Poupée de CD, poupée de son (Presse)

L’article

Sport national des sixties françaises, l’adaptation de succès anglo-saxons dans la langue de Molière faisait preuve de la nécessité d’alors mais aussi d’un manque d’originalité.

Peu d’artistes yéyé on dérogé à cette règle d’exploitation du répertoire des pairs, exceptés Françoise Hardy, Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg et … France Gall.

Ne faisant quasiment aucune concession à cette culture étrangère, France Gall a tout de suite chanté des compositions originales créées spécialement pour elle. Il est certain que le succès de cette période (Philips, de novembre 1963 à avril 1968), retracée-dans le coffret de quatre CD « Poupée de son » (Polydor 513173-2) correspond pour une grande part à cette ligne de conduite. En effet, sur les 66 morceaux retenus il n’y a que deux adaptations, un exploit pour l’époque.

Pour ce coffret, les 66 chansons sélectionnées sont réparties en quatre disques (soit deux fois 16 et deux fois 17 morceaux). Chacun porte le nom du titre-phare de la période parcourue « Laisse tomber les filles », « Poupée de cire, poupée de son », « Les sucettes » et « Bébé requin ». Un livret luxueux reprend la biographie de Martine Bordeneuve publiée dans Juke Box Magazine N°20, agrémenté de très belles photos.

Pour chacun des CD un mini-livret reproduit le texte de la chanson générique. Si la conception est simple, le résultat est des plus satisfaisants. Néanmoins, trois reproches s’imposent. Le premier est que, bizarrement, certaines plages de super 45 tours ont été occultées dont le duo avec Mireille Darc « Ne cherche pas à plaire ». Secondo, il n’y a malheureusement pas de versions étrangères de ses succès pourtant nombreuses et difficiles à trouver sur le marché du collector. Notamment en allemand : « Meine Erste Grosse Libe » (« Mes premières vraies vacances »), « Das War Eine Shone Party » (« Poupée de cire, poupée de son »), « Haïfishbaby » (« Bébé requin »), sans parler de celles n’existant pas dans notre langue comme « Samstag Und Sonntag », « Was Will Ein Boy », « Alle Reden Von Der Liebe », « Der Computer Nr 3 », etc. Mais aussi en italien « lo Si, Tu No’ » (« Poupée de cire, poupée de son »), « Se Agli Amici Dirai » (« Ne dis pas aux copains »), « La Pioggia », « Matrimonia D’Amore » ; et en japonais, langue dans laquelle elle a chanté « Poupée de cire, poupée de son », « Un prince charmant » et « Faut-il que je t’aime ». Tertio, il n’y aucun inédit pour satisfaire l’appétit féroce du collectionneur assidu alors que, forcément, il y a quelque part des chutes de studio, des moments saisis sur bande magnétique et jamais diffusés (il y en a bien pour Boris Vian, Jacques Dutronc ou Ritchie Valens). De mémoire, en 1967, le petit écran nous a gratifié de deux morceaux d’anthologie dus à la plume de Serge Gainsbourg, « Dents De Lait, Dents De Loup » (en duo) et « Qui Se Souvient De Caryl Chessman ? ». Sans bouder notre plaisir à la découverte de ce coffret, il est dommage qu’en de telles occasions on ne réédite pas de tels joyaux. Musicalement et vocalement, le style de France Gall est unique. Sa voix à peine sortie de l’enfance est mise en exergue par Maurice Vidalin, Alain Goraguer, Robert Gall (son père), Jacques Datin, Guy Magenta et Serge Gainsbourg. Ce dernier, véritable pygmalion de France, a su l’imposer via le Grand Prix de l’Eurovision, le 20 mars 1965. France Gall reste pour beaucoup l’interprète majeure des premières pop-songs françaises (qu’affectionneront Lio ou Elli Medeiros dans les années 80), conjuguant variété hexagonale et rock d’inspiration anglo-américaine. Serge Gainsbourg signe neuf titres sur cette anthologie, dont trois sont repris comme thème générique. Chapeau.

