand, seule en scène, elle chante “Superficiel et léger” et “Jamais partir”.

Cette énergie, elle l’a usée au fil du tournage, choisissant, encourageant, suivant avec Lionel Rotcage les artistes que Michel aimait ou admirait, capables d’interpréter les chansons que Michel avait écrites pour lui, Alain Chamfort, Francis Cabre!, Vanessa Paradis, Patrick Bruel, Marc Lavoine, Salif Keita. Pour eux, il a fallu les réorchestrer, les adapter à leur personnalité, répéter, tourner. Un gros travail.

Certains ont tout de suite accepté, comme Vanessa Paradis qui a dit oui en une seconde, Patrick Bruel, qu’on ne voit pourtant jamais, actuellement, à la télévision : “Il avait choisi “Seras-tu là ?”, il me téléphonait la nuit pour retravailler les arrangements, et puis il a eu l’idée d’un quatuor à cordes, il a bossé comme un fou. C’est un fan de Michel, quand il a présenté son dernier album avec France au New Morning, un bœuf s’est improvisé et je me suis aperçu que Patrick connaissait les paroles de toutes les vieilles chansons par cœur.

Francis Cabre!, en tournée aux Antilles, a répété là-bas, d’où le rythme un peu biguine de “Quelques mots d’amour”. Alain Chamfort est revenu de Belgique où il travaillait tout spécialement pour cette émission, il avait mal à la gorge, France le soignait avec des thés au miel. Marc Lavoine, qui avait voulu répéter avec les musiciens de Michel, s’inquiétait de ne pas avoir trouvé le bon phrasé. France, présente encore, l’aidait, le rassurait. Dans cette symphonie de générosité amicale, un seul couac et une grande déception, l’absence de Johnny Hallyday. L’ami déclaré, le compagnon d’album, celui pour qui Michel avait composé une de ses plus belles mélodies, “Tennessee”, avait promis de venir. Après avoir mobilisé décor et studios à grands frais, s’être une première fois excusé, on l’a attendu en vain tout un samedi. Pas un mot, pas une explication. Michel avait écrit dans « Seras-tu là ? » : “… quand nos regrets viendront danser autour de nous …”.

Les chansons qu’on entend, une poignée choisie parmi les 403 écrites par Michel Berger, parlent d’amour comme toutes les autres. Michel si pudique, si soucieux de ne rien dévoiler, répétait calmement: “Ce que je suis, c’est ce que j’écris.”

“Il parle de tout ce qui le préoccupe, dit France Gall, l’écologie, le stress, les hommes, le calme auquel il aspirait tout en ne faisant rien pour le vivre. Chez lui, tout le travail se faisait dans la tête. Ça pouvait cheminer des années et puis tout sortait très vite. Une demi-heure à deux heures au maximum. Michel n’était pas laborieux, son écriture était un mélange d’exaltation et de souffrance. Un moment très court et très intense, avec la peur de ne pas trouver les mots pour traduire l’idée.

Ce que confirme Luc Plamondon, le parolier de “Starmania” : “Michel ne travaillait que sur l’inspiration, il était venu me voir en 1978 en me disant: « Tu sais bien décrire la violence du monde, j’ai une violence en moi que je voudrais exprimer dans la musique. Il a lu huit lignes que j’avais chez moi “Les uns contre les autres, au bout du compte on est seul au monde … “, ça lui a plu. Une demi-heure plus tard, il avait composé la mélodie.

Depuis trois ou quatre ans, il avait en lui un sentiment d’urgence terrible, il voulait qu’on se dépêche de faire des choses essentielles. Pour “La Légende de Jimmy”, il a écrit en trois minutes l’air de Jimmy. Sa voiture l’attendait dehors pour l’accompagner à l’aéroport. Même chose pour “J’aurais voulu être un artiste”, il composait la mélodie au fur et à mesure qu’il lisait les paroles. C’était un vrai magicien. »

Un magicien doué d’humour qui avait su créer l’illusion avec une géniale mystification, oubliée de tous. En 1970, trouvant qu’il avait du mal à percer, il écrit paroles, musique, arrangement, dessine la pochette du disque, qu’il balafre d’un “recorded (enregistré) in Los Angeles”, trouve un chanteur hollandais inconnu dans le métro, qu’il rebaptise Mike Hamburger et lance ce très américain « Jésus ». Ce faux intégral va devenir un tube vendu à deux millions d’exemplaires. Lionel Rotcage a retrouvé de surprenantes images d’Albert Raisner annonçant ce succès soi-disant venu d’outre Atlantique.

Quinze ans plus tard, Michel ne rit plus, la détresse du monde le bouleverse, sa musique devient plus violente et il veut aider “ceux à qui on a volé leur histoire, piétiné la mémoire, ceux qui sont loin de chez eux et gardent au fond d’eux quelque chose qui fait mal, qui fait mal”. Chanter et aller voir aussi sur le terrain : “Il faut qu’on fasse quelque chose, il y a une guerre à entreprendre, nous pouvons lutter.”

En 1985, avec Daniel Balavoine, Lionel Rotcage, Richard Berry, France, il lance “Action école”, 15 000 comités chargés de collecter, déjà, 3000 tonnes de céréales destinées à l’ouest du Soudan où deux millions et demi d’individus meurent de faim. Le couple Berger ne ménage pas sa peine. Pendant trois ans, amoureux de l’Afrique, ils se renseignent, aident, militent jusqu’en 88 où ils passent le relais à Médecins du monde. En juin dernier, ils étaient revenus du Cambodge avec la décision arrêtée de créer et de financer une association pour que les plus pauvres aient droit à un lit à l’hôpital. Elle devait s’appeler Now (Maintenant). “Si ce n’est pas maintenant, ce sera quand” répétait obstinément Michel. Lionel Rotcage a trouvé sur une cassette une interview inédite du chanteur compositeur datant de 1988.

Richard Berry, le complice, l’ami, feint d’être l’interviewer pour entendre Michel répondre : “Les jeunes arrivent dans un monde terrible, je me sens très, très mal.”

Et quand Lionel Rotcage demande à tous ceux qui ont travaillé, côtoyé, aimé Michel, ce qu’évoque sa disparition, le chanteur malien Salif Keita suggère : “Peut-être qu’il ne pouvait plus supporter tout ce qui se passe dans ce monde-là.”


FRANÇOIS MITTERRAND : J’AIMAIS SON IRONIE TENDRE

Le Président François Mitterrand a accepté à la demande de France Gall, qui lui a écrit personnellement, et de Lionel Rotcage, de parler dans l’émission de Michel Berger, l’homme et l’ami dont il connaissait un grand nombre de chansons et pour lequel il avait de l’affection. Il arrivait au Président de dîner chez les Berger, de même que le couple était invité à l’Elysée ou rue de Bièvres : “Michel Berger donnait un sentiment de fragilité en même temps que d’une grande force. J’aimais sa forme d’ironie tendre, son esprit subtil, aérien, toujours présent chez ce personnage attachant.”

Magazine : Télé 7 Jours
Par Danielle SOMMER
Date : 23 au 29 janvier 1993
Numéro : 1704

Les photos

À découvrir

France Gall Collection est sur YouTube

France Gall en vidéo

À découvrir