L’histoire de France

Ses chansons sont des reflets de nos vies, nous avons dévoré le récit de ses amours et frissonné des drames qui la frappaient.

France Gall s’en est allée en toute discrétion, comme elle vivait depuis une vingtaine d’années …

Après la mort de Johnny, nous peinions à reprendre notre souffle … Un mois et un jour plus tard, France Gall, à son tour, nous fausse compagnie. Richard Anthony, Frank Alamo, Johnny Hallyday, France Gall … Oui, les yéyés ont commencé de mourir et c’est un pan de notre jeunesse qui se dérobe. En 2015, France nous revenait avec la comédie musicale Résiste dédiée au répertoire de Michel Berger, avant de s’effacer à nouveau. Sans que l’on s’en inquiète vraiment … On avait fini par s’habituer à sa discrétion depuis vingt-cinq ans que Michel Berger avait rejoint l’ombre. On la savait errant entre Paris, dans l’appartement des jours heureux, Ramatuelle, là où est mort son homme, Honfleur et l’île de N’Gor au large de Dakar, dans sa maison sans électricité ni eau courante à laquelle on n’accède qu’en pirogue.

Au détour de Noël, une mauvaise nouvelle fuitait : France Gall hospitalisée en raison d’une infection pulmonaire sévère. Mais de là à imaginer le pire … Pourtant le pire est arrivé. La mort, le 7 janvier dernier, un dimanche gris, à 10 heures le matin, à l’hôpital américain de Neuilly. Deux ans que France ne s’était pas montrée, et pour cause ! Deux ans qu’elle luttait de toutes ses forces contre une récidive du cancer du sein qui l’avait heurtée neuf mois après la mort de Michel Berger. Une guerre de plus, sans rémission cette fois.

À jamais blessée par les humiliations de sa jeunesse.

La chanson, pour France, c’est une affaire de famille. Entre un grand-père maternel, créateur des Petits Chanteurs à la croix de bois, et un papa, Robert Gall, à qui l’on doit La Mamma de Charles Aznavour ou encore Les Amants merveilleux d’Edith Piaf, il y avait de quoi rêver sa vie en musique ! Née le 9 octobre 1947, Isabelle, Babou pour les intimes, grandit parmi les chanteurs. Avec ses frères jumeaux, elle monte même un petit groupe. Son caractère plutôt directif lui vaut le surnom de « petit caporal ».

A 15 ans, elle envie Sylvie Vartan, en plus elle habite dans sa rue ! Son père, devinant la force de son désir, lui permet d’enregistrer un 45 tours quatre titres, dont deux d’un certain Serge Gainsbourg : N’écoute pas les idoles et Laisse tomber les filles. Un honorable succès très vite dépassé par l’enfantin Sacré Charlemagne. Le 20 mars 1965, elle portera Poupée de cire, poupée de son sur l’autel de l’Eurovision. Seul hic, une autre Isabelle a remporté le concours trois ans plus tôt, Isabelle Aubret. On lui trouve à la hâte un nom rien qu’à elle, ce sera France, inspiré par l’imminence d’un match de rugby, France-Galles. C’est la désolation, elle aimait tant qu’on l’appelle Babou et voici qu’en chansons, dans les larmes, elle quitte l’enfance … Ses débuts lui restent sur le cœur. « Je les effacerais bien », confiera-t-elle quarante ans plus tard. La belle enfant n’imaginait pas le poids de la célébrité, ce dont elle avait rêvé lui fait bientôt horreur. « Je ne voulais pas me montrer. J’avais le sentiment d’être violée en permanence », lance-t-elle.

Un premier amour, mauvaise pioche. Il s’appelle Claude : Claude François ! Elle a 17 ans, il en a 25. Un amour brûlant qui la consume. Il est dominateur, jaloux, manipulateur. Trois années durant lesquelles elle encaisse les coups bas et le désamour. Il ne supporte pas son succès, moins encore sa victoire à l’Eurovision. La coupe est pleine, France, en mille morceaux, s’enfuit. Cette rupture est un crime de lèse-majesté que Claude François ne lui pardonnera pas. De cette douleur d’avoir été abandonné, naît le plus grand tube du chanteur, Comme d’habitude. Baignant dans son chagrin, elle enregistre Les Sucettes, un titre imaginé par Gainsbourg. Toute à la candeur de ses tendres années, elle ne soupçonne pas un instant le double sens des paroles de l’auteur. « Quand j’ai compris, je me suis enfermée pendant six mois. Je ressentais une tromperie des adultes, une trahison [ … ]. J’ai été humiliée par cette chanson. Cela a changé mon rapport aux garçons », confiera l’intéressée.

