Lorsque, en septembre, Mona Chasserio lui a proposé d’être la marraine de notre opération Cœurs d’Or 2006, France Gall a répondu « oui » sans hésiter.
Parce que l’action de Cœur de femmes touche particulièrement la chanteuse. Elle s’est confiée à Pèlerin.
Paula Boyer : Pourquoi avoir accepté d’être la marraine de nos Cœurs d’Or ?
France Gall : D’abord parce que Mona Chasserio m’a choisie. Ensuite, parce qu’il s’agissait d’aider des femmes. Il y a tellement à faire ! Très souvent encore, les femmes sont considérées comme des inférieures, elles sont étouffées, niées, humiliées, maltraitées. Il y a des parcours de femmes d’une dureté inimaginable ! Celles qui atterrissent dans la rue ont vécu des choses terribles. Pourtant, malgré tout ce que certaines ont traversé, si on leur tend la main, elles peuvent se remettre debout.
Depuis ma première rencontre avec Mona, j’ai été entraînée dans sa vie. Entre femmes, on se reconnaît. C’est incroyablement simple et naturel … Je suis allée à la Maison, les femmes de l’association m’ont accueillie. Les filles me disent : « C’est bien toi qui es là ? C’est incroyable ! Moi, j’écoutais tes chansons quand j’étais toute petite … »
C’est la musique qui a accompagné leur vie qui nous rapproche, qui fait le lien entre nous. Je leur fais écouter des chansons qui leur parlent. En 1992, dans notre dernier album avec Michel Berger, on a enregistré une chanson, Les couloirs des Halles, qui évoquait les filles qui vivent dans la rue. J’ai d’autres chansons qui leur parlent : par exemple, dans le même album, Toi, sinon personne.
Paula Boyer : Ce sont les épreuves que vous avez vécues – la mort de votre mari, le chanteur Michel Berger, celle de votre fille Pauline, à 19 ans, votre cancer du sein – qui vous rendent ces femmes si proches ?
France Gall : Pour Mona Chasserio, je suis la preuve vivante que l’on peut s’en sortir (Elle rit). C’est important pour elle dans son travail avec les femmes …
Paula Boyer : N’est-ce pas difficile d’être confrontée de nouveau, à travers ces femmes, aux épreuves les plus cruelles de la vie ?
France Gall : Ce serait très difficile pour moi s’il s’agissait d’enfants. Un enfant à la rue, c’est le bout du malheur, de la détresse, du manque d’amour. C’est d’ailleurs pourquoi au Sénégal, à Dakar, je soutiens le Samu social qui recueille les enfants des rues … Je les invite dans ma maison, sur une île au large de Dakar, et je leur offre du rêve : nous allons à la plage, nous déjeunons, nous faisons de la musique … Mais c’est très dur d’épauler les enfants. Le contact avec les femmes en souffrance est, tout compte fait, moins difficile, parce qu’un adulte peut mieux comprendre. Mona a l’intention d’ouvrir une maison pour les femmes de la rue, à Dakar.
Paula Boyer : Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans Cœur de femmes ?
France Gall : l’idée de la Maison, ce lieu où Mona recueille des femmes et les aide à se remettre debout, c’est vraiment quelque chose de concret qui me plaît ! Cette « maison » vit, bouge. On y entend des rires, mais aussi des colères, de la musique, des choses dures et des paroles qui consolent, C’est la vie, c’est aussi la reconstruction qui est en route. Cette maison avec sa salle à manger dont les fenêtres donnent sur un petit jardin, c’est un chez-soi … Une maison, c’est si important pour une femme !
Une femme dans la rue, c’est un non-sens absolu. Moi, je me suis guérie dans ma maison de Dakar. Elle ni a donné, à ce moment-là, plus que beaucoup d’êtres humains. Une maison, c’est une sorte d’enveloppe protectrice autour de nous. Un autre nous-mêmes. Elle concentre notre énergie et un peu de notre âme. Sans maison, nous sommes perdus.
Ce qui m’a plu aussi, c’est que Cœur de femmes laisse à chaque femme le temps qu’il lui faut pour se reconstruire. Elles peuvent partir et revenir.
Paula Boyer : Le temps, c’est nécessaire pour surmonter les épreuves de la vie ?
France Gall : Comme tout le monde, j’ai été une personne impatiente. Comme tout le monde, je croyais que c’était une qualité. La vie m’a appris la patience et la qualité de la patience. Pour faire un enfant, il faut neuf mois, pas deux. C’est pareil pour reconstruire une personne : il faut du temps. Aujourd’hui, je regarde les gens qui courent ; j’ai été comme cela. Je sais ce que c’est que le stress. Je n’ai pas appris grand-chose pendant cette période. Ce que j’ai appris d’essentiel sur la vie, c’est quand je me suis arrêtée de courir.
Paula Boyer : Cet essentiel, c’est quoi ?
France Gall : La vie. J’ai appris à la comprendre, à l’accepter, à lui faire confiance et à l’aimer. J’ai appris que chaque personne est unique et, en vérité, que pas une n’est plus importante que l’autre. J’ai appris aussi que la vie, ce n’est pas quelque chose qui peut s’arrêter. La vie, c’est plus que ce que l’on peut vivre sur terre.
Paula Boyer : Vous venez d’une famille très catholique, votre grand-père était le fondateur des Petits chanteurs à la Croix de bois.
France Gall : Mon grand-père a fondé les Petits chanteurs en 1907, il avait alors 22 ans ! C’était un homme parfait et très pieux !
Paula Boyer : Nous invitons les lecteurs de Pèlerin à envoyer des dons pour que Cœur de femmes puisse créer une nouvelle « Maison » à Guérande, une maison qui irait encore plus loin dans la reconstruction des femmes de la rue ? Quel message voudriez-vous leur délivrer ?
France Gall : Aux lecteurs de Pèlerin, je dis d’abord : « Nous avons besoin de vous ! » Je leur dis aussi merci par avance pour ce qu’ils feront. Cette « maison » de Guérande, ce sera un idéal de maison. Tout y sera fait dans le respect de la nature, depuis l’utilisation du bois pour la construction jusqu’au potager et au verger, où les femmes travailleront avant d’aller vendre leurs produits au marché. Elles œuvreront aussi dans les marais salants. Pour faire du sel, il faut neuf mois, c’est le temps d’une naissance ou, dans leur cas, d’une renaissance. Le contact avec la nature est essentiel pour se reconstruire.
Paula Boyer : Au-delà de l’opération Cœur d’Or de Pèlerin, vous allez également devenir marraine de Cœur de femme ?
France Gall : C’est en train de se faire tout naturellement. Ce travail auprès des femmes en difficulté me parle très profondément. En me demandant d’être la marraine de Cœur de femmes, Mona Chasserio me donne l’occasion de donner. C’est elle qu’il me faut remercier.
Magazine : Pèlerin
Par Paula Boyer
Date : 16 novembre 2006
Numéro : 6468