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France Gall est morte dimanche à 70 ans. Avec sa voix aux hauteurs acidulées, l’ancienne artiste yé-yé a marqué trente ans de chanson française, sur des paroles et musique de son mari, Michel Berger, et de Gainsbourg.
Par Charline Lecarpentier
Un jour, on a demandé à Gainsbourg s’il avait quelqu’un de moins de 30 ans à statufier et il a dit quelque chose qui m’a bouleversée : Ce serait France Gall. Ce serait une immense statue en sucre d’orge et tous les enfants viendraient lui lécher les doigts », s’émouvait France Gall dans un entretien de 1968. Cette douce France est décédée d’une récidive de son cancer du sein ce dimanche 7 janvier à 70 ans, après avoir mené la variété française aux bâtons, des fameuses sucettes à l’anis aux commandements assénés de sa voix acidulée : Résiste, prouve que tu existes, Attends ou va-t’en, Laisse tomber les filles …
Serge Gainsbourg puis Michel Berger avaient fourni ces textes à l’impératif à leur muse pour qu’elle les gobe et les redistribue de son ton enfantin aux manières si articulées que la mémoire de la variété française ne s’en est jamais vraiment lassée. L’Europe l’a adoptée le soir de son couronnement à l’Eurovision en 1965, avec le titre Poupée de cire, poupée de son qu’elle défendait sous la bannière du Luxembourg. France Gall était allée se réconforter dans un verre de lait pour se calmer après avoir été huée toute la journée par ses concurrents. Une liqueur lui aurait été d’un plus grand secours puisqu’après l’annonce de sa victoire, piqué dans sa fierté, Claude François faisait pleurer le téléphone de sa loge pour lui annoncer qu’il la quittait. Visage poupin brouillé de larmes, elle était poussée dans la foulée sur scène pour reprendre son tour de chant devant un public européen qui se délecta ensuite sur disques de son « cœur gravé dans ses chansons », en six langues.
Gamine frangée
Sur le plateau télé des shows du samedi soir des Carpentier, Serge Gainsbourg l’honorera des années plus tard de cette déclaration « J’étais un marginal, en 1964, France Gall m’a sauvé la vie. Puis en 1965 avec l’Eurovision. » A l’heure de leur rencontre, il avait 37 ans et elle 17. Elle était encore la gamine frangée et malléable qui chantait sans comprendre les paroles polissonnes de son Pygmalion. La Lolita malgré elle se serait ainsi enfermée chez elle pendant six mois après avoir enfin saisi la saveur du double sens des Sucettes, dont le goût virait à celui de l’amère trahison du monde adulte. Les « sucettes à l’anis » c’était pourtant bien elle, comme elle le racontait encore récemment. Tous les jours, elle achetait ses lollipops avec sa mère et l’avait raconté à Gainsbourg qui en fit son chou gras. France Gall refusa longtemps d’évoquer cette période yé-yé sinon pour dire qu’elle ne serait pas contre l’effacer purement et simplement. A cette époque où elle était propulsée Lolita en chef de Mademoiselle Age tendre, le « bébé requin » aux dents courtes dit à un journaliste ne pas souhaiter de cette vie de chanteuse plus de cinq ans. Et elle écopa d’une gifle de son producteur.
Isabelle Gall, née en 1947 à Paris, qui change de nom pour la scène, à la demande de son producteur, encore lui, a pourtant foncé dans la chanson pour ne pas redoubler sa troisième et s’assurer par cette fugue d’échapper à la banalité de l’existence. Son grand-père maternel, Paul Berthier, est l’un des créateurs des Petits Chanteurs à la croix de bois quand son père, Robert Gall, s’est détourné de la musique classique pour divertir les soldats à l’hôpital pendant la Seconde Guerre mondiale. Compositeur pour Édith Piaf et pour Charles Aznavour à qui il confie le titre la Mamma, il glisse sa fille dans leurs coulisses.
Flacons et effluves
Enfant de la balle, la petite Babou, ainsi qu’on la surnomme, n’a pourtant pas les poumons du music-hall, moulinant plutôt dans un délice du lisse que le public découvre avec l’antienne Sacré Charlemagne. Les mots sont de son père, et ce morceau exaspère l’Alice qui voudrait choisir elle-même ses flacons et effluves. Elle évite autant que possible cette chanson lors de ses concerts. Pendant cette ère « Salut les copains » faussement rose bonbon, les comptines de Gainsbourg dans lesquelles elle ne se devine pas mais qui popularisent leur auteur, l’agressivité de l’exposition médiatique qu’elle subit, les mains aux fesses, les « A poil! » qui lui sont jetés lors des concerts, les questions paternalistes d’un Philippe Bouvard, ou la mise en scène de sa performance de J’ai retrouvé mon chien en minijupe avec des pépés et des clochards au bout des laisses sur un plateau télé lui donnent des envies d’ombre.
