Feu vert à France Gall

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Feu vert à France Gall dans le magazine Salut les copains N°72 de juillet 1968 - Chez les Charlots, je ne sais jamais lequel est Alfred, Emile, Marcel, Félix ou Lucien. Mais ce dont je suis sûre, c'est que je les aime depuis leurs débuts.
Feu vert à France Gall dans le magazine Salut les copains N°72 de juillet 1968

Histoires de Charlots

Chez les Charlots, je ne sais jamais lequel est Alfred, Emile, Marcel, Félix ou Lucien. Mais ce dont je suis sûre, c’est que je les aime depuis leurs débuts.

La première fois que j’ai vu les Charlots, ce n’est pas sur une scène, comme le commun des Français, mais dans un restaurant de Saint-Germain-des-Prés où le destin (oui, encore lui) nous avait fait nous rencontrer. Ils étaient attablés tous les cinq autour d’une longue table et s’adonnaient à une absorbante occupation généralement désignée par la plupart des gens à l’aide du verbe « manger », mais qui, les concernant, aurait été beaucoup mieux définie par l’éventail des mots suivants : braire, concasser, s’engorger, exploser, bêler, éclater, roter, bâfrer, tempêter, délirer et j’en passe … Derrière sa caisse, le malheureux patron de l’établissement comptait des moutons pour ne pas trop songer aux côtes d’agneau qui volaient dans les airs selon des trajectoires extrêmement fantaisistes, tandis que les garçons, imperturbables et de toute façon inaccessibles à l’humour des consommateurs, continuaient à clamer dans les allées menant aux cuisines : « Et une piperade pour la huit, une ! ». Je pensais, en considérant ce spectacle inattendu et fort pittoresque, à une petite fête paillarde organisée par le célèbre groupe en vue de célébrer quelque anniversaire, mais je devais apprendre par la suite qu’ils étaient là plutôt par hasard, plutôt pressés et plutôt déprimés … Bref, je saisissais donc la vie des Charlots dans un instantané on ne peut plus classique !

Mais tout de même : moi qui ai toujours été habituée à respecter la purée de pommes de terre, moi qui ai toujours considéré l’existence de ce mets estimable comme indissociable des notions d’assiette et de fourchette, j’étais quelque peu surprise de voir la dite purée partir en salves sur les costumes des clients, jaillir du plat en feu d’artifice, retomber en milliers d’étoiles sur les tables environnantes et même, parfois, atteindre sa destination la moins attendue : la bouche de l’un des convives! Une séance qui m’enleva tout appétit, sauf celui de mieux connaître ces joyeux drilles, rabelaisiens en diable.

