France Gall : tout pour la musique (Presse) Elle

C’est en chantant qu’elle a rencontré Michel Berger et qu’ils se sont aimés. Et en chantant toujours qu’elle a puisé la force de surmonter ses deuils, sans rien oublier de ses douleurs.

Aujourd’hui, elle nous fait le cadeau de son anthologie, « Évidemment ». Portrait d’une musicienne.

« Musicienne », c’est ce qu’indique son passeport. Ce mot est son bonheur, le bonheur d’une vie que le sort s’est pourtant acharné à malmener. Retenez ça, « musicienne », c’est sa résistance, son sourire d’aujourd’hui, sa légèreté, là, assise sur le canapé, frange blonde mythique, pull marin, pas maquillée, douce et vive, le phrasé rieur comme pour vous rassurer. L’inéluctable admis sinon consenti.

Il y a des pertes qui renvoient au rien, d’autres qui sont le témoin éblouissant de ce qui fut vécu, créé, partagé. La preuve, s’il en était besoin, avec cette compilation .de treize disques, l’intégrale de ses chansons que publie aujourd’hui une France Gall sereine. Michel Berger à ses côtés. Présent. « Son plus gros défaut, c’est qu’il est invisible », glisse-t-elle.

Le tour de force de ces deux-là est d’avoir fait oublier l’immense travail qui a présidé à vingt ans de succès, de mélodies connues. C’est que chacun de nous prenait à son compte la rythmique du piano, les voix sensibles, le sens des mots, les chagrins, les espoirs et les plaisirs d’amour égrenés. On en oubliait la performance inouïe des deux artistes.

France raconte ça très bien : comment, entre eux, tout a commencé par la musique, bien avant l’amour. Première rencontre : sur une photo de groupe pour « Salut les copains », en 1966 – ils ne s’en souviennent même pas -, ils se croisent juste. Se retrouvent dans un studio d’Europe 1. France chante un morceau brésilien, « Plus haut que moi » (Berger composera pour elle « Plus haut », en 1980, sa chanson préférée), et lui, « Écoute la musique ». Elle est encore tout étonnée de ce signe discret du destin. A la sortie du studio, elle prend « son courage à deux mains » et lui demande son numéro de téléphone, car elle sait déjà qu’elle veut travailler avec lui.

« On a engagé un dialogue de huit mois. J’aimais le chanteur, pas encore l’homme. » Elle ne lui demande rien, ils font de la musique ensemble, pour le plaisir. Il hésite, craint l’échec, réfléchit avant de lui donner, en cette année 1975… « La Déclaration d’amour ». Comblée ? Même pas, « légèrement déçue », plutôt : « J’attendais quelque chose qui balance, de plus groovy. » Elle l’ignore encore, mais le compositeur a commencé à écrire tout bas une autre histoire, la leur. Elle rit : « Dans nos chansons, on voit toute notre vie défiler, c’est d’une impudeur ! » Deuxième single, « Aime-là », puis, premier album, « Je l’aimais ». « Il a attendu que je sois sûre de mes sentiments, ii me fait répéter cet aveu quatre-vingt-six fois dans la chanson ! » C’est parti, notes, couplets, ferveur amoureuse et vie commune sont scellés. Deux enfants suivront, le piano aussi .. « On le faisait venir quand on voyageait, il nous suivait partout. » Michel ne pianote pas, ne cherche pas ; quand il s’assoit sur le tabouret, c’est qu’il trouve : mélodies, paroles … concentré à l’extrême. « Il démarrait un couplet, un refrain … si ça me plaisait, il continuait, sinon, il jetait le papier en boule, pas content, mais c’était rarissime, ce n’est pas agréable de se voir refuser une chanson. » Vie conjugale conjuguée entre famille et création. Elle le déleste des contraintes domestiques (lui, tout seul, c’est un tube Nestlé dans le frigo), lui apporte la gaieté, la fantaisie, « abrite » sa création. Il l’emmène, orpailleur infatigable, au cœur de ses mélodies. « On grandissait ensemble. Ensuite, ce sont nos intérêts communs, nos passions, nos engagements qui ont inspiré Michel. » Pas de contorsions de génie tourmenté, la musique sort, limpide, « c’était d’une grande simplicité. Je ne crois pas que quelqu’un ait plus créé que lui dans les années 80, c’était passionnant de l’épauler. » Elle dit l’avoir entendu chanter tout seul et divinement toutes les partitions du livret de « Starmania ».

