France Gall ambassadrice (Presse)

L’article retranscrit

Grace à France Gall, Sophie n’est plus seule à Paris

France Gall lisait « Moins 20 ». Soudain, elle vit dans le numéro d’octobre le reportage sur Sophie Agacinski, l’héroïne du feuilleton « Seule à Paris », que « Moins 20 » vous avait présentée bien avant qu’elle fût célèbre.

France sembla intéressée par l’article et les photos, d’autant plus qu’elle est une téléspectatrice passionnée : « Oh, justement, j’adore ce feuilleton ! Si un des journalistes de « Moins 20 » pouvait me faire connaitre Sophie, je serais ravie. Je la trouve très sympathique et je brûle de la rencontrer ! » Ainsi parla France ; ainsi fut fait. Ce ne fut pas si facile. France Gall est toujours très occupée, quant à Sophie, elle jouait dans un film que nous pourrons voir bientôt sur les grands écrans, « Les Malabards sont là » (titre provisoire), avec Roger Pierre, Jean-Marc Thibault, Francis Blanche, Darry Cowl et Henri Salvador – sûrement une sombre histoire l

On trouva quand même un après-midi où ces deux jeunes vedettes étaient libres, et on leur demanda où elles voulaient se rencontrer.

On cherchait une idée originale, lorsque ce fut France qui trouve dans un grand éclat de rire l’endroit idéal : « Et si on allait chez le coiffeur. Peut-on rêver d’un meilleur endroit pour papoter à l’aise. Et chez Dessange, mon coiffeur, il y a des tas de perruques. On pourrait se les essayer, ça serait marrant !

L’idée fut adoptée. La rencontre historique eut donc lieu dans les salons de ce grand coiffeur parisien, avenue Franklin-Roosevelt, à deux pas du rond-point des Champs-Élysées.

Ce n’est un secret pour personne, la famille de France tient une part énorme dans sa vie et sa carrière. Le pigeonnier de cette famille indissoluble se tient au seizième étage d’un immeuble parisien : autant dire que les Gall ont un poste d’observation de choix, et que de leur terrasse, ils peuvent voir sans risquer d’être espionnés par des yeux indiscrets.

Il y a toujours beaucoup de va-et-vient dans cet appartement clair et très agréablement décoré où évoluent les amis, les membres de la famille, des musiciens ou des journalistes.

Après avoir repéré les authentiques représentants de la famille de France, je me suis efforcé de les connaitre un peu pour vous les présenter.

Robert Gall, le père de France et le chef de la famille, le regard dissimulé derrière des lunettes sombres, drapé dans son peignoir comme dans une toge, c’est le personnage-clé de la troupe, l’homme qui s’occupe de tout, qui voit tout, qui mène tout. Il est, depuis toujours, auteur de chansons, et offrit à Edith Piaf plusieurs succès, avant de recevoir une extraordinaire consécration avec la « Mamma ». Personne n’y croyait beaucoup, ni Aznavour, ni les Compagnons de la Chanson. Seul, Robert Gall a pressenti le prodigieux succès que serait cette chanson, chantée dans toutes les langues et déjà considérée comme un classique immortel.

Robert Gall continue d’écrire des chansons pour sa fille (il est l’auteur d’environ 50 % de son répertoire actuel). Mme Gall. Discrète, effacée même, elle gâte beaucoup sa fille, lui fait souvent de bons petits plats. Elle s’occupe de la maison, de ses enfants, du courrier de France. Elle est très fière de sa fille, mais continue d’être extrêmement simple et attachée à la bonne marche de « l’intendance ». Elle n’aime pas se faire photographier ; elle a pourtant le plus charmant sourire qu’on puisse rêver …

Patrice, 19 ans, frère aîné de France, bachelier et compositeur du « Temps de la rentrée ». Il vient de montrer qu’il est un des jeunes talents les plus sûrs de la chanson, et il continue de travailler, de chercher des mélodies sur sa guitare, sous l’œil – et l’oreille – inquisiteur de son père.

Philippe. Frère jumeau de Patrice, souvent absent en ce moment pour une raison majeure : il fait son service militaire. En dehors de cette saine occupation, il est aussi bassiste dans l’orchestre de France. Michèle, secrétaire personnelle de France, est toujours là avec son immense cahier de rendez-vous ventru, et répond à tous les coups de téléphone. Michèle Petrowski est des plus efficaces : c’est la « femme de confiance » de France ; tout passe par elle, qui filtre les demandes d’audience et rend la vie de France plus facile. Elle est aussi grande que son amie – et patronne. Nougat, le caniche de France, le chien le plus gâté qui puisse exister, adoré par sa maîtresse, et qui lui rend toute l’affection qu’elle mérite. Nougat a pourtant un problème : Sacha, qui – scandale dans la famille ! – s’est récemment imposé et prend de plus en plus de place dans la maisonnée, trop, au gré de Nougat. Sacha est chat, tout à fait de gouttière, mais très beau, en pleine santé, et joueur à plaisir. Son nom est un hommage rendu au grand ami des Gall qu’est Sacha Distel.

