La légende Michel Berger
(Presse ) VSD

« Comme si je pouvais mourir demain »

Il donnait de lui une image de dilettante, de nouveau romantique, et pourtant Michel Berger était de toutes les bonnes causes. Discrètement.

C’est injuste ! Il y avait Coluche et Balavoine, évidemment, ses frères de cœur… Eux partis, Michel continuait de se battre seul, certes de façon moins tonitruante que ses deux copains forts en gueule, mais avec ses mots à lui, sages et polis, sa manière douce … Car, avant d’être l’artiste qui squattait les « Top » par interprètes interposés, Michel Berger était un homme bon. Finalement son grand dessein, lui le musicien comblé, n’était-il pas de composer, au sens le plus large, une grande mélodie du bonheur ? Comme, aurait pu l’écrire l’ami Patrick, il avait lui aussi rendez-vous place des Grands-Hommes.

Berger, le bien-nommé, était donc une sorte de Samaritain moderne un type à part dans les eaux troubles du show-biz. Différent. Lui, le fils de bonne famille (son père était le professeur Jean Hamburger – décédé le 1er février dernier – et sa mère une célèbre concertiste, Annette Haas), lui que l’on a très souvent qualifié de rocker des beaux quartiers ne se connaissait qu’une seule famille, celle des potes « Baia » et « l’enfoiré » numéro un. Ensemble, ils ont fondé Action École pour venir en aide aux enfants africains, ils ont chanté et milité pour l’Éthiopie. Voilà Berger. L’artiste à la fibre sentimentale qui, tout doucement, tout discrètement, menait sa révolution tranquille, ardent défenseur, dès 1981, de celui des candidats à l’Élysée qui incarnait la force du même nom. Cette fidélité à Mitterrand lui vaudra d’ailleurs d’être souvent reçu à l’Élysée, d’obtenir un poste de conseiller à Antenne 2, du temps de Pierre Desgraupes. Quelques grâces, quelques faveurs que certains de ses confrères de la « grande famille de la chanson » ont vu d’un sale œil, le taxant de « chanteur officiel », de « la voix de son maître ». . . « Je paie très cher ma réussite, disait-il, je déchaîne la haine de certains critiques qui m’attaquent au vitriol. Non pas pour ce que je fais, mais en m’agressant personnellement sur ma voix, mon apparence physique, mes origines bourgeoises. Ma naïveté agace. On la croit feinte. A moins que notre époque n’exige cette férocité … »

Homme doux dans un monde de fous, Michel Berger était parvenu, chose rare dans ce milieu, à préserver sa vie privée, son jardin secret. Avec France Gall, il formait ce couple exemplaire, modèle. Depuis 1976, leurs vies et leurs carrières se sont confondues. Collaboration rarissime, étonnante de fidélité, de complicité partagée. Couple en phase, sur la même gamme. « Et pourtant, racontait-il, j’ai longtemps refusé de composer pour elle. Je ne lui trouvais vraiment aucun point commun avec mon inspiration. Contrairement à moi, son métier n’est pas la chose la plus importante dans sa vie. Elle s’angoisse sur d’autres choses que moi : le temps qui passe, l’usure des choses, vieillir … Moi, je plane. » Faux doux rêveur, en vérité, qui, sans tapage excessif, mènera conjointement sa propre carrière et façonnera celle des autres, au point d’être surnommé « le Vadim de la chanson », Pygmalion inspiré de Véronique Sanson, Françoise Hardy, France Gall et qui, dit-on, s’intéressait de plus en plus à Vanessa Paradis.

Depuis peu, il lorgnait aussi vers le cinéma et semblait être sur le point de concrétiser ce vieux rêve qu’il nourrissait depuis de longues années : un film intitulé Totem, sur la vie des Indiens de Colombie britannique.

Comme pressé par le temps, lui le faux calme vivait vite dans sa tête : « Je vis comme si je pouvais mourir demain. La mort, c’est étrange, les adolescents y pensent et les adultes finissent par l’oublier. Mais vivre intensément, ce n’est pas faire n’importe quoi. De toute façon, il n’y a pas de solution. Soit on pratique le bonheur immédiat, soit on meurt à 24 ans … comme James Dean ! » Lui aussi, en quelque sorte, a succombé à cette fureur de vivre, à 44 ans. Didier Vallée

Ramatuelle, dimanche 20h …

Fou de tennis, il entreprend une partie vers 19 heures, avec un ami médecin. Une heure plus tard, Michel Berger s’effondre. Récit.

« Non merci, je ne suis pas très en forme, avec cette chaleur… »

 Il y a quelques jours à peine, sur la plage de Tropezina, dans la baie de Ramatuelle, Michel Berger refusait à un ami un verre de sangria. Ce jour-là, comme depuis plus d’une semaine, Saint-Tropez suffoquait sous une véritable chape de plomb, lourde, humide, oppressante. Un de ces temps pourris qui font préférer au soleil provençal et à la plage la fraîcheur des bastides cossues. C’est dans l’une de ces villas du Sud, aux murs ocre et aux volets bleus, chapeautée de tuiles romaines et nichée dans les pins maritimes, que Michel Berger se réfugiait. Loin de la foule tropézienne, du vacarme, de la frime, du show-biz.

