France Gall : la vie après Michel (presse) Paris Match

« J’ai expliqué à mes enfants qu’il y aura de nouveau, pour eux comme pour moi, plein de de belles choses dans l’existence. J’ai envie d’être encore heureuse », confie France Gall.

Huit mois après la disparition de Michel Berger, elle décide, par fidélité, de revenir à la scène, à la vie.

Du 1er au 6 juin, elle chantera à Bercy, seule, là où Michel et elle devaient se produire ensemble. Elle interprétera ses plus belles chansons d’amour : « Michel exprimait mieux que moi les choses que je ressentais », dit-elle.

« Il me serait impossible de travailler avec quelqu’un d’autre que Michel, affirme-t-elle. C’était prévu à deux, j’y vais seule. Mais il aurait été vraiment trop triste d’arrêter comme cela. La musique, c’est la vie. Ça continue. » Longtemps, la mort brutale de Michel Berger l’a laissée désemparée, anéantie. Mais pour Pauline, sa fille de 13 ans, et Raphaël, son fils de 11 ans, France Gall a brisé l’écrasante chape de son chagrin. Et, si plus jamais son sourire ne sera tout à fait le même qu’avant, son visage s’éclaire désormais d’une nouvelle et émouvante joie de vivre. Comme naguère, elle fait elle-même la cuisine pour recevoir ses amis, lit, chine chez les brocanteurs, écoute de la musique. « Très vite, raconte-t-elle, j’ai remis les disques de Michel sur la platine. J’ai tout réécouté, depuis le début. »

Paris Match. Ainsi, vous allez donc vous produire sur la scène de Bercy. Seule. Vous n’avez pas peur ?

France Gall. Avant de rencontrer Michel, je détestais chanter en public, tout comme je détestais faire ce métier, d’ailleurs. Lorsqu’on débute à 16 ans, on n’est pas préparé à affronter cette vie d’adulte, et c’est si difficile. On se sent perdu. Il y avait un tel décalage entre l’image que l’on avait de moi et ce que j’étais réellement. Je ne pourrai jamais raconter les choses que j’ai vécues. Il fallait d’abord que je sois en accord avec moi-même pour comprendre et aimer mon métier. J’ai appris tout ça en vivant avec lui. Il faut comprendre que j’avais 26 ans quand je l’ai rencontré et que c’est le premier garçon qui m’a “donné”. Il a pensé à “moi”, à la façon de me rendre heureuse, tout en me redonnant confiance professionnellement alors que je songeais à m’arrêter. Et, un jour, en 1982, au Palais des sports, j’ai compris ce qu’était la scène. Un échange extraordinaire. Une communion unique. Et maintenant, surtout maintenant, j’ai incroyablement envie de vivre ça. Ce qui se passe, en vérité, quand on chante devant un public, je devrais dire avec le public, c’est tout simple : c’est de l’amour. Personne ne se connaît dans cette histoire-là et, pourtant, on s’aime. Alors moi, j’ai hâte d’y être. Il faut juste que je sois capable d’affronter cette émotion qui m’attend, je le sais.

P.M. Ne craignez-vous pas que, cette fois-ci, on aille voir “celle qui vient de perdre son mari” plutôt que la chanteuse ? L’être humain a parfois des instincts de voyeur …

F.G. Qui peut faire la part des choses ? Je ne veux pas penser à tout ça. J’essaie simplement, à travers les interviews ou les images de moi aujourd’hui, de dédramatiser. On n’a pas besoin de s’en rajouter. Je sais que je vais faire la musique que j’aime, en face de gens qui l’aiment aussi. Et même si certains viendront voir la veuve de Michel Berger, comme vous dites, j’espère qu’ils sortiront en ayant vu France Gall.

P.M. On pourrait tout de même imaginer qu’il y ait, pour vous, une certaine appréhension à cumuler désormais les fonctions. Jusqu’à présent, Michel écrivait, composait et mettait en scène tous vos spectacles. Il était le Pygmalion créateur et vous la muse admirative.

F.G. Je ne vous dirai qu’une chose : je m’épate moi-même. C’est vrai que, pendant toutes ces années, je me suis entièrement reposée artistiquement sur lui. Il savait trouver les mots, les images, les idées qui me correspondaient, bien mieux que je ne l’aurais fait moi-même. C’est tellement agréable de se laisser porter. Ce qu’il m’a donné, c’est à moi, et personne ne peut me le reprendre. Comme si tout ce temps passé à ses côtés avait servi à me préparer à vivre aujourd’hui. Avant, j’avais le sentiment de n’être jamais assez à la hauteur. Depuis cet été, c’est étrange, je n’ai plus peur de rien. Comme si, en partant, Michel m’avait légué sa force.

P.M. C’est donc pour cela que vous avez décidé de maintenir ces dates initialement prévues pour célébrer vos débuts sur scène avec Michel ?