A 20 ans, la chanteuse yé-yé, baby pop à l’humeur mouais-mouais, a une montée acide avec l’avant-gardiste Teenie Weenie Boppie, bad trip superbement clippé, charge anti-LSD signée Gainsbourg, boudée par les charts. Après avoir dit oui à toutes les propositions de pubs Filipacchi pour Salut les copains, Mademoiselle Age tendre, posant avec des rondelles de concombre sur le visage, pour s’assurer la sécurité financière ainsi qu’à ses parents, elle s’isole à la campagne près de chez eux. Quand elle était enfant, ils faisaient tourner du jazz sur la platine. C’était là son premier point d’accroche avec son étoile Berger. Michel de son prénom, Hamburger de son vrai nom, qui lui offre une seconde carrière après leur rencontre en 1973, dans les studios d’Europe 1, à la demande expresse de France Gall. A Libération, elle confiait : « La groupie du pianiste, c’est moi. J’ai été la femme et la chanteuse la plus heureuse du monde »
C’était en 2002, elle commémorait les 10 ans de la mort de celui qui devient son mari et le père de ses deux enfants. Il est le dompteur avec son piano twisté de ses hauteurs acides autant que de son chant le plus badin. Il scelle leur tandem en 1976 en lui écrivant la Déclaration, qui paraît en 45 tours puis sur l’album France Gall, celui d’un virage plus à son image, à la pochette pas sexy pour un sou. En salopette et chemise, elle remet la poupée de son dans sa boîte l’année où sort l’Homme à la tête de chou de son ancien mentor.
Coeur sur la table
Son ancien flirt Julien Clerc chante en 1975 à son sujet Souffrir par toi n’est pas souffrir. Mais ce sont Presley et Sinatra qui en reprenant le Comme d’habitude de Claude François, écrit pour une France Gall décidément plus fatale que fœtale, chanteront sans le savoir à son sujet dans les mirifiques proportions de succès que l’on sait.
A son tour de mettre le cœur sur la table, avec les mots de Michel sur Comment lui dire ?
La même année 1976, elle est du casting d’Émilie ou la Petite Sirène sur TF1, série musicale écrite par Berger qui réunit dans la lucarne de la majorité des Français au choix de chaînes limitées autant Christophe qu’Eddy Mitchell, Françoise Hardy et Rod Stewart … Les prémices de la génération Starmania sont là, elle devient forcément l’une des voix de ladite aventure avec la première formation comprenant Daniel Balavoine, Diane Dufresne et Fabienne Thibeault. On lui confie le titre Monopolis sur des années 2000 assez justement anticipées « Tout autour de la terre/ On prend les mêmes charters/ Pour aller où le ciel est bleu ». Sa voix devient inséparable de Berger et ses accords convulsifs au piano. Ne pas se méprendre toutefois, Il jouait du piano debout (« et pour moi, ça veut dire beaucoup »), tube de 1980 sur l’album Paris, France, évoque entre les lignes Elton John, avec qui elle chantera en duo bien plus tard. Avec Ella, elle l’a, Babacar en 1987, le Paradis blanc en 1990, les paroles répétitives du duo s’impriment dans les mémoires, les playlists gold de la FM et les catalogues de karaoké. La voix fluette de France qui escalade les aigus ouvre une porte aux petites voix, autant à Lio qu’à Juliette Armanet et son Manque d’amour l’an dernier, écrit comme un miroir au Besoin d’amour de 1985.
Dans ces années 80 qui étranglent l’Éthiopie dans la famine, l’association USA for Africa s’agite outre-Atlantique avec Michael Jackson et son fameux We Are The World. Le pendant français est incarné par Berger, Gall, Balavoine parmi d’autres. France Gall en tire l’album France 88. Les chansons antiracistes, de Mademoiselle Chang à la Chanson d’une terrienne, ou de résistance explicite (Résiste) l’ont toujours extirpée du solipsisme de ces histoires d’amour aux fins chiffons. Son seul album en duo avec son mari, Double Jeu, paraît en 1992, c’est aussi l’année de sa disparition, alors qu’il avait 44 ans. « Celui que j’aime vit dans un monde plus beau/ Bien au-dessus du monde des mots/ Dans un univers au repos », chante-t-elle sur Plus haut, écrite par Michel Berger.
