Michel Berger, 10 ans déjà (Presse)

L’article retranscrit

Imprévue et brutale, la mort a arraché Michel Berger à ses fans le 2 août 1992.

Foudroyé par une crise cardiaque après une partie de tennis, l’auteur de « Starmania » s’est éteint à 44 ans dans sa villa de Ramatuelle.

Michel avait la fragilité qui, souvent, accompagne la grâce des surdoués. Depuis quelques années, comme s’il savait que le temps lui était compté, ce timide multipliait les créations. Il venait d’enregistrer avec France Gall l’album « Double jeu », qui allait être un chant d’adieu. Ils s’étaient offert à la même époque une escapade au Sénégal, où ils se faisaient construire une maison. Il a suffi d’un excès de stress et de surmenage pour briser, soudain, ces lumineux rêves d’avenir.

La compilation de ses plus belles chansons fait un malheur. Sa musique est plus vivante que jamais. Toutes les générations se reconnaissent dans la tendresse de ses mélodies.

Pour toute une génération, il a symbolisé le romantisme de la jeunesse. Dix ans après sa mort, un coffret de trois CD., « Pour me comprendre », réunit 57 de ses chansons et un inédit, « La fille au sax », enregistré en 1981.

Avec France, sa muse, ils ont vécu le meilleur avant d’affronter le pire.

En mars 1978, France Gall, enceinte de Pauline, photographie Michel Berger, au piano. Il compose le grand opéra rock « Starmania » sur lequel il travaille avec Luc Plamondon depuis trois ans.

Sa première chanson pour elle, « La déclaration », peut facilement passer pour un aveu. Entre France et Michel, le « coup de foudre » fut d’abord musical. « Il disait des choses que je ressentais moi-même », se souvient France. Alors qu’elle songe à arrêter sa carrière, elle lui demande d’écrire pour elle. D’abord, il refuse, mais ne résiste pas longtemps à sa fascination pour les chanteuses. « Que l’amour est bizarre », dira le titre de l’album que Michel publie un an après leur rencontre. Désormais, ils partagent l’amour de la musique et celui de la vie. Ils chantent, se marient. France découvre qu’elle est enceinte à la veille de se produire au Théâtre des Champs-Élysées. Michel a donné un nouvel éclat à sa carrière. Pauline naît quelques mois avant le triomphe de son papa dans « Starmania ». Jeunes parents comblés, ils apprennent que le bonheur est fragile : la vie de Pauline est menacée par une maladie génétique.

Loin de la scène, il était d’abord le groupie de Pauline et Raphaël. La naissance de Pauline, en 1978, lui donne le goût de la vie de famille. Deux ans et demi plus tard, un petit frère, Raphaël, élargit le clan.

Emportée par la mucoviscidose, Pauline décédera en décembre 1997.

Ce sentimental aux allures d’éternel adolescent aimait passionnément la vie. Michel avait été très marqué par la disparition de Bernard, son frère, le 26 janvier 1982. La mort de son père, le Professeur Jean Hamburger, célèbre néphrologue, avait été dix ans plus tard, le 1er février 1992, une autre épreuve. Il regrettait de ne pas avoir été plus proche de lui et le citait volontiers : « Créer, c’est affirmer qu’on existe, c’est anéantir le néant. » Michel reportait toute sa tendresse sur les siens. L’important, à ses yeux, était le bien-être de ses enfants. Près d’eux, il appréciait sans réserve un bonheur dont il connaissait la précarité. « Moi, disait-il, je me fous de ce qu’il se passe après la mort ».

Les grandes stars lui faisaient confiance pour mettre leurs sentiments en musique. Johnny lui avait demandé une chanson. En 1985, Michel Berger lui compose un album, « Rock’n’roll attitude ». « Quelque chose de Tennessee », en hommage à l’écrivain Tennessee Williams, en restera la chanson phare.

Il aimait les Beatles et Gershwin … En pleine époque yé-yé, il rêvait déjà de marier le rock’n’roll avec le piano classique, et c’est pourquoi il écrivit deux opéras, « Starmania »et « La légende de Jimmy »

Michel Berger a fait de la chanson en véritable artiste. Il créait pour ses amis, pour ses amours. De France à Françoise Hardy, de Daniel Balavoine à Johnny. « On a tous quelque chose en nous de Tennessee/ Cette volonté de prolonger la nuit/ Ce désir fou de vivre une autre vie. » Ces paroles, devenues un classique du répertoire de Johnny, avaient donné au rocker ses nouveaux habits de héros romantique. Mais Michel parlait aussi de lui par la voix d’un autre. Il disait sa soif d’idéal, l’insatisfaction chronique qui alimentait son désir de créer. « Mon grand regret, confiait-il, est de n’avoir qu’une vie. Ce n’est pas assez pour tout ce que j’ai à faire : composer, écrire, chanter, aimer …

Son ami d’enfance, qui prépare un album-souvenir aux éditions du Cherche-Midi, rappelle que Michel disait : « On n’écrit vraiment que pour quelqu’un qu’on aime. » Et il précisait : « Écoutez avec attentions mes chansons, vous saurez tout ».

Par Jean Brousse

C’était en août 2002. Sur mes routes de Corrèze, Michel venait me voir. J’écoute la compilation qui vient de sortir. A la télévision, on reprend le film « Tout feu, tout flamme », de Jean-Paul Rappeneau, musique de Michel Berger. A Ia radio, on entend tous les jours ses chansons, interprétées par lui et par d’autres … Ceux qu’il aime et qu’il a choisis. Il nous manque, lui, bien sûr. Mais sa musique est là, vivante !

