France Gall : elle nous reçoit chez elle, au Sénégal (Presse) Paris Match

L’année 1996-1997 sera celle de ma renaissance.

Quatre ans après la mort de Michel Berger et un an après la guérison de son cancer, elle a enfin trouvé une harmonie.

Entre Paris, Los Angeles et Dakar, France a réappris à rire. Du 5 au 17 novembre, elle se produira pour la première fois à l’Olympia. A 49 ans, la « Poupée de son » avoue avoir réussi à balayer ses peurs.

Dehors, il pleut à seaux et à cordes. Un temps de chien, ça s’appelle. France, de retour à Paris, jette un œil à la fenêtre de son appartement, puis, féline et frileuse, se pelotonne sur son canapé. Il faudrait donc dire qu’il fait un temps de chat. Un temps à ne rien faire d’autre que de parler, parler de ce qu’on aime, les enfants, les maisons, et la musique, évidemment, cette musique de Michel Berger que France Gall s’apprête à mettre en scène à l’Olympia, avant de partir en tournée dans toute la France, puis en Allemagne, au Brésil, au Japon.

L’averse s’est obstinée. Alors parler, nous non plus, on n’a plus arrêté. Parler de tout et de rien, c’est-à-dire de l’essentiel, les enfants, les maisons ; la musique, la mort de Michel Berger – harmoniques renouvelés d’une mélodie ancienne. Et pourtant, aussi têtue que la pluie de cet après-midi-là, France Gall ne cessait de le répéter, elle se voit maintenant partie pour sa « seconde vie » …

Comment sait-on qu’on a pris un nouveau départ ?

– Presque la même année, en 1992, j’ai perdu les trois piliers de l’univers qui était alors le mien, mon père, mon mari, le père de mon mari. J’ai dû apprendre à vivre sans homme, sans protection, sans toit donc. Impensable pour moi. Jusque-là, j’avais tout fait pour être entourée. Il y avait d’abord eu mon père. Et puis Michel est arrivé. Travailler avec Michel, c’était la première chose que j’aie vraiment décidée dans ma vie. Quand j’ai entendu sa musique, je me suis dit : « Je veux travailler avec ce type-là. »

Et ça s’est fait, il m’a emmenée avec lui pour mon plus grand bonheur. A sa disparition, il a fallu que j ‘apprenne à m’occuper de moi toute seule. Pendant deux à trois ans, j’ai cafouillé, mais l’année 1996-1997 sera celle de ma renaissance. Je vais en profiter pour balayer toutes mes peurs. Peur de l’avenir. Peur de vieillir. Peur de la solitude. Pour laisser la place à la connaissance. Au rire, à nouveau. A une certaine paix. Al’ amour encore et à la musique toujours, Autour, les gens courent. Je les regarde s’étourdir. On ne peut pas penser au milieu d’un tourbillon.

Penser à quoi ? Au passé ?

– Mais non, à l’avenir, je suis entièrement tournée vers l’avenir ! La vie avec Michel a été unique et magnifique. J’ai eu la chance de le connaître pendant dix-huit ans. Mais si j’ai perdu l’amour, il me reste la musique. En dehors de l’amour, le bonheur le plus fort que je connaisse, c’est la musique. Alors allons-y, fonçons dans la musique ! Cette réaction quasi immédiate a agi comme une conjuration magique. Au lieu de m’effondrer, je me suis découvert de la force. Celle d’aller vers l’avenir. D’ailleurs, j’ai fait trois spectacles en quatre ans, ce qui ne m’était jamais arrivé.

Mais les chansons que vous chantez, ce sont toujours celles de Michel Berger. Ça n’est pas de la nostalgie, au contraire ?

– Non ! Justement non ! Michel est naturellement présent par sa musique. Quand je chante les chansons de Michel, je suis entièrement envahie par l’amour qu’elles provoquent en moi ; et tout mon effort, c’est de faire passer au public, dans la minute, dans la seconde, cet extraordinaire courant d’amour qui ne cesse pas, jamais …

A quoi l’attribuez-vous ?

