France, l’étoile du Berger (Presse)

L’article retranscrit

1987 France Gall Presse France létoile du Berger Paroles Musique Novembre 1987 N°01 009

Jadis jaillie tout droit de la cour de récré, France Gall, en dépit des années, continue d’être chantée dans les écoles.

Un exploit : à l’approche de la quarantaine, l’ex-baby-star des sixties parle mieux que personne le langage de la jeunesse. Aujourd’hui, l’étoile du Berger est au Zénith.

C’était un temps déraisonnable … En cette orée des sixties, sur la France assoupie du général, déferlait la folie yéyé. C’était le temps des idoles et de Salut les copains, du Golf Drouot et des surboums. Teppaz et Coca-Cola, on dansait twist et madison lorsqu’une voix sucrée surgie des brumes entreprit un beau matin de chambrer ce « Sacré Charlemagne ».

En cette époque haletante des succès foudroyants et des stars météores, cet hymne jailli tout droit de la cour de récré fut entonné aussitôt par des armées de collégiens : France Gall entrait dans la carrière.

Vingt-trois ans ont passé, et France Gall est toujours là. Vingt-trois ans ont passé, comme un mirage : elle est intacte. Même s’il y a chez elle aujourd’hui une gravité nouvelle, même si dans son regard flotte par instants comme une absence, les désarrois d’une femme, d’une âme, elle garde en elle ce formidable appétit de vivre et cette envie du partage qui, seuls, font les vraies ·stars, et permettent de tenir.

Car qui aurait misé un penny, jadis, sur la rivale éthérée de Sheila, socquettes et mèches blondes, qui aurait seulement imaginé qu’elle prétendrait chanter un jour le vrai sens de la vie ou les malheurs du monde, qu’elle le ferait, et bien ? Avant son nouveau marathon du Zénith, où elle s’installe pour trois semaines à partir du 12 novembre, la douce France fait ici le point sur sa carrière, et sur sa vie. Un succès d’ensemble qui est une autre performance. Bravo l’artiste !

PM – Trois ans depuis votre dernier spectacle, c’est un peu long, non ?

France Gall – Oui, c’est long, mais c’est mon rythme pour pouvoir être bien dans mon travail – si l’on peut appeler cela un travail – et faire ma vie aussi. J’ai quand même deux enfants, que je tiens beaucoup à voir grandir. Je n’ai pas particulièrement de mérite, toutes les femmes, partout dans le monde, courent après les heures …

– Vous savez bien vous organiser ?

– Je suis une très grande organisatrice, depuis la vie quotidienne jusqu’aux voyages ou aux vacances, en passant par le travail. D’ailleurs beaucoup de gens dans mon entourage en profitent.

– C’est un trait de caractère compatible avec un métier artistique ?

– Je ne suis pas une artiste, moi. L’artiste, c’est celui qui crée, celui qui écrit. Ce que je chante ne sort pas de moi. La vérité est donc lourde à supporter, mais je ne suis pas une artiste …

– Il n’y a pas un sentiment de frustration, tout de même ?

– Non. Écrire ne me tente pas. Je trouve que ce que je fais est ce qu’il y a de plus extraordinaire, parce que je le fais avec les gens. Je ne suis pas toute seule devant ma page blanche.

- Ce ne serait pas plus fort encore si vous communiquiez à ces gens des choses venant de vous ?

– Certainement, si c’était réussi ! Il y a trop de gens qui communiquent des choses sortants d’eux-mêmes, et c’est nul. Ce qui compte, c’est de dire des choses qui vous correspondent, et qui vous ressemblent ; qu’importe, au fond, qui les écrit. Pour moi, il se trouve que ce que m’écrit Michel (Berger) colle littéralement à ce que je suis, et touche les jeunes d’aujourd’hui – et même les très jeunes !

– Cela ne vous surprend pas que des gamines de 16 ans s’identifient à vous ?

– Je ne me pose pas trop la question. C’est ainsi …

– C’est tout de même un métier où les longues carrières sont rares, et plus encore chez les femmes …

– Moi, je reçois beaucoup de courrier, et je prends le temps de tout lire. Toutes ces lettres prouvent une chose : ce qui les intéresse en moi, c’est ce que je dis, et pas forcément la musique, qui peut donner envie de bouger, de danser. Ce sont les mots ! Ce sont mes mots qui leur donnent envie de venir à mes spectacles, d’acheter mes disques, de m’aimer … Ces gosses, il reçoivent la cruauté du monde en pleine figure, toutes ces horreurs, et les textes de Michel répondent à certaines des questions qu’ils se posent, à leurs problèmes de solitude, à leur angoisse devant l’avenir …

– Quoi qu’on vous dise, tout le mérite revient toujours à Michel Berger !

