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Ils devaient chanter ensemble pour la première fois de leur carrière.
Quand Michel Berger est mort en août dernier, France Gall s’est réfugiée dans le silence avant de prendre une décision : elle interprétera seule les chansons de Michel sur la scène de Bercy, du 1er au 6 juin.
Elle ne voulait plus chanter. Depuis Babacar, voilà cinq ans, France Gall se consacrait au bonheur paisible de la vie de famille : Pauline et Raphaël, ses deux enfants, et Michel Berger, celui à qui elle vouait une admiration sans bornes. C’est lui qui l’a convaincue de reprendre sa carrière l’année dernière en lui composant Double jeu, un album à deux voix, le premier qu’ils ont enregistré ensemble.
“J’ai détesté ce métier pendant des années, affirmait-elle volontiers. Je n’ai commencé à l’aimer que lorsque j’ai travaillé avec Michel. J’avais enfin des textes qui parlaient de ce que j’avais envie de dire et qui me ressemblaient, ce qui n’était pas le cas avant.”
Le compositeur avait donné carte blanche à sa muse : il avait longuement écouté tout ce qu’elle voulait chanter sur ce disque avant de s’envoler pour Los Angeles où France l’a envoyé travailler pendant quinze jours. “Quand il est revenu, j’ai voulu écouter ce qu’il avait composé, se souvient-elle. Il a dit : “Non, parce que je sais, je suis sûr.” Et le lendemain, au studio, il a joué Laissez passer les rêves. Pour moi, c’est une des plus belles chansons, peut-être même la préférée de toutes celles que j’ai chantées.”
Ce disque, ils devaient l’interpréter sur la scène de la Cigale en octobre dernier.
Le destin en a décidé autrement. Quand France Gall s’est retrouvée seule, le choc a été terrible. “Je ne pourrai jamais me remettre d’une chose pareille, confie-t-elle. Jamais. Ça a beau se passer dans le plus grand calme, dans le plus grand silence, c’est une idée tellement inacceptable qu’on se demande comment on est vivant après. »
Continuer l’œuvre de Michel
Après la mort de Michel Berger, la jeune femme est d’abord partie se reposer chez des amis à Genève, puis dans sa petite maison près de Honfleur. Et puis, la vie a repris ses droits : elle est rentrée à Paris en septembre afin d’être auprès de ses enfants pour la rentrée des classes. Ensuite, il lui a fallu remplacer Michel pour continuer son œuvre : l’adaptation canadienne de La légende de Jimmy, à Montréal, les préparatifs à Londres de Tycoon, la version anglo-saxonne de Starmania et le tournage du clip Superficiel et léger, réalisé par Jean-Marie Périer en Afrique du Sud. France Gall a assumé tout ça avec beaucoup de courage, songeant sans cesse à cette scène qu’ils devaient faire ensemble. “Je suis pratiquement sûre que j’ai décidé de faire Bercy très vite après la mort de Michel, explique-t-elle. Même si je ne l’ai formulée que trois mois plus tard, l’idée m’est venue très vite. Ne pas enterrer cet album, ne pas enterrer ces chansons, les faire vivre.”
Courageusement, elle a repris le flambeau. Dans un flou total au début : quelles chansons choisir, quels musiciens, quelle mise en scène ? Elle est venue à Bercy chaque semaine et, peu à peu, le spectacle s’est imposé. France a finalement choisi quatre musiciens.
“Ça sera fort, assure-t-elle. Ça sera le spectacle le plus fort que j’aurai jamais fait dans toute ma vie. Je ne le fais pas pour Michel. La scène, on ne la fait pas pour quelqu’un. Je n’ai jamais été autant moi et, ça, c’est extraordinaire. »
La gaieté avant tout
Nul ne sait si la chanteuse a l’intention de poursuivre sa carrière après Bercy et la tournée qui suivra. Michel Berger lui-même envisageait de changer de voie. “Lentement, mais sûrement, il allait passer derrière la caméra, affirme France Gall. Le dernier album que nous avons fait ensemble marquait un très grand changement. C’était le tout début d’autre chose et c’est un grand dommage pour moi de ne pas être témoin de ce que serait devenue cette seconde carrière. J’aurais voulu la voir s’épanouir.”
La seule chose dont France soit sûre, c’est qu’elle veut retrouver le goût de vivre, parce qu’à quarante-six ans on ne peut pas renoncer au bonheur. “J’ai été quelqu’un d’extraordinairement heureux et je vais l’être encore, affirme-t-elle. J’aime énormément la vie et je veux une vie gaie. Pour moi et pour mes enfants. »
Leur combat pour l’Afrique
Depuis 1985, France Gall et Michel Berger s’étaient mobilisés pour défendre l’Afrique. Avec Richard Berry, Daniel Balavoine et le producteur Lionel Rotcage, ils avaient fondé Action Ecole, une association qui avait permis de récolter trois mille tonnes de céréales pour le Soudan. En juin dernier, Michel s’était rendu au Cambodge et s’ apprêtait à créer Now (« maintenant »), une fondation qui devait financer des lits pour les malades d’Asie les plus démunis.
I.B.
Magazine : Nous Deux
Date : 18 au 24 mai 1993
Numéro : 2394