– Parce que c’était lui, parce que c’était moi … Michel était la personne qui me connaissait le mieux, et j’étais la personne qui le connaissait le mieux. Trois mois avant sa mort, il a écrit un testament où il m’a légué toute son œuvre. C’est un geste d’une pureté bouleversante, quand on sait ce que représente l’écriture pour un artiste. J’essaie de ne pas faire n’importe quoi et d’être digne de mon héritage.

Pourtant vous dites aussi que vous avez changé ?

– Mais ça n’empêche pas, au contraire ! La vie m’a forcée à me placer enfin face à moi-même. Elle m’a contrainte à comprendre qui je suis. Du coup, je ne serai plus jamais la même.

Il y a eu votre maladie, aussi. Votre cancer du sein, pour appeler les choses par leur nom.

– La maladie s’est déclarée huit mois après la mort de Michel. Une fois passé le moment où j’ai dû assimiler le fait que j’étais très gravement malade, je n’ai pas été étonnée de ce qui m’arrivait. J’ai immédiatement compris que cette petite boule, c’était la concrétisation de la souffrance que j’avais ressentie à la mort de Michel. Au sens propre du terme, cette souffrance avait pris corps. On m’a guérie de ma maladie physique et donc, parallèlement, j’ai pu me reconstruire psychologiquement. C’est pourquoi je n’ai pas peur d’une récidive de cette maladie. J’ai compris aussi que je n’avais pas eu d’adolescence. Alors, cette adolescence, je l’ai vécue après la mort de Michel. Je me suis étourdie, comme on le fait entre 15 et 20 ans. Étourdie sagement, entendons-nous bien, dignement, même si je me grisais de musique et de danse dans des boîtes jusqu’à 5 heures du matin ! Simplement, il me fallait nécessairement en passer par là. Et puis, il y avait mes enfants. Quand on a des enfants, on s’oublie soi-même. Alors, peu à peu, les choses se sont faites, la musique de Michel est devenue ma musique à moi.

Le showbiz n’est pas précisément le lieu du nirvana ! Il exige, entre autres talents, un solide sens des affaires. Vous arrivez aussi à vous débrouiller seule dans ce domaine ?

– Je n’aime pas les affaires, mais j’ai dû m’y faire. Tiens, voilà une chose qui me rend ronchon, avoir à parler affaires …

Comment vos enfants ont-ils vécu toute cette période ?

– Le mieux qu’il est possible quand on vient de perdre un père encore jeune. Mais nous avons des rapports exceptionnels. Entre nous, c’est l’amour fou. Pour la première fois, j’ai envie de parler d’eux tellement ils m’éblouissent. Quand je les vois évoluer, je me dis que ça n’est pas possible d’avoir fait deux merveilles pareilles. Vous voyez, c’est grave ! Je suis absolument seule pour les élever et ils n’ont aucun dialogue avec un homme. Alors, ils vivent à fond l’amitié qu’ils découvrent.

Avec l’Olympia début novembre, les heures en studio pour préparer votre CD, votre tournée au début de l’année prochaine, ils ne vont plus vous voir beaucoup.

– J’ai passé les deux mois d’été avec mes enfants et je les ai prévenus : « Il va falloir que vous vous organisiez pour les mois à venir … Etc. » est ce qu’ils font.

Vous parlez souvent de maisons …

– La maison, c’est l’espace offert à l’homme pour donner une forme concrète à son univers imaginaire. C’est aussi une force pour affronter le monde extérieur. Une maison n’a de sens pour moi qu’habitée, peuplée d’êtres que j’aime. Ma maison est ouverte. C’est un lieu de liberté. Une maison pensée pour les enfants, et la famille aussi que représentent les amis. Une maison, c’est une image de ce qu’on est et de l’avenir qu’on se propose.