Laisse tomber les filles

Volume 1 : Mes premières vraies vacances / Jazz à gogo / Soyons sages / Les rubans et la fleur / pense à moi / Ça va je t’aime / La cloche / N’écoute pas les idoles / J’entends cette musique / Ne dis pas aux copains / Ne sois pas si bête / Si j’étais garçon/ Laisse tomber les filles / Le premier chagrin d’amour / Christiansen/ On t’avait prévenue. (Polydor 849 297-2)

En 16 morceaux, le premier CD intitulé « Laisse tomber les filles » reprend les titres des quatre premiers super 45 tours de France Gall parus entre novembre 1963 et août 1964. Le livret intérieur présente l’ekta qui a servi pour le quatrième EP (Philips 434 949), mais dans un plan plus large et en noir et bleu, alors que la pochette du disque original était en couleurs. Dommage pour les yeux noisette de France. La recomposition de la pochette à partir du cliché d’origine est à mon avis la meilleure solution à retenir dans l’optique d’une réédition en coffret CD. Le livret qui accompagne chacun des compacts reprend le texte de la chanson choisie comme thème principal, idée sympathique à laquelle il aurait été bon d’ajouter des renseignements sur les sessions d’enregistrement. Car même si le fond de catalogue de France Gall est passé de chez Philips à Polydor, ces deux maisons de disques dépendant du groupe Polygram cela ne devait guère poser de problème. En effet, qui mieux que la compagnie peut répondre à ces interrogations de fans ?

Dès ses premiers pas dans le métier, France Gall abandonne le lycée Paul Valéry à Paris, alors qu’elle est en troisième. Pari osé ! Et tenu ! Car l’ingénue lolita, qui ne chante pas encore de textes à double sens, voit ses paroles entièrement vouées aux garçons de son âge. Son public est bien sûr essentiellement composé d’adolescents. Un avantage sur le moment, mais également un inconvénient, car ceci est rarement synonyme de carrière durable. Un obstacle que France a su franchir au cours de ses trente ans de carrière, qui a été tragiquement marquée par la mort de son mari Michel Berger à l’été 1992. Ce premier CD s’ouvre sur « Mes premières vraies vacances », un titre qu’elle enregistre en 1964 alors que sa carrière a débuté depuis presque sept mois, à l’automne 1963, lorsqu’elle décide de partir seule au bord de la plage. C’est le morceau-phare de son troisième EP (Philips 434 914), paru en mai 1964. Il est suivi de « Jazz à gogo » à l’ambiance jazzy (comme son nom l’indique) que France a choisi de mettre en valeur lors de ses passages sur le petit écran. Mais le public en décide autrement en jetant son dévolu sur « Mes premières vraies vacances », Le slow « Soyons sages », co-signé par le papa de la vedette, passe carrément au second plan. « Les rubans et la fleur », extrait de son deuxième super 45 tours (Philips 434 874) en mars 1964, conte une bien jolie histoire à la chute romantique. Le collectionneur a lui retenu que pour ce disque il existe deux pochettes, la première n’ayant pas capté les faveurs de l’intéressée, elle a été refaite. « Pense à moi », le titre suivant calqué sur le « Take Five » de Dave Brubeck Quartet, est issu de son premier EP (Philips 434 807), commercialisé le 23 novembre 1963. C’est le deuxième morceau à bénéficier d’un passage télé. Le succès de France est d’ailleurs conséquent puisque les ventes de son disque atteignent vite les 200 000 exemplaires. Pour une première c’est plutôt une bonne surprise !

« Ça va je t’aime », tiré de la même rondelle de vinyle, est l’adaptation de « Hip-Huggers » de E. Lewis et R. Moseley. Le tempo est soutenu pour pouvoir danser en rythme le surf, dans les discothèques comme dans les surboums. « La cloche » (du troisième super 45 tours) jouit d’un film scopitone que les amateurs de l’époque peuvent à loisir regarder dans les cafés équipés de ce matériel. « N’écoute pas les idoles », sur son second disque, est une fantastique chanson acidulée signée Serge Gainsbourg. Planant au-dessus de ses contemporains, Serge concocte ici pour France un morceau très humoristique où une fille demande à son petit copain de l’écouter à la place de toutes ces nymphettes qui envahissent les ondes. Bien évidemment, France ne précise pas qu’elle a le privilège de s’adresser à ce même garçon à travers cette même radio. Il s’agit sans doute d’un moyen détourné utilisé par Gainsbourg pour se moquer des lolitas d’alors ! Pour la petite histoire, rappelons que Europe N°1 propose justement sur ses ondes un jeu pour gagner une Alfa-Roméo intitulé .. Écoutez Les Idoles ! « J’entends cette musique », qui nous ramène au premier EP, est la transposition d’un thème classique d’Albinoni sur le mode slow. « Ne dis pas aux copains » (du deuxième) est une tendre déclaration, tandis que « Ne sois pas si bête » est le premier succès de France Gall à être diffusé à la radio, le 9 octobre 1963, sur Europe 1, puis sur les ondes hertziennes par l’intermédiaire de Jean-Christophe Averty au cours de son émission Les Raisins Verts, fin novembre 1963. Avec l’appui de tels moyens médiatiques, nul doute que bon nombre de jeunes filles se reconnaissent dans les paroles de cette seconde reprise, adaptée de « Stand a little closer » de Jack Wolf et Bugs Bower.