Loin du monde, dans les bras de Julien Clerc.

Hardy, Vartan et Sheila continuent de mener leur barque mais le temps des yéyés s’essouffle. France Gall, elle, en a assez d’être un produit, elle cherche un autre chemin, le sien. « Elle durera parce qu’elle n’est pas grande. Les petits compensent par un travail fou », témoigne Charles Aznavour, il sait de quoi il parle ! Enfin sortie de l’adolescence, elle entre en rébellion contre son père. Après le succès en 1967 de Bébé requin, signé par un jeune Américain, Joe Dassin, elle fuit sèchement la voie qu’on avait tracée pour elle, préférant se mettre au vert loin du petit monde de la chanson.

Se retirer est aussi une façon de mettre à distance la traversée du désert qui punit les artistes de sa génération. Pendant plus de quatre ans, elle partagera la vie d’un débutant au physique romantique, Julien Clerc. Un repli médiatique qui au passage arrange le jeune chanteur adoré des minettes, si soucieux de tenir secrète cette relation. Elle vit à la campagne, cuisine et rêve d’enfants. Mais après avoir sous-estimé la force de ses ambitions, voici qu’elles lui reviennent en pleine face. « Plus personne ne voulait miser un kopeck sur moi », avouera-t-elle. France veut de nouveau vivre en musique, elle quitte Julien Clerc pour marcher libre. Au comble du chagrin d’amour, l’éconduit enregistre Ballade pour un fou et Souffrir par toi n’est pas souffrir. La vie de France Gall est décidément une histoire de chansons …

Michel Berger, l’homme par qui le bonheur arrive.

Printemps 1973. France est dans sa voiture quand jaillit de l’autoradio une voix et une poésie qui la bouleversent. Une chanson, en forme d’invitation, qui s’intitule Attends-moi. Tandis qu’elle cherche un renouveau que personne n’a le talent de lui offrir, le nom de Michel Berger énoncé par le speaker sonne comme une promesse. Elle se souvient l’avoir déjà croisé à deux reprises, sans qu’ils se soient parlé. Le destin toutefois à des vues sur eux … En effet, quelques jours plus tard, par le plus grand des hasards, les voici réunis dans un studio de radio. France propose alors au jeune compositeur de prêter une oreille aux titres qu’a réunis pour elle sa maison de disques. Rendez-vous est pris. « C’est complètement nul ! », lâche Berger. Voici qui réjouit France puisqu’elle porte sur cette bouillie le même jugement. C’est aussi pour elle l’occasion de lui en réclamer de meilleurs … Berger décline gentiment. Jusqu’à ce que des sentiments qu’il n’a pas vu venir lui inspirent une mélodie et des mots. « Quand je suis seule et que je peux rêver, je rêve que je suis dans tes bras, je rêve que je te fais tout bas une déclaration, ma déclaration ». France reçoit le message en plein cœur, « J’ai eu un sentiment d’apaisement la première fois que je me suis assise au piano avec lui », dira-t-elle. La Déclaration d’amour signe son retour à la chanson, son épanouissement en amour. Michel entre dans sa vie, côté cour et côté jardin. Harmonie musicale et amoureuse, le mariage et la naissance de leurs enfants, Pauline et Raphaël. Comme autant de fleurs sur le chemin de leur histoire, éclosent des chansons, rien que des tubes, la bande son de nos années 70 et 80, celles de Starmania, puis Si maman si, Il jouait du piano debout, Résiste, Débranche, Cézanne peint, Ella elle l’a, Babacar, Évidemment … Leur bonheur est immense, autant que leurs succès. « Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y aura une facture à payer un jour », déclarera France. Une prémonition qui donne le frisson.

