Cela faisait trois jours que le spectacle n’avait pas eu lieu.
Mardi 17 novembre, le Palais des Sports de Paris rouvrait ses portes. La réservation affichait complet mais allaient-ils venir ? Le public allait il braver la peur pour revivre en live dans cette salle mythique les tubes de Michel Berger et France Gall. Les minutes passaient et les rangs restaient clairsemés. Mais comme par magie, au moment où France Gall pénétra dans la salle en compagnie de son producteur Thierry Suc, l’ovation qui monta de la salle ne laissa aucun doute. Il y avait du monde. Beaucoup de monde.
Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que ces Français se lèvent, se rapprochent de la scène, dansent et chantent comme dans les meilleurs concerts des années quatre-vingt. L’orchestration inchangée des titres, la mise en scène brillante de Ladislas Chollat, les chorégraphies envoûtantes de Marion Motin … Tous les ingrédients étaient réunis pour déclencher une standing ovation … et ce dès le premier acte de cette comédie musicale très réussie. En fin de spectacle, France Gall a rejoint sa troupe sur scène un papier à la main.
« On a voulu nous enlever ces moments de bonheur. C’est raté. Résistons tous ensemble ! » Le public exulte. Du bonheur made in France.
MATTHIAS GURTLER : Le 17 novembre, vous avez tenu à monter sur la scène du Palais de Sports. Qu’avez-vous voulu faire passer comme message au public ?
FRANCE GALL : Tellement de choses. D’abord qu’il ne faut pas avoir peur de revivre, qu’il ne faut pas avoir peur de faire son métier. On ne veut pas changer notre manière de vivre. On veut continuer à partager ces moments de bonheur ensemble en concert ou ailleurs. On a voulu nous priver de ces bonheurs. Ils ont échoué. Voilà ce que j’ai voulu dire ce soir-là.
MATTHIAS GURTLER : Dans la salle, les gens étaient heureux. Ils dansaient, ils chantaient. Comment avez-vous reçu toute ces énergies ?
FRANCE GALL : Quand toute la salle hurle « Résiste ! », ça nous fait du bien à tous. C’est cathartique ! On peut être nous-mêmes et faire ce qu’on a envie de faire. Ce soir-là, j’étais dans la salle et on était tous dans le même état d’esprit. Les gens savent qu’ils vont pouvoir participer à ce show en chantant, en dansant sur la musique comme ils ont envie. Ils peuvent aussi crier. Une vraie osmose et un défouloir !
MATTHIAS GURTLER : Vous comprenez que les gens aient peur d’aller aux concerts ?
FRANCE GALL : Très bien. Moi-même, je la ressens. Mais l’idée, c’est de la surmonter. D’abord et surtout parce qu’on ne peut pas faire autrement. La vie doit continuer pour chacun. On est obligé de supporter cette épée de Damoclès jusqu’à ce qu’on en vienne à bout. Ça ne peut pas exister longtemps des haines meurtrières comme celles-là. C’est contre-nature.
MATTHIAS GURTLER : Comment avez-vous réagi à l’annonce des attentats ?
FRANCE GALL : Je l’ai appris dans ma loge du Palais des Sports. Le show était presque fini, j’attendais pour aller saluer le public comme je le fais tous les soirs quand je suis présente. En zappant sur les chaînes info, j’ai vu s’afficher sur l’écran : dix-huit morts ! Devant l’horreur, la peine et la terreur, j’ai pleuré. Minute après minute, le bilan s’alourdissait. Je ne savais pas si je pourrais monter sur scène en fin de spectacle pour saluer. Mais faire comme si de rien n’était devant une salle en délire, qui n’était pas au courant … J’y suis allée les larmes aux yeux. Je pensais à toutes ces victimes.
MATTHIAS GURTLER : Résiste prend une autre dimension depuis les attentats du 13 novembre. Votre troupe en a-t-elle conscience ?
FRANCE GALL : Cette chanson a été écrite dans un tout autre contexte et elle a été la dernière composée pour l’album Tout pour la musique, en 1981. En me l’offrant, Michel a voulu célébrer une manière de vivre. Il s’adressait toujours aux jeunes dans ses chansons. En essayant de leur donner des conseils. Le public a tout de suite adoré ce titre et en a fait un de mes plus grands tubes. Aujourd’hui, des décennies plus tard, dans cette salle du Palais des Sports de Paris, ce mot résonne encore. C’est étrange, mais c’est le mot qu’on a envie d’entendre, de dire et de vivre. Et c’est précisément ce qu’on fait. C’est toute la force des paroles de Michel Berger.
