Pari gagné

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1984 marque le retour de France Gall après deux ans d’absence désirées, du devant de la scène. Depuis quelques semaines, “Débranche” son nouvel album, caracole en tête des Hits et des ventes.

En septembre, elle présentera son nouveau spectacle dans une nouvelle salle : le Zénith.

France Gall, pari gagné. Elle réussit, là où beaucoup ont échoué : après 20 ans de carrière, les 17-20 ans sont l’essentiel de son public. Elle est en 84, au rang des plus gros vendeurs de disques en bénéficiant d’une excellente image auprès du public et des professionnels.

Eté 74, “La déclaration”. Depuis 4 albums ont suivi. Le cinquième vient d’être mis en place. Ce 30 centimètres est-il différent ou une suite logique ? Et s’il est différent, en quoi l’est-il ?

Tous mes albums reflètent une évolution. En ce moment, je les ré-écoute, ce que je ne fais jamais d’habitude, mais, quand on prépare un spectacle, c’est indispensable. Un tour de chant est forcément émaillé d’anciennes chansons. Il faut faire un choix, en éliminer certaines, en ajouter d’autres qui n’ont jamais été interprétées sur scène … Beaucoup de choses ont changé : l’évolution est plus marquante dans les sons comme dans les textes. Je me souviens pour le premier album, c’était plus intimiste, les chansons tournaient autour de moi, une sorte de portrait de France Gall … ce n’est pas avec ce que j’ai chanté avant que le public m’a connu, vraiment (rires). Petit à petit, mon univers s’est élargi vers d’autres sujets : des choses que j’avais envie de dire …

Le terme “musique” et tous ses corollaires : disques, son, F.M., reviennent souvent dans tes textes. Dans une chanson tu dis : “Si c’est pas pour vivre avec la musique, à quoi sert d’être au générique”. C’est une philosophie de vie …

Je vis dans un univers musical. Avec la musique je suis… comme un poisson dans l’eau. J’ai davantage de mal à parler, à m’exprimer. Je redoute toujours les interviews, parce que j’ai l’habitude de tout faire “en musique”. J’évolue mieux ainsi. Je suis vraiment à l’aise. En ce moment, par exemple, je fais du sport avec un prof qui travaille sans musique: je m’ennuie à ses cours. Je peux courir, danser en musique, mais sans … je m’ennuie.

Tu es interprètes, mais quelle part prends-tu à l’élaboration de tes chansons ? En tout premier lieu : cela t’intéresse-t-il ou fais-tu confiance à ton entourage professionnel ?

Je ne peux pas être totalement étrangère à ce que je vais faire, d’autant que les chansons sont faites pour moi : en fonction de ce que je suis, de mes rapports avec les gens, de ce qui me touche, comme ma façon de parler et de dire les mots. Cela dit, je n’interviens absolument pas dans l’écriture – je regretterais toujours je crois, de ne pouvoir écrire mais je participe. Je me souviens que pour “Le piano debout” je voulais une ambiance cool, calme. Pour le suivant (“Tout pour la musique”) quelque chose qui bastonne, un rythme plus dur appuyant ce que je voulais dire. Pour “Diego libre dans sa tête”, j’avais précisé: j’aimerais chanter un texte sur les problèmes du monde, les enfants et la faim. Je visualisais l’ensemble sans pouvoir en concrétiser les détails. Une fois que Michel a commencé à écrire (il n’écrit jamais entièrement le texte, avant de me faire écouter la chanson – un couplet et un refrain – ) il me demanda mon avis. Etant d’accord sur l’idée comme sur ce qu’il avait commencé d’écrire, il termina alors la chanson. En fait il n’y a qu’une ou deux chansons que j’ai refusé d’interpréter, ne les ressentant pas pleinement.

Pour l’enregistrement : es-tu de ces artistes qui assistent et participent à cet enregistrement du début à la fin ?