Ajoutez-y les musiciens (quatre) et vous comprendrez que quand la famille se déplace, on n’a pas trop de trois voitures.

Le nom de la France est sûrement prestigieux à travers le monde entier, mais le prénom de France est en train de devenir presque aussi célèbre autour de la planète. Ne croyez pas que j’exagère : j’ai vu des lettres venues- de tous les coins de la terre qui témoignaient à France Gall de l’admiration, de l’affection, sinon de l’adoration qu’on lui porte dans les cinq continents.

Notre « Poupée de son » a déjà l’Europe occidentale à son palmarès grâce au Grand Prix de l’Eurovision. L’Allemagne, l’Italie, le Bénélux fredonnent « Poupée de Cire, Poupée de Son » depuis bientôt un an, et France Gall a eu souvent l’occasion d’aller sur place chanter son « tube » dans les différentes langues européennes. Mais l’Europe de l’Est a aussi retransmis le Grand Prix de l’Eurovision et a adopté la jeune ambassadrice de la chanson française. Le père de France Gall m’apporte un énorme paquet de lettres qu’il étale sur la table. Quelle extraordinaire collection de timbres ! De Roumanie, de Pologne, de Yougoslavie, de Russie, des filles écrivent à France Gall, ou des garçons, plus exubérants, souvent amoureux, la complimentent et attendent d’elle une photo, un petit mot ou une réponse aux conseils qu’ils lui demandent… France lit toutes ces lettres. Elle est ravie ; elle est émue : « C’est extraordinaire à quel point tous ces amis que je ne connais pas et qui m’écrivent, sont gentils. Je voudrais faire des tas de choses pour les remercier, pour leur montrer combien Je suis sensible aux témoignages d’affection qu’ils m’apportent. Hélas, je reçois plusieurs centaines de lettres par jour. Si je répondais à chacun aussi longuement que j’aimerais le faire, je ne passerais plus mes journées qu’à cela ! Mais je réponds toujours, ne serait-ce que par une photo dédicacée, et je regrette vraiment de ne pouvoir faire plus … »

Je continue de brasser ces piles d’enveloppes multicolores. Je vais de surprises en surprises ; un tas de lettres d’Afrique Noire : Congo, Guinée, Côte-d’Ivoire. Là, ce sont plutôt des garçons qui écrivent. Leur cœur ne bat que pour France ; ils attendent sa visite ; ils sont disposés à faire le voyage exprès pour voir leur « poupée idole » ! J’apprends que France Gall est numéro deux au « Hit-Parade » australien. Et bien sûr, des lettres d’Océanie s’amoncellent chaque jour.

« J’ai même reçu une lettre venant d’Iran qui m’a beaucoup amusée et qui m’a fait beaucoup plaisir, raconte France ; c’était un officier de la garde du Shah d’Iran qui me demandait en mariage. Il me parlait avec enthousiasme de son pays des mille et une nuits, mais s’annonçait prêt à tout quitter pour me rejoindre s’il le fallait… C’est bien tentant l’Iran, mais enfin, j’ai demandé à réfléchir … ,.

Je lui parle de son prochain voyage au Japon, je lui demande si réellement elle est très populaire là-bas, « Je n’y croyais pas moi-même, mais c’est vrai, m’a-t-elle répondu, j’ai vendu 300 000 disques en quelques mois au Japon ! J’ai eu beaucoup de mal à apprendra mes chansons, j’ai dû les chanter en ne comprenant rien de ce que tout cela pouvait signifier, mais j’ai été largement récompensée de mes peines par le succès de vente du disque ! Tiens, voilà une affiche de moi en japonais (Je regarde, l’air perplexe devant ces caractères incompréhensibles …) Ça veut dire « Poupée de Cire, Poupée de Son » sur la première ligne, le reste je ne sais pas !

Je suis ravie d’aller au Japon. Mon voyage a été reporté, mais j’espère y aller cette année quand même ; alors, j’apprends des tas de chansons en Japonais, et j’espère ne pas décevoir ces lointains admirateurs de la chanson française !

Je continue mon voyage dans le monde des « fans » de France. Ceylan ! Une lettre extraordinaire avec des petits signes très curieux et très jolis qui donnent envie d’apprendre le Cingalais.

