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On a le cœur trop gros / Pour se mettre au piano / Pleure, pleure, pleure, petite abandonnée … Reste, reste à côté de moi / Reste, reste, moi aussi j’ai froid / Et peur. »
On les croirait tout spécialement écrites pour France Gall, les paroles de cette chanson de Michel Berger. Elle qui, une fois encore, se retrouve un peu plus seule. Seule avec son immense douleur.
Cinq ans après le décès brutal du père de ses enfants, foudroyé par une crise cardiaque à 44 ans, le 2 août 1992, c’est aujourd’hui son cœur de mère qui pleure la disparition de Pauline. Pauline, sa fille, emportée à 19 ans, dans la nuit du 15 au 16 décembre à l’hôpital Necker – Enfants malades, par l’implacable maladie génétique qu’est la mucoviscidose. Pauline à qui justement son père destinait ces mots pathétiques en 1981, alors qu’elle n’était encore qu’un bébé de 2 ans: « Reste, reste, moi aussi j’ai froid et peur.»
Car déjà il savait. Oui, avant même que leur premier enfant ne soit en âge de parler et de marcher, France et Michel savaient que leur petite fille aurait besoin d’être entourée, choyée, protégée. Dès les premiers mois, en effet, inquiets des bronchites à répétition du bébé, ils avaient appris de la bouche des médecins le terrible diagnostic : les années de Pauline étaient comptées.
Alors, tout en veillant sur elle avec une attention infinie, sans pour autant faire de leur petite malade une enfant gâtée, France Gall et Michel Berger ont fait l’impossible pour qu ‘elle puisse grandir comme les enfants de son âge.
C’est ainsi que Pauline va suivre une scolarité la plus normale possible à l’école primaire et ensuite fréquenter le lycée du Vlll’ arrondissement où habitent ses parents. Bien sûr, elle sera plus souvent absente que les autres. Mais après chacune de ses hospitalisations, c’est elle qui demandera à retourner suivre les cours.
Drame
Malgré son mal, elle veut partager les jeux de son petit frère, Raphaël, né deux ans après elle, et adore recevoir des amis, sortir … Elle s’apprête à vivre une adolescence presque ordinaire quand le drame va tout remettre en question. Elle a 13 ans lorsque son père meurt brutalement. Un âge où elle a plus que jamais besoin de la présence paternelle. Pour elle, c’est un véritable déchirement. Avec ce papa qui était tout pour elle, Pauline perd à la fois son confident et son plus grand soutien. Jusqu’à son dernier jour, en effet, Michel Berger avait tout fait avec France pour tenter d’enrayer le mal qui progressait inexorablement. Membres actifs d’une association de lutte contre la mucoviscidose, ils voulaient faire mentir les médecins qui ne laissaient guère d’espoir de survie à Pauline au-delà de 16 ans. On comprend d’autant mieux la détresse de la jeune fille lors de la mort si inattendue, si injuste de son père.
Souvenez-vous de cette image bouleversante, le jour des obsèques de Michel Berger. C’était la première apparition publique de Pauline et, figée dans la même douleur que sa mère et son frère, elle n’avait à offrir qu’un visage défait, barré par de larges lunettes noires.
Que d’efforts France Gall a dû faire alors sur elle-même pour surmonter son propre chagrin ! Que de trésors de tendresse et d’affection elle a dû puiser au plus profond de son cœur, déjà si cruellement meurtri, pour aider Pauline à s’accrocher à la vie ! Cette jeune vie qui, avec le temps, n’allait plus tenir qu’à un fil. Mais, comme son père l’avait si bien aidée à le faire, Pauline veut continuer à lutter. Jusqu’au bout, elle va se battre pour mener l’existence dont elle rêve. Artiste née, suprêmement douée pour le dessin, elle s’inscrit dans une école d’art où elle passe sept heures par jour. Auparavant, il y a tout juste trois ans, en décembre 1994, France Gall était partie de longs mois à Los Angeles sous le prétexte officiel d’enregistrer un disque. Mais elle avait emmené Pauline. Et même si le monde de la musique et de la presse était au courant, personne ne s’était permis de divulguer la douloureuse vérité. En partant aux États-Unis, France poursuivait ce que Michel Berger n’avait jamais cessé de faire de son vivant : la course contre la montre qui permettrait de sauver Pauline. À Boston et à New York, la jeune fille avait subi les derniers traitements de pointe contre la mucoviscidose. Hélas, malgré l’acharnement de sa mère, Pauline a vu ses forces et sa résistance diminuer. Le combat était trop inégal. Un voyage de la dernière chance à New York, en juillet dernier, n’a rien pu changer. Depuis septembre, Pauline, terriblement amaigrie, Pour ne survivait que grâce à une assistance respiratoire. Il y a deux mois, France France Gall a demandé à sa maison de production de suspendre tous ses engagements : “Ma fille est trop malade”, je dois rester auprès d’elle.
Tous les deux jours, on apportait des bouteilles d’oxygène dans le vaste appartement parisien. Mais le vendredi 12 décembre dernier, les médecins ont été formels: l’état de Pauline était trop grave, il fallait l’hospitaliser de toute urgence.
Le SAMU l’a emmenée à l’hôpital Necker-Enfants malades qu’elle ne connaissait que trop pour y avoir séjourné des dizaines de fois. Mais il était trop tard, la mucoviscidose avait fini par accomplir son œuvre.
Jusqu’au dernier instant, France, maman crucifiée, aura été là pour soutenir sa fille.
Sa fille adorée à qui elle ne pourra plus jamais fredonner l’air qui les rattachait encore l’une et l’autre comme un lien indestructible à celui qu’elles avaient tant aimé: « Pleure, pleure, pleure, Il y a tant à pleurer. Pleure, pleure, pleure, petite abandonnée …”
Magazine : France Dimanche
Date : Pas de date précise – 1997
Numéro : 2677