– Ça vous agace, n’est-ce pas ? Et pourtant, ça ne peut pas être autrement. Michel, c’est quelqu’un qui, outre les superbes chansons qu’il m’écrit, sait aussi m’encourager, me pousser ; il me galvanise. Je n’ai envie de travailler avec personne d’autre.

– Pour en revenir à la durée, ça vous étonne d’être restée si longtemps une vedette, ça vous paraît miraculeux, ou simplement logique ?

– Ça m’étonne et, en même temps, je pense aussitôt « travail ». Je travaille énormément, et je crois que ce succès durable en est le résultat. Parce que je me donne beaucoup de mal, je suis profondément sincère, et j’aime ce que je fais : moi, je voudrais pouvoir embrasser tous ces gens qui viennent aux spectacles, qui sont contents d’être là, et qui vont me donner un moment de bonheur ! Mais, d’un autre côté, je n’ai pas l’impression d’avoir mené une très longue carrière : ça me semble complètement fou, tout comme le fait d’approcher de la quarantaine ! Non, je n’ai pas du tout l’impression de chanter depuis longtemps, notamment parce que tout cela s’est fait en deux temps : une première carrière suivie de plusieurs années de silence, puis un retour en 197 4. Que ça ait à nouveau marché est miraculeux, je le sais, et je ne suis pas la seule à le dire : c’est exceptionnel. Il n’y a guère que Tina Turner … Le miracle pour elle a été la séparation, pour moi, ce fut la rencontre … Une rencontre que j’ai voulue, moi qui n’étais pas habituée à décider, à vouloir. Ce n’était pas une question de flair, comme on a pu le dire, mais de sensibilité : j’ai rencontré une même sensibilité, et ça ne se discute pas. Je me suis dit : « Ce sera lui, sinon personne », et d’ailleurs je m’en serais tenue là ; s’il avait refusé, j’aurais tout arrêté.

- Vous suivez un peu ce qui sort, ce que font les autres ?

– Pas trop, non. J’écoute la radio dans ma voiture, mais il m’arrive aussi de n’ouvrir ni la radio ni la télévision pendant quinze jours. Et je n’achète pas de journaux. Pour le reste, les jeunes qui percent maintenant, je les trouve marrants : ils sont toujours habillés en noir et ils ont l’air très méchants ! Ils ont dix-huit ans, pour moi ce sont presque des bébés, mais ils ne sourient pas. Je trouve ça touchant …

– Et chez vous, quels disques écoutez-vous ?

– C’est très difficile d’écouter des disques dans une maison habitée par quelqu’un qui doit écrire des mélodies. Bien sûr, Michel ne compose pas 365 jours par an, mais on perd vite l’habitude de mettre de la musique. D’autant que nous n’avons pas de chaîne moderne, juste un vieux Teppaz d’il y a vingt-cinq ans, et puis un Braun qu’on m’avait offert pour mes 19 ans ; c’est celui-là dont nous nous servons. Nous avons aussi un lecteur laser, mais nous ne nous en sommes jamais servis parce qu’il nous manque le complément de la chaîne et que dès que Michel touche un appareil, il le dérègle … Quant aux enfants, ils ont un mange-disque avec lequel ils écoutent des 45 tours, comme « Viens boire un p’tit coup à la maison » …

– C’est un tube navrant, n’est-ce pas ?

- Ça a toujours existé ! Il y a eu la « Danse des canards » par exemple. Il en faut pour tous les goûts, et si des gens aiment ça, s’ils éprouvent du plaisir à écouter ça, alors pourquoi pas ?

– Le métier a beaucoup changé en trois ans ?

– Énormément : il y a le Top 50. Pour les artistes, c’est une révolution. Désormais, nous sommes devenus des numéros. Ainsi, quand j’ai sorti mon album, je savais que j’étais n° 2 des passages FM et n° 11 du Top 50. Je n’étais plus qu’un numéro. Mais le Top 50, c’est le sésame aujourd’hui. Ce sont les ventes de disques, et c’est donc incontestable. Ce qui peut se passer, tout au plus (mais sur une semaine, pas à long terme), c’est qu’une maison de disques achète massivement ses propres productions, au moins pour faire entrer son artiste dans la liste magique. Parce que, en dehors des cinq ou dix premiers, il ne faut pas vendre énormément pour figurer dans le Top 50.

– On vend moins de disques depuis quelques années ?

– Je crois, oui, que le métier va très mal. Mais ce qui va mal, ce ne sont pas les gros calibres ; pour ceux-là, rien ne change. Non, c’est surtout dur pour les jeunes. Par exemple, on ne fait plus d’albums. C’est le mauvais côté du Top 50, tous ces gens qui montent des « coups» : ça marche du feu de Dieu, et puis derrière il n’y a plus rien ; un 45 tours et puis s’en vont…

– Et la chaîne musicale ?