En effet, le couple apprend bientôt que leur petite Pauline, 4 ans, est atteinte d’une mucoviscidose. « Il y avait un décalage terrible entre l’artiste comblée et la maman déchirée. Cela se voyait sur nos visages : nous étions moins gais », évoquera France. Tandis qu’elle tremble pour sa fille, le 6 août 1992, c’est Michel que France porte en terre, victime d’une crise cardiaque, au plus chaud de l’été, lors d’un match de tennis. Cinq ans plus tard, Pauline, à 19 ans, rejoint son père. Rideau, l’heure est au silence.

Survivre à l’écart du monde.

Résiste est son tube, son hymne, le nom du spectacle hommage qu’elle consacre en 2015 à l’œuvre de Berger, mais aussi son credo intime. Résister au flot des épreuves! Elle érige des remparts et se retire loin des regards, refait sa vie en toute discrétion avec Bruck Dawit, un musicien américain d’origine éthiopienne rencontré dans les années 90. Il est l’homme de son dernier album, en 1996, et tout simplement l’homme de sa vie. Et si c’ était à refaire ? demanda-t-on à celle que la vie avait comblée et giflée. « La prochaine fois, je demanderai à avoir une vie plus douce », réplique-t-elle. On la lui souhaite.


Les chansons de France Gall sont des reflets de nos vies, nous avons dévoré le récit de ses amours et frissonné des drames qui la frappaient.

Dans nos mémoires, elle chante encore.

Tant de tubes ! Ceux d’une enfant sage, entre Sheila, Sylvie et Françoise, puis ceux d’une femme libre et engagée des années 80. Les notes jaillissent et on se surprend à balancer la tête sur le côté, comme elle le faisait si joliment.

1965 / Poupée de cire, poupée de son

Avec cette chanson de Gainsbourg, France Gall décroche le premier prix du concours Eurovision, sous la bannière du Luxembourg. « Tu as gagné mais tu m’as perdu », répliquera Claude François, fou de jalousie, à l’issue de la soirée.

1974 / La Déclaration d’amour

La première chanson que France inspire à Michel ! Le retour de France sur le devant de la scène mais surtout le début de l’histoire d’amour du compositeur et de sa muse.

1977 / Si, maman si

« Maman, si tu voyais ma vie … Je pleure comme je ris … », superbe complainte teintée de mélancolie qui restera l’un des titres les plus émouvants de France. Signée Berger évidemment, extraite de l’album Dancing disco écoulé à 500 000 exemplaires.

1980 / Il jouait du piano debout

C’est après avoir vu à la télé Jerry Lee Lewis, pionnier du rock’n’roll jouer du piano debout que Michel Berger a écrit ce qui devient un tube.

1981 / Résiste

En 1981, France et Michel habitent à Rueil-Malmaison, dans une maison qu’ils louent à Adamo, lorsqu’ils réécoutent le disque qu’ils viennent d’enregistrer. Michel Berger décide qu’il manque deux titres. A son piano, dans le garage, il crée en quelques heures Résiste et Tout pour la musique. Résiste, une chanson toute en force et en énergie qui symbolise parfaitement les années 80. Elle restera si chère à France qu’elle la reprendra dans son ultime album en 1996.

1984 / Débranche

Berger a imaginé ce titre en repensant à des villages de Chine totalement perdus qu’il avait traversés avec France dans les années 70. « Les habitants regardaient la pluie tomber et semblaient heureux en vivant totalement déconnectés du monde moderne », se souvenait France.

1987 / Babacar

Au Sénégal, une maman tend son bébé, le petit Babacar, à France pour qu’elle le ramène en Europe afin qu’il reçoive une bonne éducation. France et Michel préféreront donner à cette maman le métier de ses rêves, couturière. Ils lui paient des études, une machine à coudre, des tissus, du fil. Une chanson voit le jour.

1992 / Laissez passer les rêves

Double Jeu, dont est extrait ce titre, est l’album en duo dont France et Michel avaient rêvé. Il sera aussi un chant d’adieux. Michel meurt sitôt l’album publié tandis qu’ils s’apprêtaient à entamer pour la première fois une tournée ensemble.

Magazine : Nous Deux
Par David Lelait-Helo
Date : 23 janvier 2018
Numéro : 3682

Merci à Elisabeth.

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