Depuis cette date – il y a un an et … deux jours – les Charlots, que j’ai largement eu le temps de pratiquer, comme on dit dans le monde, sont devenus non seulement d’excellents copains à moi, avec qui j’aime bien sortir pour prendre quelques crises de rire, mais aussi mon groupe français préféré. Les Charlots ont beaucoup de talent. Sans eux, aujourd’hui, le rire aurait sûrement en grande partie disparu de la chanson pop en France. Ils ont choisi une voie difficile, car faire rire le public n’est pas de tout repos ; mais, apparemment, ils ont fort bien réussi dans leur entreprise. De fait, si vous avez eu la chance, un jour ou l’autre, d’assister à l’un des shows du groupe, vous avez sûrement été plié de rire au point d’en être malade. Quand ils sont passés à l’Olympia, j’ai eu personnellement le « coup de pot » inouï d’obtenir une place au premier rang et j’ai été absolument sidérée par la sincérité et la perfection technique de leur numéro. De plus, les Charlots savent se renouveler et le dynamisme de chacun des membres du groupe est à toute épreuve, Les Charlots ? Je les aime tous les cinq bien que chacun ait sa personnalité propre. Alfred, le chanteur soliste et leader du groupe, est un comédien consommé, bourré d’idées et de résolutions, grand pince-sans-rire à ses heures. Il a plusieurs passions, d’abord celle de bien faire son métier et d’entraîner les autres à faire de même (on est leader ou on ne l’est pas !) et ensuite celle de trafiquer sans arrêt son spider Alfa Romeo 1600 : il a dans ce domaine de sérieux atouts puisque son père est garagiste. Félix est le plus étourdi de tous. Constamment dans la lune, il doit peut-être cet état d’esprit à sa passion pour l’astrologie, art dans lequel il excelle. C’est d’ailleurs lui qui tient à jour l’agenda du groupe : il décide, en accord avec les astres, du programme à suivre et des écueils à éviter. Grand gaffeur dans le civil, il a le don de dire des énormités devant les gens importants du show business, ce qui lui vaut les regards courroucés de ses compères. Ceux-ci se vengent de lui sur scène : ils l’ont nommé à l’unanimité, depuis bien longtemps, « receveur de baffes » officiel, ce qui n’est pas une sinécure pour le malheureux ! Lucien, Luis Rego de son vrai nom, ex-prisonnier politique de son état, est un Portugais qui a eu des ennuis dans son pays. Il joint dans le groupe des qualités sérieuses d’humoriste à un talent non moins affirmé de chanteur : c’est lui qui chante en second, après Alfred. Il a même fait sur scène d’excellents numéros de rock vieux style. Moi, je l’adore parce qu’il est d’une gentillesse et d’une spontanéité rares. Émile, lui, a un passé d’auteur : c’est lui le créateur de « Chauffe Marcel », Ia chanson qui a en quelque sorte « fait » les Charlots. Méfiez-vous de lui, c’est le perfide du clan. Son jeu favori consiste à « lancer des vannes » et à dresser les gens les uns contre les autres. Il adore les bagarres, surtout les bagarres de tartes à la crème. D’ailleurs, référez-vous à un récent numéro de « Salut les Copains » ! Le dernier, le plus grand par la taille, c’est Marcel. Parfait rouquin au tempérament flegmatique, il est serein en toute occasion et même un écroulement d’immeuble ne lui ferait pas lever la tête lorsqu’il règle sa petite auto de mini-racers. Il est un fan invétéré du mini-racing et son nom fait autorité dans Paris. Sur scène, il joue (ou essaie de jouer) de l’accordéon, instrument qu’il déteste, au demeurant. Voilà. Vous mélangez le tout astucieusement et vous obtenez le plus farfelu des groupes de music-hall. J’ajoute que les Charlots habitent ensemble au sein d’une communauté autonome (faisant en cela depuis deux ans figure de précurseurs !) et autarcique, où le rire, la bonne humeur et l’équitable partage des responsabilités sont de règle. Le moindre instantané de la vie courante leur est prétexte à inventer un nouveau gag qui viendra (peut-être) enrichir leur numéro scénique par la suite. Et puis, les Charlots ont une qualité : ils ne se prennent pas au sérieux. Aucun d’eux n’est cabotin, tous sans exception ont conservé des réactions saines face à leur réussite. C’est peut-être pourquoi le groupe atteint cette performance de pouvoir se renouveler avec bonheur, chose extrêmement délicate dans le rire, tous les comiques vous le diront. Je sais, pourtant, que les Charlots sont de perpétuels insatisfaits. Ils rêvent {mais lucidement ·et avec méthode) à un spectacle entier, très élaboré, qui ferait appel à la fois à la comédie, au chant, à la danse et à la fantaisie au sens le plus large du mot. Mais n’ont-ils pas les épaules assez larges pour monter un vrai show « bien à eux » ? Alfred, l’âme du groupe, a déjà, à ce propos, des idées plein la tête. Mais il est prudent, et sa devise est assez éloquente : « A vouloir aller trop vite, on finit toujours par se casser la gueule, » Je vous le dis : dans quelques mois, nous verrons sûrement ces satanés Charlots nous offrir un petit programme « de derrière les fagots » qui fera un certain bruit. Le bruit, au même titre que le rire d’ailleurs, c’est leur vie, leur maison, leur jardin et leur bas de laine.

Mon petit chouchou c’est mon frère Patrice

Voici 5 ans que Patrice, le frère de France Gall, “mijotait” de sortir son premier disque. Avec “Chimène”, il a remporté un succès d’estime. Quel sera son avenir ?

Mon frère a longuement hésité avant d’enregistrer sous le nom de Patrice Gall. Les garçons ont leur fierté : « Cela m’ennuie de profiter de ton nom dans la chanson pour tenter de m’imposer », disait-il. Mais … Gall est notre nom, c’est même pour nous depuis longtemps le symbole d’un petit clan bien sympathique, alors il n’y avait pas de raison pour que Patrice décide de s’appeler « James Colorado » ou « Patrice Gaulle.