MATTHIAS GURTLER : Sur scène, vous êtes entourée d’une troupe de la « génération Bataclan », cette jeunesse que les terroristes ont visée. Que dites-vous à ces jeunes de l’âge de votre fils pour qu’ils gardent foi en la vie ?
FRANCE GALL : J’ai envie de leur dire qu’on n’est pas les seuls. D’autres pays vivent avec cette menace. Ce n’est pas de chance mais c’est notre réalité depuis quelque temps. De cette tragédie, il faut tirer des leçons. D’un seul coup, tout cela va nous rendre plus responsables. Je sais qu’il va falloir faire un peu plus attention. Ça nous enlève de la liberté mais ça nous en laisse tellement aussi. Et puis ça nous fait prendre conscience de ce qu’on a de bien chez nous. Ce qui nous donnera la force de continuer, c’est qu’on a traversé ça ensemble et qu’on s’en sortira aussi tous ensemble.
MATTHIAS GURTLER : La vie vous a appris à relativiser ?
FRANCE GALL : Elle m’a appris beaucoup de choses et j’apprends encore. On trouve du courage et de la force quand il le faut. Par exemple, le témoignage à la télé d’un rescapé du Bataclan. Pendant la prise d’otages, il s’était réfugié avec quarante autres dans une petite pièce du théâtre. En face de lui, il y avait le bassiste du groupe. Dans ce moment de grande tension, l’homme s’adresse au musicien et lui lance : « Hey, mec ! j’ai préféré ton concert de juin. » J’imagine qu’il a trouvé de la force à travers l’humour alors qu’il vivait un cauchemar absolu.
MATTHIAS GURTLER : Avec Michel Berger, vous formiez un couple citoyen. Un couple investi dans la société. Avez-vous conservé ce regard sur le monde et cette énergie pour vous battre ?
FRANCE GALL : À l’ époque, c’était la première fois que les chanteurs s’engageaient ensemble comme lors du concert pour l’Éthiopie. De par notre nature, Michel et moi n’étions pas très à l’aise au milieu de ces grands-messes. On y allait, mais très vite Michel a fait les choses autrement. Il a mené des actions seul … C’est comme ça que je fonctionne encore aujourd’hui. Je construis des choses au Sénégal, où je vis une partie de l’année, mais pas du tout dans la lumière.
MATTHIAS GURTLER : Monter sur scène est-il devenu un acte militant ?
FRANCE GALL : Sortir de chez soi ou aller à un concert est malheureusement un geste militant aujourd’hui. Je continue à vivre normalement. Je vais au Palais des Sports pour voir la troupe jouer sur scène et ensuite on dîne en terrasses si on en a envie.
MATTHIAS GURTLER : Résiste est un projet qui vous a fait remonter sur scène. Vous avez toujours été réticente à revenir face au public ?
FRANCE GALL : Je ne monte pas sur scène mais je monte une comédie musicale avec toute une équipe dirigée par notre metteur en scène Ladislas Chollat. Ce n’est pas rien … Ce n’est pas rien. Mais je dois vous avouer que je suis très contente de retrouver notre public si fidèle. Je me sens chez moi sur la scène. Je suis très à l’aise quand je viens saluer. J’ai l’impression de faire un bond dans le temps … Le public qui hurle … Ce que je vis est incroyable. Il y a tellement d’amour. A la fin du show, quand je quitte la salle et que je remonte l’allée pour me rendre sur scène pour les saluts, les gens me disent merci, merci et moi, je leur dis merci d’être venus.
MATTHIAS GURTLER : Ils vous remercient de quoi selon vous ?
FRANCE GALL : Sans doute de leur faire revivre ces chansons tous ensemble réunis dans une salle à travers ce spectacle. C’est aussi une autre façon de partager la musique de Michel.
MATTHIAS GURTLER : Dans le spectacle, il y a un morceau inédit de Michel Berger, Un dimanche au bord de l’eau. Cette chanson permet d’entendre sa voix. L’émotion est très forte.
FRANCE GALL : Nous voulions faire un cadeau au public. Il fallait trouver une vraie place à cette chanson dans le show. Je crois que c’est le cas. Cela n’aurait pas eu la même magie si elle avait été interprétée par quelqu’un d’autre que Michel. Et je peux vous révéler quelque chose. Cela m’a aussi demandé en juin dernier de retourner en studio d’enregistrement et de rechanter après toutes ces années. J’ai chanté les chœurs que j’aurais dû faire à l’époque.
Magazine : Gala
Par Matthias Gurtler
Date : 25 novembre 2015
Numéro : 1172