– C’est une affaire épouvantable. Je me suis battue pour elle. Pour une fois, nous nous sommes tous unis, et c’était formidable. Nous avons rencontré les politiques, pour leur dire que lorsqu’un pays possède une culture comme la nôtre, une telle chaîne est une nécessité si l’on veut résister à l’invasion anglo-saxonne. C’est une affaire qui n’est pas close, et nous continuerons à nous battre.

– Dans l’ensemble, vous jugez qu’on vous voit et qu’on vous entend suffisamment ?

– Oui, absolument. Je ne souhaiterais pas qu’on me voie davantage. Déjà, lorsque je me vois sur les murs de Paris, ça me gêne. C’est curieux, mais je n’aime pas me montrer …

– C’est pourtant un métier d’exhibitionniste …

– C’est vrai, mais je n’ai pas cette impression lorsque je fais de la scène. La scène, ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire pour moi, qui ai commencé très jeune. Bien sûr, deux heures avant, on est mal, mais dès qu’on y va, c’est facile, simple, c’est presque naturel. Alors je n’ai pas peur … Je ne le disais pas autrefois, parce qu’il était d’usage d’affirmer que quand on n’éprouvait pas de trac, on n’avait pas de talent.

- Beaucoup de nouveautés pour ce spectacle 87 ?

– Oui, il sera très différent des autres parce qu’il est conçu AVEC le public. On m’avait proposé de faire Bercy, et l’idée d’être la première fille à s’y produire m’amusait, d’autant que j’adore changer de salle. Puis je me suis dit que, pour agréable et valorisant que cela puisse être, je ne faisais pas un spectacle pour moi mais pour les autres. Je fais de la scène pour rencontrer tous ces gens qui m’aiment et que je ne connaîtrai jamais. C’est pour moi le seul moyen de les remercier. J’ai donc préféré retourner au Zénith, dans une nouvelle formule, pour être quand même plus près d’eux. Et j’ai bien fait : j’ai reçu beaucoup de lettres me remerciant de ce choix. Au Zénith, pour que ce soit plus amusant, nous avons conçu une scène circulaire, avec, pour la première fois, des gens qui, sans gêner les autres, pourront assister au spectacle debout. Ceux-là pourront même monter sur scène. En fait, ce sera l’esprit d’une place de village, d’un concert en plein air, la nuit, autour duquel les gens se retrouvent pour faire la fête et de la musique. La scène et la salle formeront un tout, sans réelle délimitation. J’ai envie de les avoir là, tout près, genre mère poule un peu …

– Aujourd’hui, un tour de chant ne se suffit plus par lui-même ?

– Je n’ai jamais eu envie de faire un spectacle traditionnel où l’on se contente de chanter dans son micro. Désormais, cela ne se fait plus. Le public a tellement évolué ! Il participe, il chante, il danse, il bouge … Les gens viennent là pour se rencontrer, se parler, partager un plaisir, et ils sont sensibles au fait que l’on se donne du mal pour leur ‘proposer quelque chose de fort, et leur offrir deux heures d’évasion, deux heures d’oubli.

– Il y a aussi un côté escalade, défi, à vouloir faire toujours plus fort ?

– Le spectacle va durer trois semaines, 6 000 personnes par jour. Ce n’est pas plus fort, c’est même très prudent. Mais ce métier, on ne peut pas le faire à la « pépère », il faut qu’il y ait un risque chaque fois.

– Pourtant, certains reviennent à des salles plus modestes, comme le Grand Rex.

– Ça ne me tente pas du tout, car dans une petite salle c’est beaucoup moins magique. Et puis j’ai une musique sophistiquée qui nécessite une dizaine de musiciens. Enfin, j’ai envie de bouger, donc j’ai besoin d’espace. Et surtout, je n’ai pas la santé pour faire des semaines et des semaines dans un même lieu.

– Lorsque vous préparez un spectacle, vous vous dites que c’est peut-être le dernier ?