Quatre ans après la mort de celui-ci, elle commande à Jean-Luc Godard un clip pour ce titre particulièrement vibrant. Il n’est diffusé qu’une fois, année de la sortie du dernier album studio de France Gall, en 1996, sur M6, faute d’avoir pu s’acquitter des droits d’auteur pour l’utilisation d’images de tableaux. Dans leur séance de travail retracées dans les Cahiers du cinéma en 2003, elle raconte son rapport à la technique, qu’elle a appréhendé seule pour la première fois à Los Angeles pour enregistrer son dernier album, après la mort de Berger.
« Je sais très bien faire les choses toute seule, je suis très manuelle, vous savez », assure-t-elle.
Ventriloquie consentante
Godard utilise les mouvements de ses lèvres lors de cet entretien pour en faire un clip anti-MTV, où il se filme lui-même. D’abord au désespoir de France Gall, qui sera retournée par le clip une fois passée la surprise du procédé. Elle lui détaille en confiance son rapport particulier à la musique de Michel Berger. « C’est très étonnant car il n’est pas moi mais c’est comme si cette musique venait de moi, qu’elle était moi », décrivant la ventriloquie consentante et amoureuse vécue avec son époux. Quelle expérience de chanter des déclarations d’amour qu’un homme écrivait et qui étaient souvent adressées à lui-même ; Sa voix virevoltante n’en était que plus touchante sur les hymnes destinés à la jeunesse dont elle n’a jamais été plus proche qu’en mûrissant. Jamais tragédienne, elle reste légère en chantant les Si, maman, si ou Paradis blanc, sombres tubes d’une génération qui fait grise mine.
Cinq ans après la crise cardiaque de son mari, leur fille Pauline meurt en 1997 de la mucoviscidose. En deuil, France Gall se retire de la scène et applique sa promesse : « J’ai toujours dit que je ne serai jamais une vieille chanteuse. » Elle s’arrête à 49 ans et demi. Elle n’a jamais cédé à l’appel du cinéma, éconduisant ainsi Claude Chabrol autant que Maurice Pialat mais aussi Michel Berger lui-même, pour son projet de film musical.
Le dernier concert de France Gall est un événement privé pour M6 et, comme tous ses enregistrements live que l’on peut se procurer, c’est un déferlement de chansons à trous ânonnées par son public, réarrangées dans l’excès et le kitsch des guitares démonstratives et des synthés à pistons. Elle remontera seulement sur scène pour chanter Tennessee avec Johnny à l’Olympia le 14 août 2000 et devient surtout gestionnaire de son répertoire à deux têtes, épaulée par son fils Raphaël. En 2015, sa comédie musicale Résiste, qui reprend ses standards dans un scénario inspiré de Mamma Mia, est l’un de ses rares derniers actes de création, qu’elle coécrit avec son compagnon Bruck Dawit, musicien, producteur et ingénieur du son américain qui a travaillé aussi bien avec Prince, que les Stones, David Byrne que Jeff Buckley. Elle aura souvent débranché dans le calme d’une île près de Dakar, où elle se faisait, paraît-il, apporter Libération tous les matins en pirogue. France Gall faisait observer à Godard que « les gens veulent vous connaître, percer le mystère, essayer de cerner votre personnalité, alors que tout dans ce métier est fait pour vous éloigner, vous mettre sur un piédestal. La scène plus haute qu’eux, la lumière … tout est fait pour nous mettre à part. Alors ils aiment bien qu’on parle de soi à travers une chanson. Ce qu’il y a de particulier dans ce métier, c’est que les gens vous aiment pour vous ».
« En 2001, quand j’ai fait le docu sur elle, elle ne parlait que de rap et de RnB »
Didier Varod, homme de radio, réalisateur … reviens sur la relation créative entre France Gall et Michel Berger, puis son intérêt pour les musiques urbaines.