Le studio : un travail qui me passionne. J’adore ça. Pour ce 5e album davantage encore qu’avant: la façon de travailler étant tout à fait différente. Pour la première fois, je n’ai pas de piano (il était la base de mes précédents albums). Cette fois-ci, il fut décidé de faire intervenir davantage de synthés. Avant, on entrait en studio avec les 5 ou 6 musiciens habituels : Michel au piano, moi fredonnant la chanson. Les musiciens écoutaient et apportaient leurs griffes ensuite. Alors que pour cet album, il y eut “un synthétiseur” : une seule personne ou deux. Pas de musiciens. A Los Angeles il y avait Michael Boddicker et Greg Mathieson qui a produit récemment Shena Easton. A Paris on fit venir Bill Cuomo : il avait fait le disque “Bette Davis eyes” de Kim Carnes. J’avais beaucoup aimé le son de cet album. Le travail de préparation en studio fut très long mais passionnant.

Quand l’album fut terminé, comment avez-vous décidé que “Débranche” serait le titre phare, celui sur lequel l’essentiel de la promotion serait faite ?

Une face A s’impose naturellement mais il faut aussi que ce soit une chanson que j’ai envie de défendre plus particulièrement : celle que je chanterai le plus souvent. Pour “Dancing Disco” il y avait 2 titres forts : “Musique” et “Dancing Disco”. Il y avait aussi “Si maman si” mais c’était une chanson lente et il est rare que ce type de chanson soit le titre phare d’un album. Personnellement j’adorais “Musique” mais tous ceux qui l’écoutèrent : professionnels, gens de radios etc … pensaient à “Dancing Disco”. On peut difficilement lutter contre tout le monde: j’ai donc réalisé un vidéo de cette chanson. Quelques semaines plus tard, les médias téléphonent “On s’est trompé … “Musique” accroche mieux, elle plaît beaucoup plus : Comme quoi ! … Pour “Tout pour la musique” ce fut pareil. Il y avait aussi “Résiste” comme titre fort. On penchait tous pour le premier puisqu’on voulait donner ce nom au spectacle. Cela faisait une unité. Toujours assez délicate comme tu vois. Pour le dernier album, certains préfèrent “Calypso” à “Débranche” ou “Hong Kong star”. Pour nous “Débranche” représente bien le disque, l’univers du spectacle que je vais monter autour de ce thème : l’incommunicabilité.

Bettina Rheims a signé la pochette. T’intéresses-tu aussi au disque à ce stade : conception de la pochette, choix des photos etc. ?

J’aime être présente du début à la fin d’un disque. En ce moment nous préparons l’affiche. Je l’ai faite refaire 3 fois et pourtant … je n’aime pas les séances photos. Mais je veux une affiche qui donne le ton du spectacle. Très important donc d’être là. La photo de la pochette est très exactement ce que je voulais qu’elle soit. Ce fut très long. Les lumières de Bettina : parfaitement réussies et très belles.

La dernière chanson de l’album s’appelle “J’ai besoin de vous”. Je l’ai reçu comme s’adressant à tous ceux qui t’aiment.

Tout ce que je dis dans cet album est sincère. Je ne pourrais pas faire ce métier sans le public. Je reçois beaucoup de courrier et y réponds personnellement. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai tant de retard, surtout dans les moments où je prépare un spectacle, j’ai moins de temps disponible pour répondre. Mais ce temps employé à mon courrier est pour moi un moment privilégié. Je reçois des lettres tellement belles où les gens se racontent… Oui, je l’aime mon public et je le connais bien.

Et comment le ressens-tu, ce public ?

Ils ont tous un point commun : la plupart sont assez jeunes, 16/18 ans. Ils sont souvent paumés. Ils m’écrivent parce qu’ils comprennent que je m’adresse à eux. Les gens de 40 ans savent qui ils sont, ce qu’ils font, ce qui se passe dans leur vie, tandis que pour les autres, c’est le commencement: c’est sans doute pourquoi ils sont et perdus et paumés. Je leur donne des petits conseils du genre “Résiste … prouve que tu existes … Débranche” …

Tu as été l’une des premières à chanter du Gainsbourg. Depuis il y a eu d’autres et non des moindres: Catherine Deneuve, Jane Birkin, Isabelle Adjani. Pour moi, les chansons qu’il t’a écrite sont parmi les plus intéressantes parmi celles des années 60. Te sens-tu prête à recommencer l’expérience un jour ?

