Elle revient après de longues années de silence pour un émouvant autoportrait diffusé mardi 9 octobre sur France 3.
De la poupée de cire à la star amoureuse, des éblouissements de la scène aux coups durs de l’existence, on la suit avec tendresse dans son parcours de femme frappée par le destin mais qui ne renonce jamais à la vie.
France Gall, on te fait tout haut notre déclaration
« Si le bonheur existe, c’est une épreuve d’artiste … » Trois mots qui parlent de toi, France : artiste, épreuve et ce bonheur que tu nous as donné depuis tant d’années. Encore deux ou trois mots pour te parler de nous, millions de fans qui avons vibré à ta voix, à celle de Michel, à votre musique qui nous accompagnait partout et, faveur d’un temps comme suspendu, nous accompagne encore.
Il y a dans ton histoire un condensé d’humanité. La vie qui commence tel un jeu, avec ton père, tes frères qui aiment swinguer, et toi qui te lances, à peine née, dans ta robe en mousseline, au Grand Prix de l’Eurovision. Tout sauf une poupée de cire. Tu le pressens malgré ton jeune âge, la musique que tu feras tienne t’attend un peu plus tard, elle t’est offerte avec l’amour, et cette chance, tu sais la reconnaître, tu la célèbres encore aujourd’hui. On vous aimait Berger et toi, inséparables, comme un miroir réjouissant de ce que nous rêvions d’être dans la vie : amoureux, énergiques, avec le désir que ça balance ici aussi bien qu’outre-Atlantique. La tignasse de Michel, ta salopette et tes éclats de rire, votre immense talent tournaient dans nos têtes et sur nos platines.
Le film que tu as réalisé, où tu racontes avec une simplicité à la fois grave et légère ta vie, nous l’avons regardé à plusieurs au journal. Ce furent des retrouvailles bouleversantes, comme l’évidence d’une intimité jamais perdue entre toi et nous. Toutes, que nous ayons 30, 40 ou 50 ans, n’avons pu nous empêcher de fredonner ces extraits de nos vies.
Tes chansons ont émaillé, sans que nous en ayons vraiment conscience, le déroulé naturel de nos jours, comme une amie présente qui a toujours le mot juste. On tombait amoureuses, on se faisait plaquer, on allait danser, « la vie, c’est déjà si compliqué », heureusement Michel et toi nous donniez des ailes.
Les années 80 te portent au plus haut, l’homme que tu aimes te dédie un jour une chanson, « Tu es ma lumière du jour ». Cette clarté te suit avec tes enfants, qui sont ta première raison de vivre. Tu as tout pour être heureuse et toi tu en profites. Pas étonnant que tu aies gagné plus tard les rives africaines, il y a en toi depuis longtemps la perspicacité d’un vieux sage. Non pas que tu craignes l’avenir – quand tu apprendras la grave maladie de ta fille, Pauline, tu diras : « On a perdu notre insouciance définitivement » – mais tu sais apprécier l’existence quand elle se fait généreuse. Tu mènes tambour battant ta vie professionnelle, familiale, jolie (on suit tes coupes de cheveux), rieuse, exigeante. Tu es une star mais tu ressembles aussi à beaucoup de femmes de ton époque.
