Depuis longtemps, les embruns de l’Atlantique ont délavé les murs roses de sa maison, le cabanon, comme on dit là-bas, sur l’île de N’Gor, à 17 kilomètres de Dakar.
Une des pirogues qu’on emprunte pour s’y rendre a été rebaptisée Babou, le surnom de France Gall pour ses proches de tous les continents.
Ceux que les malheurs ont abattus autant qu’ils les ont mûris se trouvent parfois des refuges. Pour France, il y a N’Gor, ce havre découvert voici vingt-cinq ans avec Michel Berger. Elle a aussi New York, pour l’anonymat. Mais on dit qu’elle revient plus souvent, désormais, à Ramatuelle et à Paris, dans le grand appartement où ont grandi leurs deux enfants, Pauline et Raphaël. Comme réconciliée avec elle-même.
Rappelez-vous l’été 2000. Elle avait bouleversé Johnny et son public en venant interpréter par surprise, sur la scène de l’Olympia, On a tous quelque chose de Tennessee. Un pur moment d’émotion quand, en prélude à cette chanson composée par Michel Berger pour le rocker en 1985, elle avait récité, dans l’obscurité, ces quelques phrases de l’écrivain américain : « A vous autres, hommes faibles et merveilleux, qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu, il faut qu’une main légère posée sur votre épaule vous pousse vers la vie … »
C’est cette même main aujourd’hui qui pousse France vers une nouvelle sérénité. Et c’est paradoxalement le dixième anniversaire de la disparition de Michel Berger qui lui en fournit l’occasion. A Ramatuelle, là où l’artiste s’est éteint, là où elle aime se retrouver seule avec ses souvenirs, France a réussi à exorciser ses démons. Grâce notamment à tous ces projets qui nous rendent Michel encore plus vivant. Elle a donc travaillé avec passion sur le livret de présentation du coffret de deux CD sorti cet été. Mieux, elle a écrit la biographie si attendue de l’homme avec lequel elle a vécu pendant vingt ans, Michel Berger, si le bonheur existe (éditions du Cherche-Midi), dont la sortie est prévue le 30 octobre. Enfin, elle a finalisé le reportage consacré à son Pygmalion qu’on verra prochainement sur TF1. Et elle a même trouvé le temps d’appeler la production de « Star Academy », ayant jugé décevante la version des élèves de l’un de ses plus grands tubes, Musique. Exigeant même un réenregistrement ! Preuve s’il en est que France est plus que jamais la gardienne de la mémoire de l’un de nos compositeurs les plus doués de sa génération.
En janvier dernier déjà, au cours de l’émission qui lui était consacrée sur France 3, la chanteuse confiait qu’elle avait l’intuition que désormais le malheur était derrière elle.
« Je sais que le meilleur est à vivre ! » insistait-elle.
Un cycle s’achève, et la « lumière du jour », ainsi que l’avait surnommée Michel dans une chanson d’amour, est là. « Mes amis le savent, je suis quelqu’un de très gai. Quand on prend le temps de la regarder, la vie est passionnante. » Elle rappelle souvent qu’après la mort de Michel, en 1992, elle désirait chanter, s’affirmer comme jamais. Et puis, une sale journée de décembre 1997, Pauline, qui, depuis l’enfance, souffrait de mucoviscidose, s’était éteinte, à dix-neuf ans.
« Le départ de ma fille m’a donné envie de me taire. Peut-être pour toujours. Cela, je ne le sais pas encore. » Aujourd’hui, France sort de sa réserve. Elle triomphe de ses derniers doutes, évacue ses angoisses. Elle se libère. Exactement comme dans les années soixante-dix où elle avait, grâce à sa rencontre avec Michel, su retrouver l’énergie de revenir sur le devant de la scène. Désormais, portée par cette force intérieure que Michel a si bien su lui léguer, elle s’impose de nouveaux défis. Parce qu’elle a appris, à ses dépens, qu’il n’existe pas de bonheur sans aspérités. La maladie de Pauline, très tôt diagnostiquée, fut sa première épreuve. Puis les amis ont disparu : Daniel Balavoine sur le Paris-Dakar, Coluche sur une route du sud de la France, sa meilleure amie, Telsche Borman, et tant d’autres encore, anéantis par le sida. Avant que la tragédie ne fauche son mari et sa fille …
Seule sur l’île de N’Gor ou aux côtés de son fils, Raphaël, parti vivre aux Etats-Unis, avec ses amis des autres coins du monde, France impose sa nouvelle philosophie de la vie : « Renoncer à être heureuse ? s’interrogeait-elle devant Patrick Sabatier. Ce serait vraiment la plus grosse bêtise que je puisse faire. Ça voudrait dire qu’on ne comprend pas bien ce que l’on fait ici. Le but, c’est quand même de parvenir à être heureux ! » Si nous avons tous un peu de Tennessee, alors qu’elle sache, France, que nos mains légères voudraient la pousser vers la vie !
Magazine : Gala
Par Michel Bessières
Date : 24 octobre 2002
Numéro : 489