Voilà maintenant une enveloppe avec l’adresse suivante : « France Gall – France » ·

Les P et T ont transmis !  Ils ont aussi fait parvenir des lettres avec des adresses aussi insolites que : « France Gall, la poupée de cire française – France », ou « France Gall, Luxembourg – Allemagne » ·

Du coup, France chantonne « L’Amérique » ; j’en profite pour lui demander si elle envisage d’y aller. « Bien sûr, répond-elle. C’est même déjà prévu pour le mois de mai prochain. Je pars au Canada ou j’ai été N°1 au Hit-Parade et où j’ai, paraît-il, beaucoup d’amis. Je compte y rester assez longtemps, puis, j’espère aller en Amérique latine, où mes disques se sont aussi vendus. Je compte m’arrêter au passage aux Antilles Françaises d’où l’on m’envoie beaucoup de lettres. Regarde celle-là, si elle est gentille, c’est un Martiniquais qui me présente tous les membres de sa famille un par un (ils sont huit), et qui a écrit au dos de l’enveloppe en très gros : « Facteur, faites vite, les copains sont pressés » ·

Il y a même un professeur de Français Canadien qui a demandé à France qu’elle lui écrive des lettres qui serviraient de dictées que ses élèves apprendraient. Il parait, en effet, que les écoliers apprendraient mieux ce qu’écrit France Gall que les textes de nos grande auteurs. Ainsi, « Sacré Charlemagne » a servi de récitation à ces élèves canadiens.

Je demande quand même à France si toutes ces merveilleuses lettres des quatre coins du monde ne lui font pas oublier ses admirateurs « bien de chez nous » ·

Il n’en est pas question : « Je suis très attachée à tous les amis que j’ai en France, parce que c’est à eux que je dois ma carrière internationale, et ceux qui m’ont fait confiance les premiers sont les privilégiés dans mon cœur. Je reçois des lettres de jeunes compatriotes qui sont d’ailleurs aussi touchantes que celles qui viennent du bout du monde. Ainsi, cette chambrée de militaires qui m’écrivaient récemment qu’ils préféraient comme hymne, « Poupée de Cire » à la « Marseillaise » ·

Je fais cependant remarquer à France que les Parisiens n’ont pas été gâtés et qu’ils attendent toujours de pouvoir l’applaudir sur scène. « C’est vrai, dit-elle, je suis sans arrêt sur les routes, chantant presque chaque soir dans une ville de province différente pour des soirées et des galas, mais je ne suis jamais passée dans un music-hall parisien. On m’a souvent tentée. J’aurais- pu être vedette américaine avec un « grand » comme Johnny ou Claude François. A la rigueur, je pourrais tenter le « gros coup » : passer en vedette à !’Olympia. Mais je ne suis pas assez sûre de moi I Ce serait prendre un risque énorme pour peu de profit.

Les Parisiens peuvent me voir l’été dans mes tournées des plages ; et puis je passe très souvent à la Télévision ou la Radio.

Mais enfin, c’est vrai, il faudra que je me décide à affronter un jour le public de la capitale. En attendant, je fais mes classes, je me mets au point. Et j’ai suffisamment de travail (et de satisfaction) avec mes disques pour remettre à plus tard mes projets de scène … France est sage et prudente. Elle a sûrement raison. Encore que lors de l’enregistrement de l’émission radio d’Albert Raisner au « Marcadet-Palace » à Paris, le 2 novembre dernier, j’ai vu France Gall sur scène. Et malgré son trac, malgré l’absence du formidable orchestre d’Alain Goraguer, qui fait les arrangements de tous les disques de France, et malgré aussi l’audace de notre idole de poche qui n’a pas hésité à chanter une chanson aussi difficile que ce « Jazz à Gogo », ce fut un triomphe, de la part d’un public d’habitués très exigeants et tout à fait connaisseurs. Peut-être que cette soirée rassurera France quant à l’accueil que lui réserveront les Parisiens le jour où elle voudra bien leur faire l’aubade …

Le tour du monde avec la chaîne des admirateurs de France s’achève donc. Nous avons fait un beau voyage… et pris un bon cours de géographie.

Une dernière lettre tombe sous la main de France. Une admiratrice belge. Voici à peu près ce qu’elle dit : « Chère France, il faut à tout prix que tu viennes passer quelques jours chez moi. Tu te reposeras, t’amuseras comme tu voudras … Je ferai tout ce que tu me demanderas. Je te préparerai tes plats préférés (les bananes flambées) à chaque repas ; personne ne t’ennuiera ; je serai toujours près de toi pour te servir. je te supplie de venir, etc …

France Gall sourit. Elle est très heureuse, très émue aussi …

Magazine : Moins 20
Par Jean-Michel Castel
Date : Décembre 1965
Numéro : 7

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