Michel Berger : le chagrin de France Gall

L’une des rares personnes à l’avoir vu sur son lit de mort a trouvé qu’il ressemblait à un ange.

Vivant, déjà, avec ses fins cheveux bouclés, sa peau si douce, il paraissait ne pas avoir d’âge, lui qui disait : « La durée dérisoire de l’existence m’est insupportable. »

Alors Michel Berger travaillait sans cesse, du matin au soir, programmant ses projets de chansons et de spectacles de Londres à New-York, de Paris à Madrid, rangeant au fond de ses tiroirs ou de sa mémoire des chansons « pour plus tard ». Il avait pris, pourtant, le temps de se reposer dans sa villa « La Grand-Baie », à Ramatuelle, surplombant la plage de Pampelonne. Avec France Gall, sa femme, et leurs enfants, Pauline, 13 ans, et Raphaël, 11 ans. Lui qui disait encore : « Je n’arrive pas à accepter le monde tel qu’il est », descendait rarement vers les rives encombrées, et s’il allait dîner en famille ou en amitié, dans un des restaurants de la région, on le remarquait à peine.

Il préférait sa piscine, entre les oliviers centenaires, ou son court de tennis niché dans le maquis, tout prêt de la villa aux grands murs blancs : Raquette en main, il s’éclatait avec des joueuses classées de l’équipe de France, mais aussi avec Béatrice Schoenberg, l’ex-journaliste de la 5, femme de Claude Michel, le compositeur, l’un de ses proches, ou Florence Schaal, la journaliste de TF1, et les amis de passage pourvu qu’ils montent au filet ! Rien ne lui faisait plus plaisir que de jouer avec la petite balle, comme il jouait avec les mots de ses chansons. C’est là, soudain, qu’un dimanche d’août, son cœur l’a trahi, peu après vingt heures. L’attaque a été foudroyante.

Réanimateurs et cardiologues, arrivés très vite à la villa, n’ont pu le ramener à la vie. Alors on s’étonne, car s’il existe des « chanteurs fous » allant au bout de leurs limites, lui ne buvait que de l’eau, ne fumait plus et mangeait peu et léger – affectionnant la cuisine   japonaise – et n’avait jamais, semble-t-il, connu d’alerte cardiaque.

Bien sûr, il disait : « Je ne veux pas être un vieux chanteur. »

Bien sûr, il chantait « La solitude, le temps qui passe et l’habitude, regarde-les, nos ennemies », mais il y tenait, à la vie. Avec France Gall, il avait réussi ce dont peut rêver tout couple de chanteurs au monde. L’harmonie du style, l’harmonie des voix avec ce « Double jeu », album entré désormais dans la légende et dont on ne peut plus entendre « Laissez passer les rêves » sans se dire que le rêve est brisé à jamais. Brisé pour nous tous qui aimions ses musiques et ses chansons, mais aussi et surtout pour France.

Un jour de 1974, elle était arrivée chez lui pour lui confier sa voix et sa voie, simplement parce qu’elle avait entendu son « Attends-moi » à la radio et qu’elle y avait sans doute vu un appel, un signe.

« Nous nous sommes retrouvés, lui au piano, moi à côté. Nous avons dialogué, un véritable échange. Un échange qui m’a obligée à changer ma vie. Michel est devenu mon compositeur de tous les instants. »

France Gall

L’année suivante, il lui écrit sa « Déclaration », puis comme s’il perpétuait leur couple en chansons, « Si maman si ». Le mariage n’est que la suite logique de ces notes et ces mots qu’ils partagent, de disque en disque, tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre.

Une fille, en 1978, un garçon, en 1981, arrivent pour peindre une image de bonheur qu’ils sauront toujours préserver. Il a fallu ainsi attendre le 22 juin dernier, au New Morning, à Paris, où il présentaient « Double jeu » à leurs amis, pour la première sortie publique de Pauline et Raphaël Gall/Berger, un patronyme qu’ils auraient pu inventer ! Tous ceux qui ont eu le privilège d’assister à cette soirée se souviendront de « Gallberger » en live, mais aussi de Raphaël et Pauline reprenant en chœur les chansons de leurs parents. On ne peut s’empêcher de disséquer, aujourd’hui, certains des mots voulus par Michel. Comme dans « Jamais partir » où il exprime l’espoir, le désir de rester toujours près de ceux que l’on aime : « Il ne faudrait jamais partir. Mais quelqu’un sera là peut-être pour se souvenir que j’étais là, que c’était toi. »

Balavoine avait écrit, lui, « Partir avant les miens » comme une prémonition. Une chanson que Michel Berger connaissait par cœur. Comme il connaissait le chanteur, dont la disparition soudaine, en 1986, à 33 ans, l’avait bouleversé : « Daniel était la seule personne à qui je pouvais vraiment demander son avis sur mon travail. Parce que je croyais en la valeur de ses jugements. C’était un aventurier dans le bon sens du terme, qui  cherchait avant tout, à briser les injustices du monde. »

Aussi, sans tapage, dans l’ombre, Michel avait souhaité participer au combat de l’association Action école, comme Balavoine, avant tout pour sensibiliser les jeunes à la réalité africaine. « Babacar », l’un des nombreux succès de France, lui venait de cette expérience. Pour Michel, la chanson était, avant tout, un engagement et remontait très loin.

En 1994, en effet, il aurait déjà fêté ses trente ans de chansons ! Qui se souvient encore que Michel a été l’enfant prodige de la vague yéyé, chouchou de l’émission de radio « Salut les copains » ?

En 1963, il enregistrait « Tu n’y crois pas ». Il y croyait tant qu’au fil de ses aspirations et de ses inspirations, il avait su donner de la voix pour lui, pour Véronique Sanson, pour France et pour quelques rares autres, dont Françoise Hardy. Une réussite à laquelle, malgré sa discrétion légendaire, il associait ses parents : « Mon père, Jean Hamburger, le premier à avoir réussi une greffe du rein, aurait sans doute préféré que je fasse médecine et ma mère, la concertiste Annette Hass, que je me consacre à un tout autre type de musique, mais … »

Michel avait perdu son frère aîné, Bernard, en 1985, des suites d’une sclérose en plaques. C’était un architecte de talent. Il lui avait rendu hommage en choisissant pour son « Grand Échiquier », cette année-là, l’une de ses réalisations pour décor. Michel avait aussi une sœur, Françoise, unie dans le chagrin à France Gall, pour qui et avec qui il chantait « Toi, sinon personne », aveu d’amour, aveu de passion pour celle qui n’a jamais cessé de répéter : « Je n’ai envie de travailler avec personne d’autre que Michel. Aucune musique ne me touche comme la sienne. C’est lui qui me connaît le mieux au monde. »

Magazine : Télé 7 Jours
Par Vincent Balin
Date : du 15 au 21 août 1992
Numéro : 1681

Merci à Elisabeth.

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