Je n’ai jamais été aussi heureuse

France Gall reçoit le magazine Gala dans son appartement parisien, où elle a vécu avec Michel Berger et écrit Résiste.

La chanteuse nous reçois dans son appartement parisien, là où elle a vécu avec Michel Berger et où elle a écrit Résiste, une comédie musicale, florilège des plus belles chansons de l’artiste. Une leçon de vie.

Sur l’écran géant du salon défilent des images de paysages sublimes. C’est une habitude, France Gall est branchée sur la chaîne myZen.tv. C’est le début de l’après-midi, elle prépare ses œufs brouillés. Son appartement parisien est un cocon, une parenthèse slow dans un monde speed où seul le chat, Addis, semble vivre à cent à l’heure. C’est là que depuis un an déjà, elle écrit Résiste, une comédie musicale uniquement composée des tubes de Michel Berger. Ce spectacle événement ne se jouera qu’en novembre 2015, mais pour elle le compte à rebours a déjà débuté. Ce retour sur scène ne l’effraie plus. Au contraire, il l’excite et l’épanouit. Voilà pourquoi.

GALA : Résiste, est-ce une manière de faire revivre Michel ?

FRANCE GALL: Forcément, faire vivre sa musique, c’est le faire vivre aussi. On pense à lui. L’oubli, c’est une seconde mort. Ce n’est vraiment pas son cas. C’est fou comme on y pense, comme il est incroyablement présent.

GALA : Depuis toutes ces années, vous n’avez jamais eu envie de chanter d’autres compositions que celles de votre mari ?

FRANCE GALL : J’ai reçu beaucoup de propositions … Mais moi, la musique de Michel, c’est la musique que j’aime le plus au monde.

GALA : Pourquoi ?

FRANCE GALL : Demandez à mon cœur, demandez à mon corps qui bouge à la simple écoute d’un de ses morceaux. Franchement, je ne pourrais pas trouver mieux. Bien sûr, j’aime beaucoup d’autres compositeurs, mais la musique de Michel est à moi maintenant. J’ai donc un devoir, mais aussi l’envie et le goût qu’elle vive, et c’est ce que je fais depuis une quinzaine d’années. Cette comédie musicale est une vraie création, c’est une fiction. Je passe par la case auteur, et c’est un bonheur. Je n’ai jamais été aussi heureuse, en fait.

GALA : Pourquoi êtes-vous si épanouie aujourd’hui ?

FRANCE GALL : Dans la vie, j’ai eu des bonheurs absolus, mais ce bonheur-là, à l’âge que j’ai, est particulier. Désormais, je n’ai plus à convaincre, je n’ai plus à construire. Mais mon âge me permet de laisser encore place au défi, au challenge. C’est une excitation formidable.

GALA : Vous verra-t-on dans ce spectacle ?

FRANCE GALL : ( Après une longue hésitation.) Oui !

GALA : Mais est-ce que vous allez chanter ?

FRANCE GALL : Non ! En revanche, je serai sur scène pour conserver ce lien avec le public, avec Michel. Je vais raconter une histoire. Je serai une narratrice filmée. Dans Résiste, je vais faire ce que j’ai refusé toute ma vie : l’actrice. Je ne jouerai pas le rôle de France Gall mais celui de Moon !

GALA : Vous a-t-on souvent proposé de faire du cinéma ?

FRANCE GALL : Oui. Chabrol, par exemple. Mais aussi Robert Hossein … A mes débuts, on m’avait même offert de tourner avec Johnny.

GALA : Et pourquoi aviez-vous refusé ?

FRANCE GALL : Je ne savais pas être quelqu’un d’autre.

GALA : Avez-vous conscience du halo de mystère qui vous entoure. Votre silence médiatique est-il une stratégie marketing?

FRANCE GALL : Je n’en ai absolument pas conscience. Je ne sais pas ce que je représente. Tout comme une jolie fille ne sait pas qu’elle est jolie. (Rires.)

GALA : Chantez-vous toujours à la maison ?

FRANCE GALL : Je chantonne comme tout le monde. Mais je ne fais pas de disques. Je n’enregistre pas. J’ai toujours dit que je ne chanterai plus à cinquante ans. Et moi, la vie a fait que je me suis arrêtée à quarante-neuf ans et demi. Les cinq années qui ont précédé mon retrait, j’ai chanté des centaines de fois dans quatre spectacles différents. J’ai été complètement noyée dans la scène, dans la musique. C’était un rythme assez illogique à mes yeux. Mais la vie m’a fait stopper. Ma fille était malade, ma fille a disparu, et donc plus rien n’avait de sens. Plus rien n’était comme avant. Il fallait être heureux pour chanter.

