France Gall : son horrible calvaire

« Silence dans la maison, silence sur la colline, les arbres font des rayons, et des ombres subtiles … » Ces quelques phrases, c’est France Gall qui les chantait, il n’y a pas si longtemps.

Seulement aujourd’hui, plus aucune note de musique ne résonne autour d’elle. Et ce silence dont elle parlait fait à présent partie de sa vie. Depuis sept ans, depuis la mort de sa fille, France a disparu du monde des vivants. Et pour tout ceux qui l’aiment, l’angoisse monte chaque jour d’avantage. Que devient France ? C’est à croire qu’elle n’existe plus …

Eh oui, celle qui a rythmé les années yéyé de sa contagieuse envie de vivre, celle dont la carrière a explosé grâce à Michel Berger, n’est plus hélas, pour tous ses fans, qu’un lointain souvenir. Sa dernière apparition en public remonte au 15 août 2000, quand elle était venue chanter avec Johnny Hallyday, sur la scène de l’Olympia, Quelque chose de Tennessee, un hommage à Michel Berger, qu’elle avait entonné les larmes aux yeux … Mais sitôt les festivités achevées, l’artiste avait retrouvé l’ombre …

Pourtant, à cette époque, si elle n’apparaissait plus en public, France faisait encore l’effort de descendre régulièrement dans son quartier de la Plaine Monceau, dans le 8e arrondissement de Paris, pour y faire quelques courses. Les cheveux retenus dans un foulard, et des lunettes noires cachant ses jolis yeux, même en plein hiver, France allait ainsi presque tous les matins acheter son journal : « Depuis ce jour, je ne l’ai plus jamais vu sourire comme avant » nous a confié, peiné, son kiosquier habituel.

« Avant, elle sortait acheter le journal tous les matins. Maintenant. C’est terminé. »

Même son de cloche chez l’épicier du coin : « Elle ne vient plus ici comme avant » constate-t-il. « Maintenant, quand elle a besoin de quelque chose, elle se fait livrer chez elle … »

Même au Sénégal, ce pays qu’elle aimait tant, où elle puisait tant de force, il n’y a plus aucune trace de son passage. Cela fait tellement longtemps qu’elle n’y est pas retournée.

Et pourtant, malgré cette absence presque palpable, France est toujours là. Mais elle vit totalement recluse dans son appartement. Là, dans l’ombre et le silence, France tente de survivre. L’ombre qu’elle a choisie, habitée de souvenirs hélas aussi flamboyants que tragiques, et le silence bien étrange pour celle qui, depuis son enfance, a baigné dans la musique, et qui n’a plus, à présent, pour compagnon, que le piano muet sur lequel Michel, son amour, a composé tant de succès.

C’est donc là, dans ce triplex devenu trop grand, que cette femme de bientôt 60 ans, malgré ses allures d’éternelle adolescente, passe ses jours et ses nuits, préférant sans doute au contact des vivants, ses dialogues intérieurs avec ses chers disparus. Mais quels disparus !

Le premier, le plus célèbre, c’est bien sûr Michel Berger, l’homme de sa vie, son Pygmalion, celui sans qui elle n’aurait peut-être jamais fait une si belle carrière. Michel, avec qui elle avait encore tant de projets à venir. Des projets que le destin a anéanti le 2 août 1992, lorsque Michel a été emporté prématurément, à 44 ans, par une crise cardiaque.

La deuxième, si elle n’était pas aussi célèbre, n’en était pas moins aussi importante dans le cœur de France. Car elle était la chair de sa chair : sa fille, Pauline. Depuis toute petite, Pauline était atteinte par une terrible maladie, la mucoviscidose.

Mais ses proches entretenaient pourtant secrètement l’espoir d’une guérison. Hélas, cinq ans après son papa, alors qu’elle n’avait que 19 ans, Pauline est partie rejoindre le paradis blanc, celui que Michel avait chanté avec tant de talent. Dans ce désert de l’amour, il ne reste aujourd’hui, à France qu’une oasis : les visites de Raphaël, son fils. Son dernier lien avec la vie, l’avenir, l’espoir …

Bien sûr, à 23 ans, Raphaël, en jeune homme responsable, a pris son envol. Mais ce n’est pas pour autant qu’il oublie sa maman. D’ailleurs, très souvent, il vient la retrouver dans le sanctuaire de la Plaine Monceau. Alors, pour quelques heures, une soirée, France prend sans doute sur elle, mais finit par retrouver le sourire.

Et le jeune homme, dans cette atmosphère de bonheur retrouvé, reste alors pour la nuit. Comme si rien n’avait changé.

« Comme, comme, comme avant…»

Magazine : France Dimanche
Christian Morales
Date : du 9 au 15 juillet 2004
Numéro : 3019

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