« Si j’étais garçon », aussi de son deuxième super 45 tours, porte un regard envieux sur les libertés de ces derniers. Enfin « Laisse tomber les filles », « Le premier chagrin d’amour », « Christiansen » et « On t’avait prévenue » reprennent dans l’ordre (?) le quatrième EP (Philips 434 949) disponible chez les disquaires début août 1964. « Laisse tomber les filles », signé Serge Gainsbourg, conseille aux garçons de délaisser la gente féminine car (dixit) : « Un jour c’est eux qu’on laissera ». Ces propos cyniques et pourtant réalistes font que cette chanson jouit d’une exploitation en scopitone et d’une reprise, au début des années 80, par le groupe belge les Tueurs De La Lune De Miel. « Le premier chagrin d’amour » est interprété par France sur un rythme lent qui lui convient bien. « Christiansen » connaîtra quelques années plus tard, grâce à une exploitation tardive via le petit écran, une seconde gloire. « On t’avait prévenue » sonne très Gam’s, sans qu’il nous soit malheureusement possible de savoir quelles sont les filles qui lui donnent la réplique. Dommage. En cet été 1964 c’est la consécration pour France Gall qui figure quatre fois au hit-parade de Salut Les Copains avec « La cloche » (N°11), « Les rubans et la fleur » (N°16), « Mes premières vraies vacances » (N°19) et « N’écoute pas les idoles » (N°29).

L’orchestre que l’on entend tout au long de ces 16 plages, tirées de ses quatre premiers super 45 tours, n’est autre que celui d’Alain Goraguer, l’un des arrangeurs attitrés de chez Philips et maître d’œuvre des enregistrements de Boris Vian, Juliette Gréco, Serge Gainsbourg, etc. De cette période, il faut également retenir un 25 cm paru en mars 1964 (Philips B 76585) qui contient les deux premiers EP et un album 30 cm (Philips B 77805), disponible en août 1964, compilant les trois premiers super 45 tours. Beaucoup de doublons donc, mais un régal pour le collectionneur averti. Le livret accompagnant ce premier CD reprend les photos de pochette du deuxième EP (dans sa seconde édition) et du quatrième, tandis qu’à l’intérieur du livret général figure celle du troisième. Il n’y a donc que le recto du premier super 45 tours qui ne soit pas utilisé, où France y apparaît très jeune et pure.

Poupée de cire, poupée de son

Volume 2 : Poupée de cire, poupée de son / Nounours / Bonne nuit / Sacré Charlemagne / Un prince charmant / Le cœur oui jazze / Dis à ton capitaine/ Au clair de la lune / Le temps de la rentrée / Attends ou va-t’en / Mon bateau de nuit / l’Amérique / Nous ne sommes pas des anges / On se ressemble toi et moi / Deux oiseaux / Et des baisers. (Polydor 513 132-2)

Le deuxième CD inventorie la période qui s’étale de janvier à septembre 1965. Une époque d’activité intense puisque pas moins de quatre super 45 tours sont gravés au cours de ces neuf mois ! France Gall se produit également sur scène, notamment à l’occasion du Musicorama programmé le 12 janvier 1965 à l’Olympia, avec les Missiles, Romuald, Ria Bartok et Adamo. Puis la tournée le Cirque France Gall l’emmène sur les routes de France de juillet à septembre, avec pas moins de 29 dates rien qu’au mois d’août I Elle se rend aussi au Japon, en Allemagne et en Italie. France Gall enregistre coup sur coup l’immense succès infantile « Sacré Charlemagne » et la géniale ballade avec grand orchestre « Poupée de cire, poupée de son ». L’artiste devient synonyme de ventes énormes. « Poupée de cire, poupée de son », le tube de l’Eurovision, atteint les deux millions d’exemplaires. Aucune des pochettes de ces quatre EP n’a été retenue pour le livret correspondant, par contre c’est la couverture de l’album paru en mai 1965 qui illustre ce compact, avec en bonus un cliché inédit de la même session !