GALA : Aujourd’hui, vous l’êtes à nouveau. Pourriez-vous remonter sur scène ?

F.G.: Aujourd’hui, je n’ai plus la même énergie. Je n’ai pas peur que les gens ne viennent pas, j’ai peur de ce que je pourrais leur proposer. Cela me demanderait un travail infini de remettre la machine en route. Mais évidemment tout est possible. C’est bien pour ça que je ne dis pas que je ne chanterai plus.

GALA : Mais vous n’êtes pas obligée de chanter comme quand vous aviez vingt ou trente ans ?

FRANCE GALL : Si les gens viennent, c’est pour me retrouver. En vieillissant, il paraît qu’on perd la grâce, ce n’est pas moi qui l’ai dit mais Benoîte Groult.

GALA : Vous avez peur de vieillir ?

FRANCE GALL : Seuls les sots se lamentent de vieillir, donc je ne vais pas pleurer. (Rires.) J’ai tendance, depuis toujours, à ne pas vouloir fêter mon anniversaire, mais c’est idiot. Il faut faire honneur à la vie. C’est un sacré truc qu’on nous demande, de vieillir. C’est un truc de fou.

GALA : Nous sommes dans l’appartement où vous viviez avec Michel Berger. Est-ce sur ce piano, là dans le salon, qu’il composait?

FRANCE GALL : Non, le piano n’était pas là. Il travaillait beaucoup dans notre studio d’enregistrement tout près d’ici. Quand le piano était dans la chambre, il composait devant moi, parce que je n’étais pas quelqu’un qui le gênait. Il pouvait même m’oublier. Généralement, il venait me chercher quand il avait écrit un couplet, pour être sûr que ça me plaise.

GALA : Y a-t-il un titre que vous fredonnez davantage que les autres ?

FRANCE GALL : C’est une chanson inédite que Michel a chantée et que je trouve merveilleuse.

GALA : Mais pourquoi n’est-elle jamais sortie ?

FRANCE GALL : Parce que sur les vinyles, il n’y avait jamais assez de place. Moi je crois que cette chanson attendait Résiste. (Rires.) C’est un cadeau.

GALA : Vous avez choisi de planter le décor de cette comédie musicale dans une boîte de nuit. D’ailleurs, vous vivez la nuit. Pourquoi ?

FRANCE GALL : Je ne sais pas … Ce silence qui nous enveloppe, tout le monde dort, tout est possible, tout le monde est au repos.

GALA : Ça toujours été le cas ?

FRANCE GALL : Sauf quand les enfants étaient petits. Mais j’aime la nuit. Je décore l’appartement. Je lis beaucoup. Je joue aux cartes, je range, je regarde la télé. Autour de moi, j’ai des amis qui ont le même rythme. On sait que l’on peut s’appeler à 2 heures du matin.

GALA : Le spectacle s’appelle Résiste en référence à l’un de vos tubes. Vous sentez-vous l’âme d’une résistante?

FRANCE GALL : Ce n’est pas physiquement que j’ai résisté, c’est mentalement. Résister en fait, c’est essayer de comprendre, c’est analyser. Il sous-entend beaucoup de choses, ce mot.

GALA : Le renoncement, votre parcours en atteste, n’est-il pas également une vertu, une preuve de sagesse ?

FRANCE GALL : C’était un besoin fondamental à ce moment-là.

GALA : Outre la médiatisation, de quoi vous êtes-vous libérée ?

FRANCE GALL : En dehors de la musique et des médias, rien n’a changé. Je vis ma vie comme avant.

GALA : Vous avez incarné l’insolence de la jeunesse. Vous respirez aujourd’hui la sagesse. Quelle part d’insolence reste-t-il en vous?

FRANCE GALL : Je n’ai pas conservé mes minijupes. (Rires.) Mais j’ai toujours gardé mon envie d’oser. Je n’ai pas peur de l’inconnu et monter une comédie musicale en est la preuve.

GALA : Votre fils, Raphaël, travaille dans la musique. Il n’est pas du tout impliqué dans ce spectacle, pourquoi ?