Journaliste, homme de radio, producteur et réalisateur, Didier Varod a passé six mois à suivre et interviewer la chanteuse pour un documentaire diffusé en 2001 sur France 3, France Gall par France Gall. Il évoque pour nous la relation particulière avec Michel Berger qui devient le Pygmalion puis le mari de la jeune idole sixties en recherche de métamorphoses pour entrer de plain-pied dans la décennie nouvelle. « Quand ils se rencontrent en 1973, Michel Berger est connu pour son travail avec Véronique Sanson (les disques Amoureuse et De l’autre côté de mon rêve) et Françoise Hardy (l’album Message personnel dont la chanson titre est co-écrite avec Berger). C’est un directeur artistique et un musicien estimé qui n’a pas de véritable notoriété en dehors d’un cercle d’admirateurs relativement confidentiel. Il est d’abord réticent à travailler avec France Gall, d’autant qui lui faut assumer un travail plus large puisqu’elle n’écrit pas, ne compose pas. De cette réticence d’origine va sortir une relation d’osmose, il va trouver en elle sa muse. Comme elle l’avait déjà fait avec Gainsbourg, elle va sortir Berger de sa position marginale avec le single la Déclaration d’amour en 1974. C’est une interprète qui a la capacité de transcender non pas le répertoire mais le destin et la-carrière des artistes qu’elle rencontre. Pour moi, il y a deux périodes, celle qui court de 1974 à 1981, elle est vraiment l’incarnation, le porte-voix de l’univers de Berger, de sa grammaire harmonique. Les tubes s’enchaînent (Musique, Viens je t’emmène, Si, Maman, si, Tout pour la musique, Résiste …), elle devient l’artiste femme qui vend le plus de disques en France, capable de remplir le Palais des sports puis le Zénith.
L’album Débranche ! en 1984, enregistré à Los Angeles, et qui contient les titres Hong-Kong Star, Calypso, Cézanne peint est un point de bascule, elle commence à affirmer sa vision artistique, d’autres influences que celle de Berger et ça se confirme totalement sur leur disque en duo Double Jeu, en 1992, où France Gall a pris le pouvoir, où elle a voulu imposer sa façon d’écouter les chansons, de les arranger, c’est elle qui est porteuse des thèmes qu’elle avait envie de chanter, de diriger la couleur de l’album, etc.
« C’est un disque assez méconnu, pas le plus gros carton, mais qui est intéressant, qui va chercher dans le hip hop, dans la musique électronique. Elle était vraiment intéressée par les musiques urbaines. En 2001, quand j’ai fait le docu sur elle, elle ne parlait que de rap et de RnB : dans les derniers spectacles, elle est sur scène avec des danseurs hip-hop. Je l’ai vue pendant six mois pour réaliser le documentaire.
Elle sortait d’une longue période de silence. Ce n’était pas quelqu’un de facile d’accès de premier abord, plutôt sauvage, discrète. Elle a eu à cœur un truc que je crois important, c’est de sortir Berger au moment où il disparaît de son statut, certes estimé, de chanteur à succès faisant de la variété française de qualité. Elle voulait vraiment qu’il devienne l’autre archange pop de sa carrière, comme en regard et en négatif de Gainsbourg, elle s’est vraiment employée, à travers les rééditions et un travail plus souterrain sans doute, pour qu’aujourd’hui, une nouvelle génération de chanteurs, interprètes et musiciens le reconnaissent à l’égal d’un Bashung ou d’un Gainsbourg. Il avait été son Pygmalion pendant des années mais sa mort précoce lui a remis en main ce rôle. » Propos recueilli par D.P.
Le salut à la muse de la jeune génération
Trois musiciens rendent hommage à France Gall, redécouverte et réinterprétée ces dernières années.