« Poupée de cire, poupée de son » introduit ce deuxième CD dont c’est le titre-phare. C’est bien évidemment la chanson qui a remporté le Grand Prix de l’Eurovision au soir du 20 mars 1965 devant plus de 150 millions de téléspectateurs. Cette œuvre est une grande première puisqu’elle permet à son interprète de mettre sur le même plan qu’elle son compositeur Serge Gainsbourg et son orchestrateur Alain Goraguer. Il est bon aussi de rappeler que ce n’est pas la France (le pays, représenté par Guy Mardel) qui a gagné à cette occasion, mais le Luxembourg (qui avait déjà triomphé grâce à Jean-Claude Pascal et Isabelle Aubret) pour qui France (la chanteuse) concourrait. On a beaucoup écrit sur ce concours et il ne semble pas nécessaire d’en rajouter (voir JBM N°20). Mieux vaut tenter de se procurer en vidéo ses passages télé comme ceux des émissions « Au-delà de l’écran », de Jean Nohain, présentée par Pierre Louis, pour se donner une idée des débats d’alors. On peut encore jeter une oreille sur les reprises existantes de Claude France, Janie Jurka, Twinkle (en anglais, sous le titre « A lonely singing doll »), Jackie ou de l’orchestre de Pierre Spiers, pour se faire son petit play-back à soi, sans oublier la version du groupe punk Oberkampf. Après ce grand moment on repart sur « Nounours » et « Bonne Nuit », deux chansons enfantines tirées de son cinquième EP (Philips 434 962), destinées, comme leurs titres l’indiquent, aux très jeunes et qui, avec le recul, n’ont guère d’intérêt. « Sacré Charlemagne », du même disque, a fait le tour du monde puisque cette chanson composée par son père Robert Gall et Georges Liferman a été traduite en plus de 16 langues. Un beau coup qui permet à « Sacré Charlemagne » de se vendre à plus de deux millions d’exemplaires ! Malgré son succès, le public de France Gall, celui des 15-18 ans, ne suit pas pleinement cette ode pré-Dorothée, lui préférant ses autres disques.

C’est le cas de « Un prince charmant », un joli conte de fée comme toutes les filles romantiques en rêvent. « Le cœur qui jazze », aux réminiscences jazzy, permet d’apprécier la voix de France joliment doublée, tandis que « Dis à ton capitaine » la présente beaucoup plus sûre d’elle, à la fois dans ses intonations et le choix des paroles. Ces trois morceaux figurent sur la même rondelle, celle de son sixième super 45 tours, avec le hit « Poupée de cire, poupée de son » (Philips 437 032), paru en mars 1965. « Au clair de la lune » est la dernière chanson issue de son cinquième EP « Sacré Charlemagne » où elle chante pour les petits : « Le temps de la rentrée » provient de son huitième disque (Philips 437 125), publié comme son titre le suggère en septembre 1965. « Attends ou va-t’en » (signé Serge Gainsbourg) et « Mon bateau de nuit » sont extraits du septième super 45 tours (Philips 437 095), de mai 1965, qui marche bien, mais sans plus, faute de titre vedette après ses deux derniers tubes. Il est vrai qu’il est difficile de rééditer quatre mois après des immenses succès comme « Sacré Charlemagne » et surtout « Poupée de cire, poupée de son ». Surtout que sont parus entre-temps le 25 cm intitulé « Sacré Charlemagne » (Philips B 76602) qui compile, sans inédit, ses quatrième et cinquième EP, et le 33 tours 30 cm baptisé « Poupée de cire, poupée de son » (Philips B 77 728) qui contient lui ses troisième, quatrième et cinquième super 45 tours, également sans aucune chanson différente ! Encore quelques doublons en perspective dans la discothèque des fans de France et des trous dans leur budget ! « L’Amérique », de son huitième EP, renoue avec le grand succès commercial, même si c’est un morceau un peu facile dans les paroles comme dans la chute. Il n’empêche que France fait triompher « l’Amérique » lors de sa prestation à l’émission TV d’Albert Raisner « Age tendre & têtes de bois ». « Nous ne sommes pas des anges », du même disque et de Serge Gainsbourg, est en revanche un grand moment où interprète et orchestre s’en donnent à cœur joie, un peu dans le même esprit que « Poupée de cire, poupée de son ». Ce titre vaut également à France Gall un passage dans l’émission de Denise Glaser, Discorama. Pour la petite histoire, « Nous ne sommes pas des anges » aurait d’abord été proposé par Serge à Barbara, mais la version enregistrée par la Dame en noir n’est pas sortie et est restée à l’état d’acétate. Dommage ! « On se ressemble toi et moi », toujours sur le même super 45 tours, propose un texte ambigu sur un rythme mid-tempo. Le CD se termine sur deux morceaux de son septième EP, « Deux oiseaux » et « Et des baisers ». La production de ce dernier thème est particulièrement léchée et enjolivée par des voix féminines à profusion.