De la scène éclairée, tu passes au ring où la vie te boxe. Michel meurt brutalement le 2 août 1992, ta fille s’éteint quelque temps plus tard dans tes bras, la maladie ne t’épargne pas. A chaque fois, tu fais, comme tu dis, « la guerre au mauvais côté de la vie ». C’est une terrible traversée, un long chemin vers la consolation, tu ne peux pas croire que tant de douleur n’ait pas un sens. Tu continues à chanter et nous on te regarde, on t’écoute, on se dit : « Mais comment fait-elle pour tenir ? » On t’admire. Quand Michel meurt, tu sais qu’on pleure avec toi, tu le dis dans ton film : « Les fans de Michel ont souffert véritablement. »
L’Olympia, Bercy, le Zénith, tu remontes sur le ring, non pour cogner mais pour donner. Et c’est de nouveau le bonheur. Pour nous, et peut-être bien pour toi. Puis un jour, tu t’absentes à nous. Pas à ta vie, pas à ton fils, pas à tes amis. Tu vas de plus en plus souvent dans ta maison au Sénégal, tu cherches un chemin de sérénité et, de nouveau, on se dit que ton parcours est exemplaire d’une humanité qui accepte le destin sans renoncer à la vie. Voilà, France, on voudrait danser avec toi sur de nouveaux accords qu’on aimerait tant, mais sens-toi libre, on a un trésor de chansons inépuisable, inusable, et on remercie notre chance en répétant tout bas : c’est bon que tu sois là. Isabelle Maury
Rencontre – France Gall, libre dans sa tête
Jeudi 13 septembre 2001 dans le sud de la France, à Ramatuelle. Il est midi. France me prépare un tartare de thon. Un peu de persil dans la salade de betterave, une bouteille de rosé frais. Voilà pour moi. Pour elle, des œufs brouillés, café au lait, pain grillé. On s’installe devant l’écran télé. Pour France, impossible de parler d’autre chose que de cette monstruosité qui a coûté la vie à plus de 6 000 civils en une heure de temps et qui a frappé sa ville préférée, New York. « J’ai tout de suite senti que le monde et ses données allaient changer. » On parle des lieux qu’elle habite et qui l’habitent. L’âme de ses maisons, c’est elle et personne d’autre, même s’il y a des pianos de Michel partout et des tableaux peints par Pauline aux murs. Elle ne cesse jamais de faire évoluer l’espace en repoussant les murs, en enlevant les portes, en agrandissant les fenêtres. C’est une passionnée d’architecture, la preuve, son livre de chevet : des plans de maison dessinés par Frank Lloyd Wright. « Si nous avions vécu à la même époque, je serais sûrement tombée amoureuse de lui si je l’avais rencontré. » Elle a baptisé sa maison de Dakar « Noflaye », qui veut dire « se la couler douce » en wolof. Elle l’a choisie dans une île sans électricité qui se vide à la tombée du jour de tous ses habitants parce qu’ils ont peur d’y dormir. « Moi, j’aime ce calme plus que tout. » A Paris, elle évite de sortir. Elle ne se balade plus dans les rues un après-midi par semaine comme elle le faisait autrefois avec Michel pour découvrir leur ville, rentrer sous les porches, acheter des tableaux. « C’était bien de pouvoir faire ça. A l’époque, personne ne nous photographiait, on était plus libres. » C’est souvent pour rechercher l’anonymat qu’elle part régulièrement à l’étranger. « Le succès, c’est merveilleux, la célébrité, c’est un cauchemar. » Revenons à son film, cet autoportrait réalisé après des années de silence. Pourquoi maintenant ? « J’étais prête à le faire et on m’a donné une absolue liberté pour le mener à bien. Faire son autoportrait, c’est une sorte de psychothérapie. Ça remet les choses en place et permet de ne rien laisser en plan. On souffre beaucoup à remuer tout ça. Mais je sais que cela fera plaisir à beaucoup de gens et mon bonheur passe par le plaisir des autres. »
Comment vit-elle maintenant ? A-t-elle peur de vieillir ? « Seuls les sots se lamentent de vieillir ! Cet adage m’aide à accepter le temps qui passe. Et puis, c’est pas si mal de vieillir, on fait ce que l’on veut, on n’a pas les mêmes envies. On est pleins d’expérience, alors on maîtrise tout mieux. Moi, pour l’avenir, je veux du sur-mesure ! » Aura-t-elle envie alors de refaire de la musique, d’aller à la rencontre de ses fans ? « Je sais que le public attend que je rechante, mais moi je suis très loin d’envisager un retour sur scène, je n’y pense tout simplement pas, je ne peux pas. En ce moment, je me sens incroyablement libre dans ma tête, je n’ai aucune angoisse de l’avenir et je n’ai aucune crainte. Je fais ce que je veux, je vois qui je veux et je vis où je veux. » C’est comme ça que France est heureuse. Sans chercher à faire de projets. « Pour le moment, je ne peux pas me détacher du film, j’attends que le public le voie. Après, je pourrai passer à autre chose. J’ai tout mon temps. Et puis l’hiver arrive, Dakar et son soleil m’attendent. On y pensera après Noël… » Sophie Lisieux.
Dans ce “ELLE” du 8 octobre 2001, France Gall commente elle-même ses précédentes couvertures
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Magazine : Elle
Photos : Kate Barry
Date : 8 octobre 2001
Numéro : 2910