Angoisse pour France Gall

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On ne la voit plus, on ne l’entend plus, on la sait frappée par la plus grande des douleurs. Alors, ceux qui l’aiment vivent dans l’angoisse

Murée depuis deux mois dans un chagrin toujours plus vif, plus fort.

Admirable France Gall, qui, en cet après-midi du 18 décembre dernier, au cimetière Montmartre, adressait à sa fille Pauline son ultime lettre d’amour. Admirable, oui, cette mère dont la voix ne tremblait pas sur le cercueil de son ange de 19 ans parti trop vite, trop mal, cette mère dont la dignité et le courage ce jour-là ont impressionné tous ceux qui en étaient les témoins …

« Et respire maintenant », a-telle dit, à l’adresse de Pauline, partie rejoindre dans “le grand désert blanc”, son père, disparu cinq ans auparavant.

Oui, il en fallait du courage à France, pour ne pas se laisser aller à montrer la douleur si profonde de ce deuxième deuil qui déchirait à nouveau sa vie.

Mais on a beau être forte, l’avoir prouvé comme l’a fait France, on n’en reste pas moins une femme, un être fragile, perméable au malheur. C’est pourquoi aujourd’hui, deux mois après le drame, tous ceux qui aiment la chanteuse sont inquiets. Depuis qu’elle a quitté le cimetière, soutenue par son fils Raphaël, on ne l’a pratiquement plus revue. La porte de son appartement parisien s’est refermée sur son chagrin, et le silence a désormais pris la plus grande place. Au point que certains ont pensé qu’elle était peut-être partie se réfugier ailleurs. Mais non, les volets de la maison de Honfleur sont restés clos, comme ceux de sa demeure de Ramatuelle, près de Saint-Tropez. Elle n’est pas non plus allée chercher l’oubli, comme elle l’avait fait après le décès de son mari, en 1992, dans sa maison au Sénégal.

En fait, France est bien à Paris. C’est ce que disent les gens du quartier, ajoutant pourtant : “On ne la voit plus, elle ne sort jamais …”

Bien sûr, comment ne pas comprendre ce désir de retrait, ce besoin des s’isoler pour tenter d’apprivoiser son chagrin ? Mais l’angoisse subsiste, car même pour quelqu’un d’aussi déterminé que France, est-il possible de s’habituer au pire?

Se battre, comme elle l’a fait depuis la petite enfance de sa fille, employer toute son énergie à lui donner une vie « normale», n’ont pu préparer France à cette issue. On a beau savoir, on n’arrive jamais à s’habituer à une telle injustice. Tant que Pauline était là, avec ses yeux remplis d’envies, celle de sortir quand même, malgré la maladie, avec ses amis, celle de rire, de s’amuser, la vie continuait, malgré tout. Ce qui poussait France à poursuivre sa carrière, à chanter, à enregistrer des disques, c’était aussi la volonté de montrer à Pauline que tout était possible. Mais à ce moment-là, les heures de veille, l’énergie que sa mère mettait à la soutenir, à la maintenir, à lutter avec elle, ne comptaient pas.

Quand on s’occupe avec passion d’un être cher, la fatigue est effacée par le combat. Mais quand la fin arrive, elle arrache tout. Soudain, le corps se relâche, les défenses tombent. On craque. C’est cela que redoutent les proches de France, qui savent hélas que toute la volonté du monde ne peut rien contre une peine qui est inscrite au plus profond de soi … Ils ont peur que France ne se laisse avaler par sa douleur, maintenant qu’elle est livrée à elle-même.

Ils doivent aussi savoir qu’ils ont des raisons d’espérer et de se rassurer. Si France n’est pas partie à l’autre bout du monde, si elle n’a pas tout quitté, c’est qu’elle a une raison, la plus importante pour elle dorénavant. Cette raison, c’est Raphaël, son fils. Du haut de ses 17 ans, ce jeune homme qui a déjà connu tant de drames, qui a été mûri trop vite par eux, a besoin d’elle. Il a été si magnifique, lui aussi, si présent pour sa sœur, allant jusqu’à suivre des cours par correspondance l’année dernière, afin d’être plus disponible pour Pauline. Lui aussi a lutté jusqu’au bout, refusant de s’incliner devant la fatalité, ne traitant jamais sa grande sœur comme une malade perdue. Ils se chamaillaient, s’amusaient ensemble, comme n’importe quels frère et sœur.

Sa disparition l’a soudain vidé. Il avait tant donné à Pauline, et voilà qu’il n’y avait plus rien. France l’a compris. Alors, mère-lionne, mue par une force incroyable, France a commencé son nouveau combat : faire tout ce qui est en son pouvoir pour que Raphaël parvienne à mener sa vie d’adolescent. Lui donner envie, envie de vivre, malgré tout. .. Envie de sortir, de rencontrer des gens, de reprendre ses cours au lycée, de s’intéresser aux autres et à lui.

Plus que tout aujourd’hui, c’est cette force de vie que France veut transmettre à son fils, afin qu’il ne se laisse pas dominer par le chagrin. Et Raphaël l’a bien senti. Il a accepté de se relancer dans le monde qui l’attend. Il a dit oui, parce qu’il sait que cette décision est vitale pour lui, mais aussi pour sa mère. Il sait que si elle le voit à nouveau intégré dans une vie normale, elle pourra revivre.

Le lien d’amour qui existe aujourd’hui entre cette mère et son fils est le plus précieux des trésors. Un trésor qui va del ‘un à l’autre, qui fait qu’ils s’aident à vivre.

France, femme stupéfiante aux ressources infinies, va évidemment continuer à se battre comme elle l’a toujours fait. Le temps, le courage aussi, et puis ce fils qui la soutient autant qu’elle le soutient, viendront sans doute l’aider à assumer son destin …

Nathalie BERTAUD

Magazine : France Dimanche
Date : 7 au 13 février 1998
Numéro : 2684

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