Les sucettes

Volume 3 : Baby pop/ Faut-il que je t’aime / Cet air-là / C’est pas facile d’être une fille / Les sucettes / Quand on est ensemble / Bonsoir John-John / La rose des vents / La guerre des chansons / Celui que j’aime / L’écho / Boom boom / Tu n’as pas le droit / Il neige / Oh ! Quelle famille / Les leçons particulières / J’ai retrouvé mon chien. (Polydor 513 133-2)

L’avant dernier CD intitulé « Les Sucettes » compile les trois super 45 parus successivement en novembre 1965, mars 1966 et août 1966 et des titres de l’album « France Gall », sorti en janvier 1967, tout ceci avec l’orchestre d’Alain Goraguer. A l’insu de France, Serge Gainsbourg lui compose une ode à la caresse buccale, « Les Sucettes » ! Une supercherie qui en, dehors des initiés, n’a choqué personne au départ, avant de faire scandale quelque temps plus tard. En attendant, « Baby pop », de son neuvième EP (Philips 437 159), connaît une exploitation en scopitone ainsi qu’une critique sévère lors d’une intervention télévisée de Henry de Monfreid : « Quand j’étais en Afrique j’ai vu danser les nègres, c’est exactement la même chose. Je suis étonné que les mœurs de ces gens-là si primitifs soient venues échouer à Paris. Ceci n’empêche pas « Baby pop » du sieur Gainsbourg de faire un carton, au contraire. Les trois morceaux suivants sont tirés du même disque. « Faut-il que je t’aime » raconte l’histoire d’une fille qui trompe son petit copain dans les bras d’un autre, mais comme elle aime beaucoup le premier elle lui dit tout. « Cet air-là » est une chanson prétexte à de superbes arrangements où l’orgue et la voix de France s’entremêlent parfaitement. Il est impossible de savoir si sa voix est simplement doublée ou si elle est appuyée par des choristes. Sans doute les deux. « C’est pas facile d’être une fille » alterne le tempo de slow avec celui d’un rythme plus soutenu où sa voix est tantôt douce, tantôt criarde. Sur « Les sucettes », issu de son dixième EP (Philips 437 229), tout a déjà été dit et il n’y a pas grand-chose à rajouter, si ce n’est que l’auteur a repris en 1969 sa création sur l’un de ces disques, tout comme l’Ensemble Vocal Garnier et plus récemment Zéro De Conduite. Les documents télé sur « Les sucettes » sont nombreux dont les émissions Viva Morandi de Pierre Desfons et Au Risque De Vous Plaire de Jean-Christophe Averty, entre autres. Il en va de même pour le titre suivant, « Quand On Est Ensemble », qui occasionne le passage de France dans le programme de Denise Glaser du dimanche midi, Discorama. Il est par contre regrettable que les chansons « Ça me fait rire » et « Je me marie en blanc », de ce même super 45 tours, aient été écartées de ce coffret France Gall.

