Je commence ma deuxième vie

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Elle vous regarde un peu insolemment, du haut de ses trois pommes, ajuste les bretelles de sa salopette, et balance son joli sourire gamin.

Le grand salon, qu’elle a décoré jusqu’au dernier bibelot, bavarde avant elle. Légèreté d’un oiseau blanc qui plane, simplicité rythmée des grosses toiles africaines, audace des chaises vertes, générosité des palmiers drus et larges.

Un paysage coloré, qui parle d’une femme vivante, ouverte, énergique, contradictoire. Après avoir enregistré un album consacré à Michel Berger, disparu il y a quatre ans, France Gall attaque un nouveau spectacle. Et l’Olympia pour la première fois. Un moment essentiel de sa vie, dit-elle.

TÉLÉSTAR: Vous habitez un appartement plein de fantaisie dans un quartier bourgeois. Qu’y a-t-il de vous dans ce contraste?

FRANCE GALL: Bourgeois, vraiment? Central, je dirais. C’était en tout cas notre centre à nous. Là où vit toute la famille de Michel. J’ai aimé l’endroit à cause des trois niveaux. Quand on a toujours vécu dans des maisons, comme moi, on ne supporte pas les appartements. Et j’ai tout décoré. Toute seule. Si un jour je ne chantais plus, je me lancerais là-dedans. J’ai un faible pour les tissus. Les grosses trames africaines peintes à la main avec un bout de bois trempé dans la peinture.J’aime les matières brutes, les cou¬leurs franches. Je déteste le conventionnel.

Quand vous vous dites “terrienne”, à quoi pensez-vous?

A mon enfance. A la propriété familiale que nous avions dans l’Yonne, aux vacances passées entre l’odeur des vaches, les gros bols début de siècle et le bruit des volets de bois. Je ne connais pas de plus beau son que le chant d’un oiseau, perdu dans le silence d’un champ ou d’une forêt. Si j’avais pu choisir ma vie, je me serais occupée d’un domaine, j’aurais eu des vignes, un vin à moi, une terre à défendre. Et j’aurais été propriétaire, hein, pas intendante! Pour diriger mon petit monde. Je sais bien que je suis autoritaire, mon père m’appelait déjà le «petit caporal» quand j’étais gamine.

Où sont vos racines?

Nulle part, et partout où j’habite. J’ai perdu mes repères. Avant, je croyais que quand on était sur terre, on était la même personne jusqu’à la fin de ses jours. Et surtout qu’on n’avait qu’une vie. Complètement faux. Moi, en tout cas, je commence déjà la deuxième. Tout change. Et ce n’est pas seulement à cause de la mort de Michel. Quand je l’ai rencontré, à 25 ans, je n’avais .., pas vraiment quitté ma famille. C’est lui qui m’a ouverte sur le monde, qui a provoqué le premier départ important. Et puis il y a eu la maison de N’Gor. Je voulais absolument avoir quelque chose sur le continent africain. Je me suis rendu compte qu’arriver à Dakar, ça me faisait autant d’effet qu’arriver autrefois en Bourgogne. Je ne me dis pas : «C’est ma terre», mais je sens que ça me parle, que ça me calme.

Que vous raconte l’Afrique de si apaisant?

Je ne suis pas comme on me voit. Je suis blonde, je suis Blanche, mais je me sens Noire à l’intérieur. La musique que je préfère, c’est le rythm and blues. Et sur une scène, je ne bouge pas comme tout le monde. Mon corps joue avec chaque instrument, il obéit tout entier à la musique. Pourquoi ai-je choisi, croyez-vous, quatre musiciens blacks américains incroyables (qui ont travaillé avec Prince, avec Stevie Wonder) pour m’accompagner sur scène ?

Étiez-vous satisfaite de « France », votre dernier album ?

J Je ne l’étais qu’à 85 % de ce que je vou­lais obtenir. Pour le spectacle, j’atteins les 100 %. Ce concert ne ressemble à rien d’autre. C’est dingue de dire ça, mais j’ai l’impres­sion de chanter pour la première fois.

Avez-vous déjà eu le pressentiment de cette évolution ?

Pas du tout. J’étais très contente de ce que m’écrivait Michel. Après sa mort, quand j’ai choisi de continuer à chanter, je ne savais pas quel était mon moteur. Je ne me savais même pas capable d’avoir une idée personnelle. Quand on vit au côté d’un homme aussi brillant, aussi généreux, aussi doué, aussi drôle (incroyablement drôle !), on ne peut que lui tirer sa révérence. C’est ce que j’ai fait, heureuse, consentante. En igno­rant complètement mes qualités de créa­trice. Maintenant, je sais que la meilleure des chansons ne peut pas marcher sans quelqu’un de solide derrière.

Dans une telle vague de changement, pourquoi ne chanter que du Berger ?

Je suis encore dans sa musique. C’est encore celle que j’aime le plus. Je me pose des tas de questions, mais mon premier pro­blème, c’est que je n’aime pas être dans la lumière. Faire de la scène à nouveau, ça veut dire aussi vivre une nouvelle

Cela mis à part, vous semblez aller mieux …

Quatre ans, c’était le temps qui devait s’écouler. Pour moi, en tout cas. li n’y a pas de règle quand on parle de deuil. J’ai perdu beaucoup de personnes que j’aimais ces dernières années. Mais la disparition d’une amie, fût-ce la meilleure, ne peut pas désta­biliser comme la perte d’un mari. Et mon mari était tout. Ma moitié, le père de mes enfants, mon producteur, mon auteur-com­positeur. Il y avait de quoi perdre l’équilibre. Un comble pour une Balance !

Comment gérez-vous cette absence face à Pauline, 18 ans, et Raphaël, 15 ans ?

Éduquer, je ne sais pas trop comment il faut s’y prendre. Alors éduquer toute seule … Je n’ai pas envie de les perturber par un déménagement, par exemple. Quand je les ai emmenés à Los Angeles, je pensais que c’était bien pour eux. Que c’était un endroit où ils pouvaient apprendre, évoluer, avancer … Mais je ne les ferais pas venir au fin fond de l’Afrique sous prétexte que moi, j’ai envie de désert. Je fais très attention. Je prends des conseils. J’écoute mon intuition. Je les écoute surtout. Et je les trouve drôle­ment bien dans leur tête. J’aimerais tant en faire des adultes heureux. Les aider à ne pas se tromper sur leurs envies. A ne pas passer à côté de leurs rêves.

S’ils vous regardent agir, ils compren­dront …

Oh là là! Ce sont les personnes les plus critiques, les plus sévères de mon entou­rage. Ils ont peur pour moi, alors ils ne me pardonnent rien. A la longue, c’est un peu fatigant, mais je sais qu’ils font ça par amour. Ça m’aide à avancer.

Sont-ils prêts à vous voir au côté d’un autre homme ?

Jusqu’à présent, je sentais que ce n’était pas possible. Mais maintenant ils ont grandi, ils comprendraient que j’aie à nou­veau une vie de femme. Un nouvel homme dans un foyer, c’est formidable. C’est de l’amour supplémentaire. Moi aussi, je me sens prête à vivre ça. Seulement ma vie est ainsi faite qu’il n’y a pas assez de place pour quelqu’un d’autre. Pas encore.

Propos recueillis par Françoise Mobihan

Magazine : Télé Star
Date : 16 au 22 novembre 1996
Numéro : 1050

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