France est dans la délectation d’une vraie complicité qui les fait s’amuser, danser, chanter, des studios d’enregistrement aux scènes du Zénith ou du Palais des sports, où l’ancienne gagnante de l’Eurovision prouve qu’elle balance plus que pas mal. Elle qui se sent davantage à l’aise dans les graves apprend à monter sa voix dans les aigus, Berger lui demande, elle y grimpe, vaillante. Ils sont riches, célèbres et vivent cachés pour préserver leur vie privée. Leur succès, ils l’aiment à travers le plaisir qu’ils donnent à leur public mais ne s’y attardent pas ni ne l’expliquent. « Dans le processus de création, explique France, la réussite, ça ne compte pas. » Michel, assis face à son piano noir, France à côté, plaçant sa voix pralinée, incroyablement juste, l’élaboration artistique reste la même. Et leurs millions de « groupies du pianiste » ne changent rien à l’affaire. Pourquoi ce duo-là touche-t-il autant les gens ? « Michel s’adressait à des garçons, des filles, des gens qui n’avaient pas clos leur vie, qui étaient en devenir. » Façon de transmettre une énergie, le meilleur de soi-même, au prix d’une création harassante.

Alors que leur succès est immense, France arrête tout net en 1988 : trop de travail, trop de pression, pas assez de temps pour voir grandir les enfants. Berger continue, seul, mais, analyse-t-elle aujourd’hui, « ne me prend pas vraiment au sérieux », ne dit rien cependant. Quatre années passent, « C’est quand même bête que tu ne te serves pas de tout ce que tu as appris », lui fait-il remarquer un jour, la phrase fait tilt, elle comprend. Qu’elle n’a pas trouvé autre chose à faire, qu’il faut s’y remettre, donner encore. « Double Jeu » sera leur nouveau et … dernier album, en 1992. Leur alliance, aussi intense, évolue. « Je l’ai bousculé, je voulais un disque différent des précédents, il n’était pas d’accord, et puis je l’ai convaincu, il m’a mise à la production avec lui. J’ai commencé à prendre des décisions ; je l’avais regardé faire pendant quinze ans en studio. C’est étrange, j’ai été préparée, sans le savoir, à ce qui allait arriver. » Michel semble à la fois plus éloigné et comme dans l’urgence de créer. Il prévoit de reformer un groupe, de chanter et de faire une tournée avec elle pour la sortie de leur nouvel album. Soleil de plomb, l’été 1992, vacances en famille à Ramatuelle, un match de tennis, et c’est fini … France face à la vie brutale, privée de mots, d’air, de lui, parti écouter les baleines. Que faire de tout ce chagrin qui vient en écho d’une vie dédiée à la musique ? Eh bien, continuer, retrouver l’ardeur qui les animait et cette joie infinie qu’elle a de faire ce métier. Elle remonte sur scène, enchaîne avec Bercy, puis Pleyel. Triomphe à chaque fois. Puis enregistre, à Los Angeles, l’album « France » pour prolonger leur équipe, chanter les textes qu’elle aime tant, se faire du bien à elle. De retour à Paris, elle remporte le défi de l’Olympia.

On pourrait écrire que le malheur va s’acharner sur elle, mais c’est le genre d’expression « prison » qu’elle n’aime pas. Pudique, pugnace, jamais plaintive. La disparition de sa fille Pauline, elle ne veut pas l’évoquer. Elle ne chante plus, son dernier concert, privé et acoustique, elle l’a donné, pour M6, en 1997. A la question « Qu’écoutez-vous, aujourd’hui ? », elle répond avec une gravité légère : « Le silence. »

L’anthologie qu’elle offre aujourd’hui au public, commente-t-elle, c’est « comme une page qui se tourne et un grand bonheur pour moi de pouvoir garder, regarder cet objet. Je suis contente de moi, vachement même », et on l’aime illico pour son refus de fausse modestie parce que ; bien sûr, ces dizaines de chansons sont des bijoux ciselés par Berger et portés par elle avec grâce.

Éloignée de toute agitation, elle repelote le fil de sa vie d’artiste, s’intéresse à la vie de son père, Robert Gall, chanteur et parolier célèbre. Elle se surprend à fredonner un de ses airs, « Ça te va bien, ce sourire en coin », rengaine des années 50, elle vous la chantonne d’ailleurs, et c’est tellement joli, et le charme opère toujours autant qu’on sait bien qu’elle n’a pas fini d’interpréter sa vie, musique ou pas, avec le même talent.

Magazine : ELLE
Par Isabelle Maury
Date : 11 octobre 2004
Numéro : 3067

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