Maintenant, c’est fait : Patrice s’est lancé dans la grande aventure. Oh ! ce n’est pas le résultat d’un coup de foudre. Il y avait bien longtemps que l’idée d’enregistrer lui trottait dans la tête. En fait, c’est plutôt Philippe (mon autre frère, jumeau de Patrice) et moi qui avions toujours conseillé à Patrice de faire carrière, quoi d’étonnant ? Papa a toujours vécu dans la musique. Mes frères et moi avons, depuis notre plus tendre enfance, baigné dans le milieu de la chanson ; nous avons connu les mêmes disques, développé les mêmes goûts, ressenti les mêmes aspirations. Patrice (comme Philippe) est mon aîné d’un an puisqu’il est né en 1946 (le 30 mai très exactement). Nous n’avions que treize ou quatorze ans quand éclata la révolution du rock and roll. A l’âge où d’autres sont fous de bicyclette, de couture ou de football, nous étions, nous, déjà de parfaits fans de musique pop grâce au milieu dans lequel nous vivions. Certes, nous aurions pu nous passionner pour la chanson traditionnelle, pour la mélodie bien française dont papa était l’un des spécialistes avertis (il écrivait pour Edith Piaf, pour Charles Aznavour … ), mais le choc du rock et de la musique américaine nous avait touchés. Dès l’âge de quatorze ans, Philippe, Patrice et moi grattions nos guitares à la maison, le soir, après les cours, pour imiter Elvis Presley et Little Richard. Si je dois beaucoup à la compréhension paternelle en ce qui concerne ma carrière, je suis persuadé que Patrice pourra dire exactement la même chose lorsqu’il se sera imposé. Papa marche « à fond » avec nous et il fera tout pour que Patrice réussisse. « Réussir », ce n’est pas facile. Patrice a beaucoup de talent; c’est du moins ainsi que j’appelle les sources de l’émotion que je ressens lorsqu’il interprète l’une de ses chansons. Mais il est, pour l’instant, trop timide pour briser tous les obstacles qui risquent de se présenter à lui. Il aura besoin d’aide. Et cette aide, elle lui est déjà acquise dans le “clan”. Mais qui est Patrice? Un “Gémeaux”, répondrai-je pour les fans d’astrologie. Un garçon vif, intelligent et sensible préciserai-je pour les autres. Si j’ai toujours adoré mes deux frères, je crois bien que Patrice demeure “un tout petit peu” mon préféré. Sa douceur a eu maintes fois l’occasion de se manifester à mon bénéfice durant notre enfance. Philippe, qui était passablement turbulent, ne cessait de me faire des farces, de me tirer les cheveux : plus d’une fois, j’ai pleuré au cours de ces jeux de méchant garnement. C’était constamment Patrice qui venait consoler mes gros chagrins ! Alors, n’est-il pas normal que j’aie envie, à mon tour, de le protéger ? Il a toujours été très doué en classe. Elève brillant, notamment dans les disciplines scientifiques, il a obtenu ses deux baccalauréats à l’âge de seize ans et il aurait pu devenir un parfait ingénieur si son goût pour la musique ne l’avait poussé dans une autre voie. Papa n’a pas “rechigné” quand Patrice a annoncé qu’il préférait renoncer à la faculté pour écrire des chansons, li savait que Patrice ferait, dans ce domaine comme dans l’autre, d’excellentes choses. De fait, Patrice écrivait de nombreuses chansons déjà, pour son plaisir. Cette activité qu’il considérait comme une détente a fini par le passionner au plus haut point et je lui dois moi-même plusieurs mélodies que j’ai enregistrées, comme « Celui que j’aime ,« La Guerre des chansons » ou “Le Temps de la rentrée”. Patrice, de plus, adorait fredonner ses œuvres et, à force de l’entendre chanter à la maison, Philippe et moi avons conseillé à papa de l’écouter sérieusement et de lui proposer d’enregistrer. Patrice a mis longtemps à se laisser convaincre. Son souci du travail bien fait lui dictait une conduite d’attente. Aujourd’hui, après qu’il se fût senti “au point” fort de chansons bien travaillées (aussi bien sur le plan du texte que sur celui de la mélodie), il vient de tenter sa première expérience. Un premier disque, c’est déjà un engagement, et Patrice sait qu’il devra « s’accrocher ». Mais il est paré. Il a bon nombre de jolies chansons en réserve, plus de quarante je crois, dont certaines risquent bien d’être de grands succès . Patrice pense qu’on ne peut être un vrai artiste sans l’expérience de la scène. Il se prépare donc de ce côté-là avec une égale conscience professionnelle. Lucide, il l’est. Pour se roder. il a choisi la meilleure école : celle des petits cabarets, où le contact avec le public est direct, franc, spontané. Durant les semaines qui viennent, il se produira au Don Camillo, Chez Patachou, Chez ma Cousine … Bien sûr, j’irai applaudir mon frère chaque soir et, déjà, je formule un souhait : que l’on dise, dans quelques mois, en parlant de moi : « France Gall ? Ah! oui, la sœur de Patrice, le chanteur … Et, croyez-moi, je ne fais pas ainsi de fausse modestie !

Magazine : Salut les copains
Date : Juillet 1968
Numéro : 72

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