« Bonsoir John-John », de son onzième EP (Philips 437 259), est dans les bacs des disquaires en août 1966 et est dédié au fils du président américain assassiné, John Kennedy. C’est une tendre ballade dans laquelle l’artiste se permet quelques conseils à l’héritier de la Maison Blanche. « La rose des vents », de la même galette, recèle un texte pré-psychédélique sur des effets sonores des plus réussis. « La guerre des chansons » évoque le duel à trois Antoine « Les élucubrations » / Johnny Hallyday « Cheveux longs et idées courtes » / Ronnie Bird « Chante », où tous s’envoient des fleurs empoisonnées par chanson interposée ! Le morceau « Celui que j’aime », avec « L’écho » en face B, provient d’un simple sorti en janvier 1967 (Philips 373 928). Le premier titre est un tendre slow dédié à l’homme de ses pensées. Peut-être Claude François. Et le second est prétexte à un effet de studio basé sur … l’écho ! Ces deux chansons figurent également sur le rare LP « France Gall » (Philips 70387). « Boom boom », tiré de son onzième EP, est une onomatopée autour de laquelle est construite cette petite ballade aux réminiscences quaternaires Les quatre morceaux suivants sont parus uniquement en simple et toujours sur le même album, ce qui en fait des disques très recherchés. « Tu n’as pas le droit » est couplé à « Il neige » (Philips 373 915), tandis que « Oh ! Quelle famille » est associé à « J’ai retrouvé mon chien » (Philips 373 874). « Tu n’as pas le droit », au rythme syncopé, ne ressemble que très peu au reste de la production de France. La voix n’est plus celle d’une petite fille mais au contraire très grave et mixée au milieu de la musique, alors que d’habitude elle est en avant. « Il neige » est une mélodie romantique. « Oh ! Quelle famille » fait participer le chœur des Petits Chanteurs de l’Ile-de-France sur cette ballade très proche de la variété. Enfin « J’ai retrouvé mon chien », toujours avec les mêmes chœurs, est plus anecdotique, mais avec un détail amusant, puisque le nom du chien est celui de Charlemagne ! A tout cela vient s’ajouter « Les leçons particulières », un titre publié uniquement sur le 33 tours, témoin du nouveau style de notre nymphette-lolita-sexy, plus branchée variété.

Bébé requin

Volume 4 : Bébé requin / Teenie Weenie Boppie / Les yeux bleus / Made in France / La petite (avec Maurice Biraud) / Toi que je veux / Chanson indienne / Gare à toi Gargantua / Avant la bagarre / Chanson pour que tu m’aimes un peu / Nefertiti / La fille d’un garçon / Polichinelle / Dady da da/ Le temps du tempo / Allo monsieur là-haut / La vieille fille. (Polydor 513 172-2)

Le dernier compact est consacré à la dernière partie de la carrière Philips de France Gall, de septembre 1967 à avril 1968, occultant ainsi plusieurs morceaux parus à l’automne 1968, tout en en ajoutant un autre. Une démarche sans doute justifiée par des histoires de droits, mais qui fait que l’on a un peu de mal à s’y retrouver ! Le EP avec le fameux duo France Gall/ Mireille Darc « Ne cherche pas à plaire » (Philips 437 339, par ailleurs réédité en CD dans le coffret « Actrices » de chez Philips en 1991) a été écarté, ainsi que les deux titres du simple « Y’a du soleil à vendre » / « Mon p’tit soldat » (Philips 370 675) et les quatre de son ultime super 45 tours (Philips 437 446), « 24/36 », « Souffler les bougies », « Rue de l’abricot » et « Don’t make war, captain, make love», avant qu’elle ne signe en 1969 chez La Compagnie. En revanche, « Avant la bagarre » du très rare album paru en février 1968 (Philips 844 706) a été repêché. La pochette du livret reprend une photo de la même session, signée André Breg, que celle de son treizième EP, à la différence que sur le disque initial de novembre 1967, « Bébé requin », elle sourit de ses dents nacrées et que ce n’est plus le cas ici.