FRANCE GALL : Il mène sa propre vie. Il a besoin de faire les choses par lui-même.

GALA : Il cherche à se démarquer de votre travail et de celui de son père ?

FRANCE GALL : Peut-être … Il a surtout cherché un métier qu’il aime. Il a toujours été passionné par le cinéma et il a une oreille musicale unique. Il est devenu un excellent music superviser de films. Il a fondé une radio sur le Web aussi.

GALA : Aimeriez-vous être grand-mère ?

FRANCE GALL : J’en serais très heureuse. J’espère simplement que mes petits-enfants m’appelleront Babou ou Babouchka. (Rires.)

GALA : Avec ces chansons de Michel que vous allez faire revivre sur scène, vous sentez-vous nostalgique ?

FRANCE GALL : Non, pas du tout. Avec ces chansons qui m’ont toujours accompagnée j’avance dans la vie.

GALA : Avez-vous travaillé sur vous avec des psychanalystes ?

FRANCE GALL : Non, essentiellement toute seule. La lecture m’a beaucoup aidée également. Et puis, j’avais des amis merveilleux. Je vois des gens spirituels.

GALA : La spiritualité, c’est quelque chose qui vous a beaucoup aidée ?

FRANCE GALL : Oh, oui …

GALA : Vous recherchiez quoi ?

FRANCE GALL : Je cherchais à comprendre pourquoi Michel et ma fille sont partis. Il m’a fallu toutes ces épreuves pour comprendre … Ce n’est pas avec le bonheur qu’on avance, ou alors c’est très rare. Il faut être secouée violemment pour percevoir ce type de choses, pour nous donner une chance de changer, d’évoluer, de grandir.

GALA : Avez-vous pardonné à Dieu pour ses offenses ?

FRANCE GALL : Il n’y a rien à pardonner. Le départ de Michel et de Pauline n’était pas contre moi. Ça arrive à tout le monde et c’est encore pire pour certains.

GALA : De manière générale, pardonnez-vous facilement ?

FRANCE GALL : C’est très important de savoir pardonner parce que ça libère.

GALA : Vous apparaissez comme un destin français. Vous-même, croyez-vous au destin ?

FRANCE GALL : Parfois, ça me trouble, mais je pense que c’est avec nos choix que nous construisons nos vies. C’est à cela que chacun des personnages de Résiste va être confronté, c’est le fond de notre histoire. Le choix.

GALA : Si la vie est une course d’endurance, la « ligne d’arrivée », vous voudriez la franchir dans quel état d’esprit ?

FRANCE GALL : Je ne sais pas pour la ligne d’arrivée ! (Rires.) Mais aujourd’hui, je me dis que j’ai toute la vie devant moi.

A partir du 4 novembre 2015 au Palais des Sports de Paris, puis en tournée dans toute la France.


Résiste, un feu d’artifice de tubes

Coécrite par France Gall et Bruck Dawit, cette comédie musicale reprend une vingtaine de chansons composées par Michel Berger. Que des bits joués en live dans leur orchestration originale (Débranche, Si maman si, la groupie du pianiste, Ella, Elle l’a, Il jouait du piano debout …).

L’histoire n’est pas du tout autobiographique. L’héroïne s’appelle Maggie, elle travaille dans la boîte de nuit de son père et rêve de prendre son envol. La mise en scène a été confiée à Ladislas Chollat (Molière 2014 du meilleur spectacle pour Le père de Florian Zeller) et la chorégraphie à Marion Molin (qui a dansé et collaboré avec Madonna ou dernièrement Stromae). Dans le casting, les téléspectateurs de The Voice reconnaîtront deux anciens talents (Gwendal Marimoutou et Elodie Martelet) mais aussi le comédien Jean-Michel Tinivelli qui jouera le père de Maggie. Inspiré du musical Hamma Hia construit autour des tubes d’Abba, Résiste devrait connaître le même triomphe.

Magazine : Gala
Propos recueillis par Matthias Gurtler
Photos Marianne Rosenstiehl
Stylisme : Zazou Gruss. Coiffure : Fred Kebbabi chez B-Agency. Maquillage : Carole Lasnier chez B-Agency Pull Issey Miyake, pantalon The Kooples
Date : 7 janvier 2015
Numéro : 1126

Merci à Elisabeth

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