L’article retranscrit
Bonbon acidulé, pastille de menthe, chocolat glacé, friandise à la fois poivrée et sucrée quand elle le veut, France Gall affiche à la ville sa volonté et son minois de fillette délurée.
Qu’on ne s’y trompe pas, derrière l’apparence se cache un caractère d’acier trempé, chauffé à blanc par les spots et les fans.
Et son triomphe aux Victoires de la musique prouve qu’elle n’a pas eu tort d’emprunter la voie tracée par Michel Berger, en 1973, après quatre années de déprime et de (presque) oubli. Et eu bien raison de le suivre pour créer en chœur et en couple. « Aucune musique ne me tente plus que la sienne. Aucun texte ne traduit à ce point ma vraie nature ».
Effrayée à l’idée de vieillir
Lui et elle : question d’harmonie. Pour les grands événements, les petites choses de la vie. Ce qui permet à France Gall d’évoluer avec aisance : « Je passe sans transition de ma cuisine à la scène. De la même façon que je me rends de ma chambre à la salle de bain … » Idem pour son rôle de chanteuse ou de mère. Qui, cette fois, lui donne la possibilité de devenir, en alternance, grâce à un mari qui sait prendre la relève, vedette et femme au foyer, traditionnelle et débordée. « Face à un mari rêveur et poète », dit-elle, France Gall se charge de l’intendance, d’autant qu’elle entame cette semaine une année sabbatique : « J’achète des plantes vertes et remplis les placards, fais le marché et n’occupe réellement de Raphaël, neuf ans, et de Pauline, six ans. »
Enfants désirés avec passion et acharnement, « ayant rencontré des difficultés pour en avoir ». Aujourd’hui, elle va les chercher à l’école, s’entretient avec les maîtresses.
Mon caractère autoritaire ne pousse à surveiller leurs progrès en classe. A réprimander. »
Réussite totale, rêve de toutes les femmes, assure-t-elle. Mais qui ne la satisfait pas à cent pour cent, pour être en accord avec elle-même – autre désir profond -, l’ex-baby-star des sixties, à qui Serge Gainsbourg fit interpréter, à dix-sept ans, les désormais couplets scandaleux des « Sucettes à l’anis » – : Je ne comprenais pas ce que je chantais et j’ai ressenti la plus grande honte de ma vie lorsqu’on m’en a expliqué le sens » -, France Gall, à quarante ans, effrayée à l’idée de vieillir, part en guerre par soif de justice. Déléguée de l’organisation humanitaire, « Action école », elle est partie pour le Niger. Après Daniel Balavoine, son ami et partenaire dans « Starmania », spectacle musical qu’on demande à Michel Berger de remonter. « Les innocents emprisonnés, les enfants qui meurent de faim, me bouleversent. Ce monde injuste et cruel m’indigne. Me donne envie de pleurer. » Aussi, en public, elle chante « Babacar », né de sa rencontre avec un enfant africain que la mère lui demandait d’adopter.
En gros pull-over et baskets, l’un de ses costumes de ville qu’elle pourrait porter sur scène, France Gall n’établit pas de différence. Elle assure que, de toutes les carrières, celle qui aurait pu la tenter, si elle n’était pas France Gall, serait encore la peinture. Témoin de cet obscur désir refoulé, sa délicieuse chanson « Cézanne peint ».
Et pour se prouver que son succès n’appartient qu’à elle, Isabelle (son vrai prénom) conclut : « Chanter me rend heureuse. » Pour France, tout finit par des chansons.
A.R.
Magazine : Télé Star
Date : du 7 au 13 mai 1988
Numéro : 605