« Bébé Requin », justement tiré de son treizième disque (Philips 437 358), est signé du trio Joe Dassin, Jean-Michel Rivat et Frank Thomas qui a eu l’idée d’inclure un riff à la trompette pour cette ballade pop. Une trouvaille géniale qui contribue à l’immense succès de ce thème qui rehausse à merveille la voix acidulée de France Gall. On aimerait d’ailleurs en savoir plus au sujet de ce super 45 tours car c’est le seul de sa discographie Philips à avoir été enregistré à Londres au studio Chapell et au studio 10, en octobre 1967, sous la direction de David Whitaker. Jusqu’à présent tous les autres morceaux ont été réalisés chez Bagatelle, la maison de production de Denis Bourgeois, sur des orchestrations d’Alain Goraguer. « Bébé requin » marche vite très fort, tant à la radio que sur le petit écran, notamment dans l’émission TV Tous En Scène. Beaucoup de gens pensent d’ailleurs qu’il s’agit d’une nouvelle composition signée Serge Gainsbourg. Ce qui est le cas de « Teenie Weenie Boppie », sur le même disque. Après son expérience des « Sucettes », ce thème conte cette fois les déboires de France Gall avec les hallucinogènes, mais sans employer la première personne. On ne sait jamais ! « Les yeux bleus », issu du douzième super 45 tours (Philips 437 317), disponible en février 1967, est une ballade plutôt quelconque. « Made in France » (du treizième) est beaucoup plus réussi, avec son refrain oscillant entre la langue anglaise et celle de Molière. Influencées par la mode londonienne, les paroles rendent hommage à cette capitale de la musique pop : « Accordéons qui balancent / Les Gauloises et la pétanque / Tour Eiffel et camembert / Et Maurice Chevalière / C’est made in France / Mini-jupes et maxi-bottes / Liberty jusqu’à non-stop / Burlington, Julie Christie / And the Salvation Army / lt’s made in England ». « La petite », sur son douzième disque, nous amène à son duo avec l’acteur Maurice Biraud, alors animateur vedette sur Europe 1, la station de Salut Les Copains dont France Gall est l’une des artistes chouchou. On peut se demander qui a eu l’idée d’une telle collaboration ? Pour certains c’est d’un ringard le plus complet, pour d’autres c’est totalement génial, à ceux-là j’offre le refrain « Un jour les oisillons prennent leur envol / Les petits deviennent grands il n’y a plus d’enfants ». En tout cas, un gros succès en radio et en télé, entre autres dans l’émission Sacha Show de Sacha Distel. « Toi que je veux », de son quatorzième super 45 tours (Philips 437 393), édité en janvier 1968, est beaucoup plus abouti. Grâce à une armée de violons, clairons, une trompette et divers autres effets on n’est pas très loin des perles psychédéliques que les groupes anglo-saxons proposent alors. « Chanson indienne », sur le même EP, est comme son nom l’indique une ballade branchée hippie qui, avec son sitar mixé en avant, le recul du temps et son côté kitsch, est loin d’être désagréable.

« Gare à toi, Gargantua », issu de la même session, parle d’appétit gastronomique et surtout libidineux sur un fond mid-tempo, sans être un morceau inoubliable ni indispensable. Le très rare « Avant la bagarre », commercialisé uniquement en LP, répond plus à une optique rock et rythmée, avec des paroles évoquant une algarade au sujet d’une fille. Retour au treizième super 45 tours avec « Chanson pour que tu m’aimes un peu » qui nous laisse apprécier une guitare acoustique superbement conjuguée à la voix de France et mérite que l’on y prête une oreille attentive. « Néfertiti » est sans doute le meilleur morceau de son douzième disque, rien d’étonnant à cela puisqu’il est l’œuvre de Serge Gainsbourg. Il évoque ici la reine d’Égypte sur un fond de cithare et de luth, prétexte à une mélodie orientale et à … autre interprétation phonétique du titre. « La fille d’un garçon » (du quatorzième EP) est une ballade romantique où le violon donne le rythme. « Polichinelle » (du douzième), à la ligne mélodique plus soutenue, évoque la rencontre de France avec son prince charmant. Enfin les quatre derniers morceaux reprennent l’intégrale de son quinzième super 45 tours, sorti en avril 1968 (Philips 437 423). « Dady da da » n’est pas inconnu des téléspectateurs puisque ce thème a servi de générique, dans sa version instrumentale de Michel Colombier, pour l’émission TV Dim Dam Dom, et pour le show télé Le Lapin De Noël, une mini-comédie musicale, à laquelle France Gall participe en compagnie de Françoise Hardy, Serge Gainsbourg et Jean Rochefort. Pour « Le temps du tempo », France nous gratifie de cris d’indiens et d’un solo d’onomatopées. « Allo, monsieur là-haut » lui permet de téléphoner successivement à Dieu le Père, Saint-pierre, Lucifer et aux anges, le tout sur un fond de piano classique. Étonnant. « La vieille fille », qui clôt ce compact, est une complainte pour rencontrer l’homme de sa vie et ne pas finir vieille fille.

France Gall méritait amplement cette intégrale – moins neuf titres – en compact « Poupée de son » tant la première partie de sa carrière est riche en joyaux musicaux, conjuguant variété et rock à la française (avec parfois un petit complexe spectorien dans la production). Il existe également un CD compilation de 23 titres, lui aussi baptisé « Poupée de son » (Polydor 849 296-2) qui résume son itinéraire de 1963 à 1968. Audition faite, bon nombre de ces plages ont su conserver toute leur fraîcheur en ce début des années 90, ce qui est après tout le plus beau compliment que l’on puisse retourner à France Gall trente ans après.