Année 1950, boulevard de Courcelles. Michel découvre la musique – classique – de leçon en leçon, sur les deux pianos du grand salon, auprès de sa maman, Annette Haas Hamburger, concertiste. Au lycée Carnot, il noue un solide réseau d’amitiés qui survivra à sa carrière. Aux mathématiques et aux versions latines il préfère la littérature, puis la philo. Et la musique bien sûr : clarinette, piano. Nous aurons eu la meilleure classe de musique de tout le lycée. Mais ce n’était qu’une heure par semaine ! Dommage. Et les séances de fin d’année ! Tant de rêves se bousculent dans sa tête, auxquels la vie de lycéen ne répond pas. A 13 ans, Michel découvre Ray Charles. Il abandonne Chopin. Avec trois copains, il prépare quelques chansons. Pathé Marconi organise des auditions. Jacques Sclingand, directeur artistique, lui fait enregistrer son premier disque. Il devient « chouchou » à « Salut les copains». Plus tard, il part pour les Etats-Unis :« Les Etats-Unis ont transformé ma musique … Je suis rentré et j’ai tout déchiré, pour tout recommencer. »

Michel rencontre France au cœur des années 70. Elle fait une voix dans ses enregistrements. La voix, l’interprète sont pour lui partie intégrante de ses compositions, comme un instrument. Il veut écrire pour elle. Mais comme il l’a dit : « On n’écrit vraiment que pour quelqu’un qu’on aime. » Ce sera : « La déclaration ». Il compose pour lui, pour elle, en alternance. Il crée pour d’autres certaines de leurs plus belles chansons. Françoise Hardy, « qui se refuse aux concessions », Johnny Hallyday, «je deviens metteur en scène de son personnage ». Il invente le métier de producteur à la française avec Véronique Sanson. Et puis « la passion de la musique ne me suffit pas, j’ai de plus besoin de chanter sur scène ». Il devient chanteur.

Michel a souvent rêvé de prendre une année sabbatique. Il voulait voyager. « Je n’ai jamais pris le temps de pointer sur une carte les lieux que je voulais connaître … Je souffre de ne pas rencontrer des peintres, des écrivains, m’emplir d’autres choses que de la culture limitée distillée par les médias … » Il ne le fit jamais vraiment. Mais il partira huit, dix ou quinze jours : Afrique, Mali, Cambodge, Chine … Toujours avec un projet, jamais vraiment en vacances. Le Mali, avec Daniel (Balavoine) pour Action écoles ; le Cambodge, pour retrouver une famille. Il en rapporte des milliers de clichés. Ses photos révèlent l’émotion d’un artiste. Et puis il revenait enrichi d’expérience. Trop de projets se bousculent : musiques de films, films musicaux, chansons, spectacles. Avec « Starmania », il donne le goût au public du spectacle musical. « Starmania », créée en 1978, cruellement actuelle aujourd’hui. Il faut toujours entreprendre dix projets pour en faire aboutir un seul.

Michel voulait que sa musique existe !

Alors il intervenait à tous les stades de la réalisation. Il n’était satisfait – et encore ! – que lorsqu’il entendait enfin ce qui résonnait dans sa tête. « Un producteur, c’est comparable à un metteur en scène de cinéma. Choisir un interprète, des techniciens, des musiciens, un preneur de son, un arrangeur, un compositeur, un parolier… Le producteur forme une équipe de travail qu’il dirige de façon précise du début à la fin de l’enregistrement. » Michel voulait faire « de la musique française qui balance » ! Respectueux du public et de ceux qui travaillaient avec lui, il était un « patron » reconnu, respecté parce que, grâce à lui, chacun donnait le meilleur de lui-même.

Il voulait travailler avec les meilleurs. Fou de joie, fier quand Elton John lui a demandé de composer avec lui, quand Jérôme Savary a voulu mettre en scène « La légende de Jimmy », son œuvre la plus aboutie, quand Johnny Hallyday lui a dit « on s’y met ». Il était attiré par ceux qui maîtrisaient d’autres univers que le sien. Il aimait les gens brillants, les artistes, les chercheurs … Il appréciait les rencontres : avec Jacques Kerchache, le grand collectionneur des arts premiers, il apprit à comprendre les peuples qu’on disait primitifs à travers leurs œuvres. Il échangea un long dialogue avec Jacques Attali lorsqu’il publia son essai sur la musique, « Bruits ». Avec Philippe Chatiliez, il parlait de mots. Il s’étonnait avec moi qu’on puisse être ingénieur, et nous évoquions le progrès des sciences et des techniques, leur lenteur et leur urgence ! Bien dans son époque, il avait pressenti les changements qu’allaient connaître les années 90 : les médias en ébullition, la radio, le monde du disque face aux innovations technologiques et aux évolutions de la société. Il faudrait se battre à nouveau, faire à nouveau ses preuves. Rien n’est jamais acquis. Il était seul, le seul à s’inquiéter.

Michel n’a jamais livré sa vie privée. « Tout ce que j’ai voulu dire est dans mes chansons, écoutez-les avec attention, vous saurez tout ! » Pour lui, la famille était sûrement l’essentiel. Il a toujours gardé une affection indestructible pour sa mère. Et puis la douleur de perdre son frère aîné qu’il admirait. Il a vécu la souffrance de sa fille. Il a renoué avec son père ; il voulait comprendre quel moteur avait fait avancer ce grand patron de médecine. Il gardait des liens serrés avec quelques amis d’enfance. Mais les plus solides amitiés, il les nouait avec ceux avec qui il travaillait. Son monde. Pourtant, le monde était injuste, qui lui a pris ceux qu’il aimait : Bernard, Daniel, Coluche. Michel restait un artiste. Il continue à livrer son message, toujours plein d’espoir. Mais terriblement lucide.

Magazine : Paris Match
Par Jean Brousse
Date : 22 août 2002
Numéro : 2778

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