F.G. Pas du tout. Je ne savais pas que je pouvais le faire seule. Tout de suite, j’ai été à la recherche d’un metteur en scène. Et, avec le temps, j’ai senti que ce spectacle-là, je devais le faire moi-même. Mais ce qui m’a décidée avant tout, c’est de ne pas enterrer ce disque que nous avions mis un an à faire ensemble. Je les aime, ces chansons. C’était impensable, pour moi, de ne pas les chanter sur scène. Et comme je ne voulais pas faire la démarche de téléphoner pour réserver une salle, alors j’ai gardé les dates de Bercy que nous avions retenues un an auparavant.

P.M. En mai de l’année dernière, devant quelques privilégiés, des amis essentiellement, vous aviez donné tous les deux, au New Morning, un aperçu de ce qu’auraient été vos concerts communs en 1993.

F.G. Bizarrement, pour la première fois, j’avais une certaine idée du spectacle que nous nous préparions à faire. Je voulais déjà quelque chose de simple et montrer l’extraordinaire complicité qu’il y avait entre Michel et moi quand on faisait notre musique. On se faisait beaucoup rire dans la vie, et on avait envie de continuer sur scène. Ce concert au New Morning reflétait cet esprit-là.

P.M. Il me semble que déjà, en 1980, vous aviez envisagé de vous produire ensemble. Un projet qui n’a jamais vu le jour …

F.G. C’était un été formidable. Michel chantait “La groupie du pianiste” et moi “Il jouait du piano debout”. D’ordinaire, on s’arrangeait pour alterner nos occupations professionnelles mais, là, tout marchait en même temps. On a été tenté, c’est vrai, de faire une tournée à deux, mais nous avons tout annulé lorsque j’ai appris que j’étais enceinte de mon fils Raphaël, ce que je souhaitais plus que tout.

P.M. On dit aussi qu’il existe dans vos tiroirs un album entier de chansons en duo inédites.

F.G. Exact ! Avant d’écrire “Starmania”, avec Luc Plamondon, Michel avait imaginé l’histoire d’une adolescente kidnappée, puis devenue terroriste aux côtés de ses geôliers, s’inspirant d’un fait divers qui avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque, l’histoire de Patricia Hearst. Il avait composé des chansons autour de ce thème que nous sommes allés enregistrer à Los Angeles. Mais le disque n’a jamais été commercialisé. Il a, disons, servi de base à l’élaboration de “Starmania”.

P.M. Peut-on espérer l’entendre un jour ?

F.G. S’il n’est pas sorti en son temps (1974), c’est que Michel n’en était pas satisfait. Je suis totalement contre le fait d’exhumer des inédits.

P.M. A Bercy, en revanche, vous allez inclure dans votre répertoire des morceaux qu’il interprétait sur ses propres disques. Doit-on prendre cela pour un hommage ?

F.G. Prenez cela comme vous voudrez. Je ne fais pas ce spectacle pour rendre un hommage à Michel, il aurait détesté l’idée. Je fais ce que je sens, et le choix des chansons s’est imposé très vite. Initialement, il y aurait eu des titres à lui, des titres à moi, et des titres à nous (album “Double jeu”, le dernier). Eh bien ! c’est ce que je vais faire, et c’est tout naturel pour moi. En revanche, j’ai enlevé toutes les chansons qui prendraient une autre signification aujourd’hui, comme “Plus haut” (“celui que j’aime vit dans un monde plus haut”).

P.M. Vous me faites penser à un petit soldat qui fait bravement face à l’adversité. Vous êtes assurée et forte. On vous imaginait timide et fragile.

F.G. La force et la fragilité sont indissociables de l’artiste. Je n’analyse pas mon comportement, je n’ai jamais su me voir. Mais je ressens profondément ces deux traits de caractère en moi. Je ne suis sûre de rien, mais j’y vais.

P.M. Vos enfants, que vous avez toujours tenus éloignés de votre vie publique, ont donné, lors des obsèques de leur père, une grande leçon aux adultes. Malgré leur jeune âge (11 et 13 ans), on a senti que Raphaël et Pauline vous protégeaient autant que vous les préserviez. Aujourd’hui, les faites-vous participer à vos activités professionnelles ?

F.G. Ils n’avaient pas un papa comme tout le monde, et le mur de caméras et d’appareils photo au cimetière les a fait basculer du jour au lendemain dans un univers public. On n’y peut rien, même si on ne le désire pas. Et maintenant, c’est trop tard. Au début, ils ne voulaient pas que je fasse ce spectacle, car ils avaient peur pour moi. Ils pensaient que je n’y arriverais pas toute seule. J’ai voulu les sécuriser en les emmenant aux répétitions avec les musiciens, en leur faisant partager beaucoup plus de moments professionnels et en les impliquant davantage. Ils ont d’ailleurs une vision très juste de ce qu’il faut faire ou pas. J’ai gagné leur confiance, je crois. De toute façon, je n’aurais pas pu faire tout ça sans eux.

P.M. Faites-vous vôtre la phrase d’Yves Montand qui disait, quelque temps après la disparition de Simone Signoret : “On ne refait pas sa vie, on continue seulement » ?

F.G. Je reprendrais plutôt une phrase que disait Michel : “Évidemment. On rit encore comme des enfants, mais pas comme avant.”

Interview : Véronick Dokan
Photos de Marianne Rosenstiehl
Magazine : Paris Match
Date : 15 avril 1993
Numéro : 2290

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