Je ne crois pas. Il me semble que l’on s’est tout dit avec Gainsbourg, et c’est pour cela que j’ai arrêté. On a collaboré pendant 5 ans. A cette époque-là, j’enregistrais jusqu’à 4 disques par an avec un titre – toujours – de Gainsbourg. Et puis cela s’est arrêté- comme ça naturellement, quand il a été au bout de ce qu’il avait envie d’écrire sur moi. J’ai refais une tentative avec lui dans les années 70,72 au moment où j’étais un peu dépressive. Je venais de quitter l’équipe qui m’avait porté pendant 5 ans. L’époque aussi où j’avais envie de chanter des choses qui me ressemblent : je ne me reconnaissais pas dans ce que j’interprétais alors, y compris dans celles de Serge. J’étais assez malheureuse. Je suis allé le revoir. Il m’a écrit deux titres très sympas “les p’tits ballons” et “Frankestein”. Ça n’a pas marché. L’expérience s’est arrêtée là …

Aujourd’hui, si je travaille avec Michel Berger, ce n’est pas par hasard. Il est très proche de moi, j’aime sa façon de dire, avec les mots simples des choses très importantes. J’aime sa musique qui balance comme j’aime. Dans ce 5e album il y a une chanson “Tu comprendras quand tu seras plus jeune”. C’est une chanson d’album qui est du Michel Berger comme j’aurais pu en chanter à mes débuts. C’est d’ailleurs une de mes préférées.

Je peux me tromper, mais il ne me semble pas que tu t’intéresses à une carrière internationale.

Cela ne m’intéresse pas du tout. Au début de ma carrière, j’ai beaucoup voyagé. J’ai chanté dans toutes les langues. Finalement je n’aime pas trop. J’ai envie de travailler en France sans m’éloigner trop de Paris. Je ne veux faire ausun effort dans ce sens.

A quelques mois d’intervalles, toi, Johnny et Sheila passerez dans la même salle: le Zénith. Vous êtes issus de la même génération, et par des cheminements différents, vous êtes toujours là, 20 ans après …

Johnny est le plus grand, incontestablement. Il remplit les plus grandes salles un maximum de temps. Son public doit être actuellement celui des 30/35 ans. Sheila, je ne vois pas quel peut être son public. Elle essaye de changer mais a-telle conservé son public d’avant ou en at-elle séduit un autre ? Je ne sais pas. Quant à moi, mon public a entre 16 et 18 ans. Je chante pour eux. C’est pour cela qu’ils viennent à mes spectacles.

Tes passages sur scène, ont toujours été d’énormes paris. Passer du Théâtre des Champs-Elysées au Palais des Sports … et être à l’affiche du Zénith n’est pas un mince record. Ça te passionne ces paris-là ?

Tout à fait. On ne peut pas faire ce métier d’une manière “pèpère”. Il faut savoir prendre des risques. Le Théâtre des Champs-Elysées : ma première prestation scénique après pas mal de tournées. Ces tournées: une façon de travailler qui ne me convenait pas. Alors …

Quand on me proposa de refaire de la scène, je ne fus pas emballée. Mais quand on croit en toi… ça aide beaucoup. Je me suis laissée tenter. On a cherché des idées. Au départ j’avais une grande envie de chanter avec Count Basie, mais ça ne s’est pas fait : il était très malade. Puis on voulut monter un orchestres de filles: de l’inédit à l’époque. On a trouvé des éléments en Australie, d’autres à Los Angeles, d’autres à New-York. Ce spectacle me donna confiance en moi. Je découvrais la scène. On s’est bien amusé. Et puis … l’on me proposa le Palais des Sports. Je savais que le public me suivais: Je me suis laissée porter. Et c’est là que j’ai réellement découvert ce que cela représentait la scène, le plaisir de chanter devant un public, le plaisir des “planches”.

Et le Zénith ?

J’y suis allé souvent. Quand la salle était en construction. Puis quand Renaud fit son spectacle … Je sens bien cette salle. Je la trouve très belle. J’ai envie d’y chanter et j’espère que le public aura envie d’y venir. Le son y est bon. On fera tout pour qu’il devienne fantastique. Le son est très important pour moi. Il est une de mes premières préoccupations dans un spectacle.