A la vie comme sur scène, il préférait le backstage, loin des paparazzi, du décorum. A La Grand-Baie, la propriété qui surplombe les plages de Pampelonne et qu’il avait achetée pour France Gall, Pauline, 13 ans, et Raphaël, 11 ans, leurs enfants, Michel Berger devenait Monsieur Tout-le-Monde, privilégiant la famille, les amis, les discussions enjouées à l’ombre de la grande bastide, les repas sympa entre copains. Le midi, il rejoignait en famille le bar de la plage de Tropezina. Une plage privée, familiale et sportive.

Ses enfants faisaient de la planche à voile du matin au soir. Lui et France retrouvaient Nathalie Baye, Laura, Pierre Lescure. Il mangeait léger : salades, grillades, « pas de gras surtout ». Avec 3 grammes de cholestérol, comme beaucoup d’hommes qui ont dépassé la quarantaine, il se surveillait. C’était un fou de tennis. Il avait fait construire un court dans la propriété, juste à gauche en entrant. Au milieu de la garrigue, sans un poil d’ombre. Il y avait même fait installer une chaise d’arbitre, clin d’œil perfectionniste, pour les parties disputées entre amis.

Dimanche, en fin de journée, selon son habitude, il s’y est rendu avec un ami médecin. Dérogeant à la règle sacro-sainte de refuser toute mondanité, il avait pourtant accepté de se rendre à 21 heures au Festival de Ramatuelle, avec France Gall, pour assister à la représentation de Ruy Blas, après sa partie de tennis. Il l’avait promis au comédien Etienne Chicot, avec lequel il avait déjeuné la veille. Dimanche à 20 heures, Michel Berger et son partenaire n’ont échangé que quelques balles, avant que Michel s’effondre.

Quand France Gall, présente dans la propriété, réalise que quelque chose de grave vient de se dérouler, elle aussi s’effondre. Victime d’un malaise. Le choc insupportable. Immédiatement, l’ami médecin prodigue les premiers soins. Bouche-à-bouche, massages cardiaques, tandis que des amis préviennent le docteur Boucarut, médecin de garde. Arrivé rapidement sur les lieux, il tente lui aussi de le sauver, avant d’alerter, à 21 heures, les pompiers. Pendant quarante-cinq minutes, ces derniers vont tout tenter pour le réanimer. Trop tard. En arrivant à 21 h 10, ils avaient déjà constaté que la vie s’était échappée du corps de Michel Berger.

Le premier ami à venir saluer la dépouille est Johnny Hallyday, voisin de quelques kilomètres. A 21 h 30, à l’heure où le rideau se lève sur Ruy Blas, qui ouvre le Festival de Ramatuelle, à quelques kilomètres de là, le service médical d’urgence de Saint-Tropez constate officiellement la mort du compositeur-interprète. Le deuil commence. Le corps est amené à la morgue de l’hôpital de la petite ville. Lundi matin, choquée, abattue, France Gall, silhouette blonde cassée par le chagrin, cachée derrière des verres fumés, se rend à la morgue, porter des vêtements sans doute, embrasser celui qui fut son mari, le père de ses enfants, et son inséparable compositeur.

A Ramatuelle, place des Ormeaux, comme à Saint-Tropez place des Lices, le petit monde du show-biz est sous le choc. La peine est pudique, retenue, presque discrète, à l’image du disparu. Dès dimanche soir, les amis se relaient à La Grand-Baie : Johnny Hallyday est venu le premier, dimanche à 21 heures ; mais aussi Coco, la compagne de Daniel Balavoine, l’ami disparu, dont Michel Berger et France Gall avaient repris le flambeau de l’action humanitaire, Jean-Jacques Goldman, venu soutenir France Gall lundi après-midi. Françoise Hardy, Diane Dufresne, Fabienne Thibault, Luc Plamondon, les copains de toujours, ont appelé. Claude-Michel Schonberg, le compositeur, et sa femme Béatrice, journaliste, les amis et voisins inséparables des vacances à Ramatuelle, présents à la propriété le dimanche soir, n’ont pas quitté leur amie. Tous ont créé autour de la chanteuse, qui semble ne pas encore réaliser, un cocon protecteur et tendre. Pour elle et pour Raphaël, qui était aux Arcs au moment du drame, et sa sœur Pauline, qui se trouvait à la campagne. C’est pour qu’ils ne l’apprennent pas brutalement que la mort de leur père n’a été annoncée qu’à 11h30, après que France Gall les eut joints elle-même.

Mardi à 11 heures, la foule s’était rassemblée, silencieuse, devant l’hôpital de Saint-Tropez. A l’intérieur, avec une dizaine d’intimes, France Gall disait adieu à son compagnon. Son double. Caroline Laurent et Carol Illouz

Magazine : VSD
Par Didier Vallée, Caroline Laurent et Carol Illouz
Date : 6 août 1992
Numéro : 779

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