JULIETTE ARMANET / auteure-interprète, dernier album paru : « Petite Amie » (2017)
« J’écoutais encore Résiste et Bébé requin cette semaine. France Gall incarnait l’âge d’or de la chanson française, une période solaire de la musique. Sa voix a accompagné notre vie avec mes parents. Alors aujourd’hui, c’est un peu quelque chose de familial qui s’en va. Ça rassemble énormément de souvenirs d’enfance et d’adolescence, de boums qui se terminent au petit matin avec ses morceaux et tout ce qu’on pouvait projeter dans sa musique, d’amour perdu …
« J’ai surtout écouté les chansons de la période Michel Berger, et leur alliage de musicalité savante, intelligente, dynamique. Elle avait un groove en elle, un groove blanc, naïf, pas sexuel, assez enfantin. C’est rare : Sa façon de chanter sans vibrato, cet angélisme qui se dégageait d’elle et de sa musique, ça faisait tout son charme. Gainsbourg en a joué avec insolence. Ça rendait sa touche assez solaire. Ça allait bien avec Michel Berger et sa façon de faire de la musique. Sa voix presque céleste a sublimé ses compositions. Ça donne quelque chose d’humble, tendre, tout en étant intelligent. Il n’y a pas forcément de sous-texte, ça parle au cœur très directement. A l’inverse de Jane Birkin et Serge Gainsbourg. France Gall était beaucoup plus pop. Sa sincérité était désarmante. On pourrait croire que c’est facile, mais cette fluidité et l’évidence qui se dégage de ses chansons, c’est justement, ce qu’il y a de plus dur à produire en musique. C’était une muse. Sa candeur la rendait raffinée, sophistiquée. Sa pudeur l’auréolait d’un mystère dont on manque aujourd’hui. »
CHARLES DE BOISSEGUIN / Leader du groupe l’Impératrice, dernier EP « Séquences » (2017)
« J’ai acheté le même jour pour quelques euros le disque de Chic où on trouve le titre le Freak et Dancing Disco de France Gall paru en 1977. J’ai toujours écouté les deux en parallèle. Elle donne un côté naïf au disco là où c’est hypersophistiqué dans le groupe de Nile Rodgers. Mais je trouve que l’orchestration du disque de Gall était hyper crédible, et un morceau comme Musique est hyper bien foutu et je peux vous assurer que ce n’est pas du tout facile d’en faire une reprise. On a tenté, on a fini par laisser tomber. France Gall est une artiste qui m’a toujours accompagné via mes parents. Elle a une manière incroyable d’incarner les chansons avec quelque chose de beau et de touchant parce qu’elle semble imprégnée par la personne qui est derrière elle, derrière chaque chanson, que ce soit époque Gainsbourg ou période Berger, elle est une sorte d’éponge. Elle a une voix singulière, même si ce n’est pas forcément joli quand elle chante. Je crois que c’est une femme qui a beaucoup souffert et qui en même temps a été incroyablement féconde pour la créativité des gens qu’elle a croisé, une vraie muse. Elle avait ce truc inspirant et en même temps, on a l’impression qu’elle est toujours un peu à côté de ses pompes et ses interprétations sont chargées de cette fragilité légèrement déphasée. C’est rare de parvenir à ce statut en étant toujours restée une pure interprète sans avoir jamais rien composé ou écrit soi-même. C’est quelqu’un dont on va se souvenir et je pense que la nouvelle génération de chanson française est plus directement affectée par sa disparition que par celle de Johnny, même si l’écho médiatique ne sera évidemment pas du même ordre. Mais je sens dans l’approche, la sensibilité, l’ingénuité une filiation très forte. »
DAVID SZTANIŒ ALIAS TAHITI BOY / DJ, musicien, producteur, travaille sur la BO de « Au Poste » (de Quentin Dupieux)
« Quand un éditeur ou un artiste fait un appel d’offres à des auteurs compositeurs pour écrire des chansons pour une interprète aujourd’hui, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu « il nous faudrait une chanson à la France Gall », comme si ce nom continuait de faire tilt dans la tête des gens, sans qu’on sache toujours si c’est plutôt la période Bébé requin ou Babacar qui les émoustillent le plus. Elle est restée comme un fantasme de producteur à trouver une chanteuse qui soit une pure interprète et qui ait la capacité à faire décoller un titre qui chez une autre resterait cloué au sol. Elle a une voix très particulière, elle est pour moi le stéréotype pop français bien plus que Birkin qui n’a jamais perdu son accent anglais ou même que Françoise Hardy qui est restée dans un registre vocal très égal tout au long de sa carrière. Alors que France Gall, elle crie un peu, elle gueule un peu mais elle chante juste et sur des titres bourrés de complexité que seuls les musiciens savent repérer. Et puis elle a quand même tout incarné des différentes périodes de la France, entre Courrège dans les années 60 et le jogging américain dans les années 90, de la frange enfant sage à la choucroute en pétard. Il y a une chanson d’elle que j’aime tout particulièrement, Attends ou va-t’en, une chanson de -Gainsbourg, datant de 66 mais dans une version live enregistrée pour une série de concerts privés M6 où elle la reprend avec les musiciens de New Power Génération de Prince, ça sonne un peu ringard, OK, mais ça me touche beaucoup.»
Recueilli par MARIE OTTAVI et DIDIER PÉRON
Journal Libération
Date : Lundi 8 janvier 2018
Numéro : 11389