– C’est le dernier, justement !!! (Elle rit.) : Non, mais je me dis que je n’en offrirai plus des quantités, ça c’est sûr … Mais ce n’est pas le dernier, parce que le dernier, ce sera Michel et moi. En attendant, vous n’imaginez pas combien je vais en profiter, de celui-là. Vous ne pouvez pas vous imaginer ! De chaque soir, de chaque seconde ; il faut que j’amasse un maximum, des émotions, des souvenirs, pour « après » … Parce que le jour où je m’arrêterai, ce sera quelque chose de très douloureux … Mais c’est une chose à laquelle je me prépare depuis des années déjà. Tant que je me sens proche de mon public, ça va. Mais un jour je m’arrêterai, c’est sûr. Je crois que ce qui sera plus fort que ma passion pour ce métier, c’est la crainte de tout gâcher. Parce que ce qui me fait peur surtout, c’est l’idée de ne pas me rendre compte que je vieillis, et que je ne parle plus le même langage. C’est ça qui me fera décrocher : lorsque je ne parlerai plus « leur » langage. Et je veux que ce soit par ma propre volonté, par-delà ma tristesse.

– Vous pensez qu’il restera quelque chose de tout ça après vous ? Qu’il restera quelque chose de France Gall ?

– Non, de moi, rien. D’autant que dans la vie je ne suis pas quelqu’un de passionnant, je suis même très ordinaire … En fait, ce qu’il y a d’intéressant en moi, c’est ce que je dis, ce que je suis à travers mes chansons ; le reste n’a aucune importance, ça ne compte pas, et ça ne doit pas compter. Je crois qu’il restera éventuellement quelque chose des gens qui ont écrit, des auteurs, des compositeurs. Mais pas des interprètes. Et, pour moi, ce n’est pas très important. Qu’il reste quelque chose de moi m’indiffère. Je ne suis pas comme ces personnalités politiques qui éprouvent le besoin de faire bâtir un monument afin de laisser une trace tangible de leur passage ; moi, je ne construis que ma vie …

En concert du 12 au 29 novembre au Zénith. Contact scène : Gilles Paquet Organisation.

Derniers albums

1981 – Tout pour la musique (50.857 WEA.) – Tout pour la musique – Les accidents d’amour – La fille de Shannon – La prière des petits humains – Résiste – Amor Tam Bien – Vahiné – Diego libre dans sa tête – Ceux qui aiment.

1984 – Débranche (240 367 WEA.) – Débranche – Calypso – Tu comprendras quand tu seras plus jeune – Hong-Kong star – Cézanne peint – Savoir vivre – Si superficielle – Annie donne – J’ai besoin de vous.

1987 – Babacar (242 096 1 WEA.) – Papillon de nuit – Dancing brave – Babacar – J’irai où tu iras – Elle elle l’a – Évidemment – La chanson d’ Azima – Urgent d’attendre – C’est bon que tu sois là.

Déprime

Daniel Balavoine était le meilleur ami de Michel (Berger), et, dans ce métier, les vrais amis sont rarissimes. C’était pour Daniel un grand frère. C’était un garçon extraordinaire et c’est pour nous une perte terrible, amicalement d’abord, professionnellement ensuite. Je n’avais jamais pu le voir sur scène parce que chaque fois qu’il donnait un spectacle, j’étais moi-même à l’affiche.

Coluche était un être d’une rare générosité qui décrochait son téléphone lorsqu’il avait envie de connaître quelqu’un. Il nous avait appelés ainsi, il y a neuf ans, parce qu’il était fou de Starmania. C’est probablement la personne la plus intéressante qu’il nous ait été donné de rencontrer en France. Il était très différent de l’image qu’il pouvait donner de lui-même. »

C’est vraiment malheureux. D’autant que l’un comme l’autre n’avaient pas terminé ce qu’ils avaient entrepris.

C’était justement l’année où Daniel allait éclater : il avait sorti son plus bel album et allait faire le palais des Sports. C’est affreux de disparaître ainsi, avant d’avoir donné ce que l’on portait en soi.

Pour Coluche, c’est différent : il avait extraordinairement bien réussi. Il n’avait raté qu’une chose : l’image qu’il avait donnée de lui aux gens était très éloignée de ce qu’il était en réalité. Or il commençait justement à y remédier, notamment à travers les Restaurants du cœur ; depuis quelques mois, il était beaucoup mieux dans sa peau, plus détendu. Il était bien. Et il allait enfin vivre bien … Oui, Coluche était enfin heureux …

Le plus terrible et le plus étonnant est que tous deux étaient de ces individus qui font bouger les choses : ils entraînaient dans leur sillage des centaines de milliers de personnes. » C’est la première fois que je parle d’eux depuis leur disparition ; avec Michel, nous étions tellement déprimés que nous en venions à penser qu’il ne faisait pas bon faire partie de nos amis ! Bien sûr, on se pose beaucoup de questions Moi, j’ai acheté une maison cinq minutes après avoir appris la mort de deux amis : j’hésitais, mais de tels événements changent beaucoup de choses. On se dit qu’il faut profiter de tout, et vivre le temps présent le mieux possible.

 Par Richard Cannavo

Magazine : Paroles Musique
Date : Novembre 1987
Numéro : 1

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