Quelle sera la “couleur dominante” de ton spectacle ?

Je te l’ai dit: l’incommunicabilité.

Et comment le prépares-tu ? Es-tu déjà en répétitions ?

On commence et… ce sont les débuts, les plus ingrats. Je répète avec les musiciens. On déchiffre les partitions. C’est dur: pas de lumières, de son, de danse. Peu à peu les éléments de cet immense puzzle vont se juxtaposer, s’interpénétrer pour parvenir à un tout homogène : une unité. L’intérêt d’ouvrir les portes en septembre? Tu as tout le mois d’août pour répéter dans une salle inoccupée. Pour le Palais des Sports je n’ai disposé que de deux jours pour … rôder le spectacle. On dut aller à Londres pour trouver une salle de mêmes dimensions pour tous les réglages sons et lumières. Ici, c’est différent bien que l’on ne puisse pas vraiment régler le son dans une salle vide.

Au Palais des Sports tu as joué du saxo. Pour le Zénith prépares-tu quelques clins d’œil; quelques surprises ?

Quand je monte un spectacle, j’en profite pour faire des choses que je ne fais généralement pas. Cette année j’apprends le karaté. Je ne sais pas si tu l’as déjà pratiqué mais c’est un des sports les plus difficiles.

Comment conduis-tu ta carrière ? Un artiste peut-il la dominer et la diriger complètement ?

Tout à fait : je le dis maintenant. Il faut se protéger, certes. En ce qui me concerne je suis en harmonie avec ce que je fais. Cela demande … beaucoup d’attentions, mais j’y arrive …

Tu es très discrète sur ta vie familiale et je te comprends. Mais à de petites touches on sent que cette partie de ta vie est très importante pour toi.

Pour moi, c’est le plus important et pourtant… j’aime tellement ce que je fais … je suis si heureuse professionnellement que je ne sais plus très bien. C’est peut-être parce que je me sens bien dans ma vie professionnelle que je suis heureuse dans ma vie privée. Je crois sincèrement que les deux sont nécessaires. Je me bats pour chacune d’elles. Dans des moments comme aujourd’hui, avec la préparation de mon spectacle, les deux vies ne sont pas très équilibrées – c’est vrai – mais je me rattraperais ensuite.

Actuellement, tu es dans une phase préparatoire d’un spectacle, alors France Gall est-elle plus tendue, plus nerveuse que d’habitude, ou aborde-telle ce moment comme un autre, sereine?

Quand je suis sur scène (ou en préparation d’un spectacle) la tension est plus forte. Je peux difficilement me consacrer à ma vie privée. Je n’aime donc pas que mes enfants soient là pendant le spectacle. Je ne peux pas sortir de scène et être – immédiatement – moi-même, dans un moment de ma vie courante. Un disque ne réclame pas la même tension. C’est un travail long -c’est vrai- On passe beaucoup de temps en studio. Mais je m’arrange pour faire coïncider mes horaires avec ceux de mes enfants pour … déjeuner avec eux par exemple. Quand le spectacle est commencé, c’est aussi plus facile. Je suis chez moi jusqu’à 6 heures du soir.

Mais pendant le mois d’août, quand auront lieu les dernières répétitions je serais complètement dans le spectacle. Mes enfants iront en vacances en dehors de Paris et l’on ne se verra que pendant les week-end.

Peux-tu imaginer ton avenir de chanteuse ou de femme, simplement ?

En ce moment non ! Je vis des instants très importants pour ma carrière. Je suis donc concentrée sur l’avenir immédiat. Mais l’avenir est une question pour moi. Je voudrais pouvoir m’arrêter à temps. M’en rendre compte.

Pourquoi ? Tu penses sérieusement qu’un jour il faut dire “J’arrête” ?

Oui. Je le crois. Dans la chanson surtout. Au cinéma … on peut jouer tous les rôles.

Peut-être … mais n’est-ce pas difficile de regarder son propre visage dans le miroir ?

C’est vrai, mais l’entourage est très important. Il aide considérablement dans ce domaine … et moi aussi, je m’en rendrais compte. Je commencerais à y penser sérieusement dans un an.

Christian PAGE

Magazine : Numéros 1
Date : Juillet 1984
Numéro : 16

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