Les enfants partent un jour.

– Alors la maison changera. La maison bougera avec la vie. De toute façon, je n’ai pas de racines. Quand il m’a rencontrée, Michel m’a écrit une chanson qui s’appelait : « Partout je suis chez moi ».

Votre maison en Afrique, vous l’avez aussi voulue pour la musique ? Vous avez besoin des rythmes de là-bas ?

– Un moment, oui, du temps de l’album “Babacar”. Mais, actuellement, je suis beaucoup plus intéressée par le rhythm’n’blues américain que par les percussions africaines. En fait, ma maison près de Dakar, je ne sais pas ce qu’elle me raconte au juste. Elle me parle, en tout cas. Elle se trouve dans une île, il y a les couleurs, les odeurs, la beauté des êtres qui vivent là, la prestance des hommes et des femmes qui parviennent à être d’une sublime élégance avec trois fois rien … La fraîcheur des fêtes de village. La simplicité est la garante de la vérité. –

Pour fuir l’illusion du showbiz ?

– Le showbiz, j’en vis, je ne vais pas cracher dans la soupe. Mais ce métier extraordinaire, qui m’a ouvert tant de portes, il faut bien dire aussi qu’il m’a arraché un bien très précieux : la liberté. Ce n’est pas spécialement agréable de se faire demander des autographes quand on est en train de remplir son chariot au supermarché ! Ni de se faire attribuer un énième boy-friend parce qu’on est allé dîner dans un restaurant un soir en tête à tête avec un copain ! Il existe actuellement dans une certaine presse une dérive hyper-voyeuriste qui fait des ravages incroyables : on vient de le voir avec la manière dont elle a détruit d’une façon monstrueusement sordide et foudroyante le couple de Stéphanie de Monaco.

Si on s’intéresse tellement à votre vie privée, c’est parce que vous avez une histoire, qu’il se dessine à travers votre vie un destin, que vous avez traversé des épreuves …

L’essentiel, pour moi, ne se trouve pas dans mon histoire, mais dans ce que je fais au quotidien, le spectacle que je prépare, les difficultés que je rencontre au jour le jour pour le rendre formidable, le décor que j’ai voulu sur scène, et ça n’est pas rien. L’architecte Jean-Louis Berthet m’a fait la surprise de reconstituer sur scène une partie du studio de Michel ! Ma vie au jour le jour, c’est tout ça ! Mes répétitions, mes choix, celui par exemple des musiciens qui vont m’entourer sur scène, j’ai voulu les meilleurs du monde, ceux de Sting, de Stevie Wonder et de Prince. Je veux que mon spectacle soit formidable.

La scène, c’est dur physiquement … Vous vous voyez faire ça encore longtemps ?

– Vous savez, un spectacle, c’est de l’émotion mélangée à de l’énergie, plus une certaine construction. C’est ainsi qu’on crée cette force d’amour qui va de la scène au public, du public à la scène, et qui circule, et qui ne s’arrête plus … Mes spectacles ressemblent à chaque fois à ce que j’ai envie d’appeler « comment je suis dans la tête à ce moment-là précis ». Il est un reflet exact de mon état d’âme et de mon évolution. Pour prendre de mes nouvelles, il suffit de venir me voir sur scène !

Et chanter Michel Berger, vous allez faire ça toute votre vie ?

– Pour l’instant, je ne me vois pas interpréter les créations de quelqu’un d’autre, sinon des textes que j’écrirais moi-même. Mais c’est un état provisoire de ma réflexion. J’ai pris un nouveau chemin. Où il mène, je ne sais pas encore. Simplement, dans cette seconde vie, je sais très fort que quelque chose de formidable va m’arriver … Comme toujours pour les choses importantes. Une certitude aussi violente qu’inexplicable …

Magazine : Paris Match
Entretien : Irène Frain
Photos : Frederic Meylan
Date : 10 octobre 1996
Numéro : 2472

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