Christian EUDELINE

Courrier

Richard ROSSI – Paris

Je tiens à féliciter Martine Bordeneuve au sujet de la rédaction du livret accompagnant la publication de l’intégrale des chansons enregistrées par France Gall chez Philips de 1963 à 1968 (coffret Polydor 4 CD). D’autant plus que vous êtes sans doute la première à vous consacrer à l’étude du parcours professionnel de France Gall alors que beaucoup de biographes s’attardent surtout sur la vie privée des artistes ou sur des anecdotes. Personnellement, je ne connais pas France Gall mais j’ai été séduit par sa voix dès ses débuts en 1963 (j’ai 45 ans) et, dès ce moment-là, j’ai été ému par cette artiste que j’ai perçue comme exceptionnellement authentique, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi. Authentique dans la recherche de son expression, notamment avec cette détermination à ne vouloir interpréter que des chansons qui lui ressemblent et créer des œuvres originales (alors qu’elle fut contrainte, à plusieurs reprises dans sa carrière, d’enregistrer quelques adaptations américaines et italiennes). Cependant, sans connaître personnellement France Gall, je l’ai quelquefois approchée lors de son vrai retour à la chanson et de sa collaboration avec Michel Berger (entre 1976 et 1980). Et je sais que l’un et l’autre ont toujours été opposés à l’exploitation de leur vie privée. Michel Berger insistait sur le fait que la vraie perception que l’on peut avoir d’un artiste est de s’intéresser à ce qu’il fait et non pas à ce qu’il est. Ainsi, je pense que votre travail doit satisfaire la chanteuse. Toujours à propos du livret de l’intégrale Polydor (mais je suppose que vous en êtes maintenant informée), une partie de votre texte a été imprimée deux fois et de ce fait une autre partie manque. Bien entendu, je serais très heureux de connaître le contenu de la partie manquante et Polydor, que jai contacté, m’a proposé de me faire parvenir le livret rectifié. Parallèlement, je m’étonne que cette intégrale n’ait pas pris en compte les deux derniers enregistrements de France Gall chez Philips (simple 370 675 et EP 437 446). Ce n’est pas vraiment une intégrale ! C’est toujours un peu frustrant pour le « fan » de constater des mystérieuses occultations (heureusement que j’ai les disques de l’époque !). D’autre part, je voudrais vous signaler que la musique de la chanson « Dady Da Da » {quel titre malheureux …) est bien celle composée par Michel Colombier comme indicatif d’une émission télé, mais, selon mes souvenirs ce n’était pas celui d’un show de Brigitte Bardot. Je pense qu’il s’agissait de celui du magazine dominical de Daisy de Gallard destiné aux dames (DAM) et aussi aux hommes (DOM). L’indicatif de Dim Dam Dom a été ultérieurement adapté pour France Gall et celle-ci l’a ensuite chanté dans un des numéros de la série. Une suggestion à propos de la réédition des chansons de France Gall. La maison de disques ne pourrait-elle pas envisager l’édition d’un CD regroupant toutes les chansons écrites par Gainsbourg pour France Gall ? A ma connaissance, en plus des neuf chansons composées par Gainsbourg et disséminées dans l’intégrale, deux chansons semblent avoir été enregistrées chez Philips mais non éditées : « Dents De Loup, Dents De Lait » (duo Gall/Gainsbourg en 1966) et « Qui Se Souvient De Caryl Chessman ? » (1967 ou 68). Puis, en 1972, deux autres chansons de Gainsbourg ont été enregistrées par France Gall chez Pathé (simple C006 12207) : « Les Petits Ballons » (musique de Jean-Claude Vannier) et « Frankenstein ». Enfin, une chanson interprétée par Gainsbourg en 1964 et à laquelle France Gall a activement participé et cela a peu été mentionné, c’est « Pauvre Lola» (LP Philips « Gainsbourg Percussions »). Le rire que l’on entend est bien celui de France Gall et non celui de Brigitte Bardot comme je l’ai déjà lu. Gainsbourg aura d’ailleurs été le premier à utiliser son rire et surtout comme un instrument de musique (des grelots) puisque les percussions étaient le principal accompagnement musical de son album. Comme vous le savez, le rire de France Gall sera plus tard l’essentiel de la chanson « Ça Me Fait Rire ». Je vous remercie de votre travail en espérant qu’il y aura peut-être des suites.

Magazine : Jukebox Magazine
Date : Novembre 1992
Numéro : 64

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