France Gall secrète

France Gall est une artiste rare et donc forcément précieuse.

Lolita star des années yé-yé, icône acidulée du Swinging in Paris des années soixante, sa mue s’est opérée dans les années soixante-dix vers le statut, mérité, de grande chanteuse française.

Il aura suffi pour cela que son chemin croise celui de Michel Berger. L’alchimie d’un piano accordé à sa mesure, de textes qu’elle habite de son charisme, et deux moitiés qui se sont trouvées pour enfanter de tubes légendaires.

Avec passion, ces deux artistes ont donné un nouveau souffle à la chanson française, tutoyé les émotions. Mais Michel Berger n’est plus là, et France Gall a pris du recul. À l’occasion de la sortie d’une anthologie événement – l’intégralité de la carrière de France Gall en treize CD et un DVD*, nourrie de morceaux dans des versions rares et d’images jamais diffusées –, nous vous livrons nos inédits, ceux d’une femme dont la trajectoire et les chansons continuent de résonner dans notre propre histoire, tant ses refrains se jouent de l’érosion du temps. Un cadeau essentiel pour « rencontrer » cette interprète authentique. Un condensé de vie, avec ses rêves et ses larmes.

Souvenez-vous : le dimanche 2 août 1992, dans sa villa de Ramatuelle, près de Saint-Tropez, Michel Berger succombait à une crise cardiaque, après avoir joué une heure au tennis sous un soleil de plomb. Quelques semaines plus tard, il devait se rendre à Montréal pour les répétitions de La Légende de Jimmy, l’opéra rock qu’il avait composé sur un livret de son ami Luc Plamondon. La France et le Québec pleurent le compositeur le plus populaire de la variété contemporaine. La vie de France Gall et de leurs enfants ne sera plus jamais la même.

L’enfance d’une star

Seize mois seulement après la naissance de ses frères jumeaux, Isabelle Gall voit le jour le 9 octobre 1947,à Paris. A ses débuts, celle que tous ses proches surnomment « Babou » se verra gratifiée du pseudonyme de « France ». Un choix patriotique jugé plus fédérateur à l’époque pour lancer sa carrière. Mais l’adolescente vit plutôt mal ce changement d’identité.

Elle grandit dans une famille de musiciens.

Son grand-père, Paul Berthier, est compositeur de musique liturgique. Cofondateur des Petits Chanteurs à la Croix de bois, il leur a écrit « Dors ma colombe ! » un tube qui fera le tour du monde. Mais c’est son père qui lui transmet le virus du chant. Robert Gall remporte le Premier prix d’entrée au conservatoire de chant classique de Paris, quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Enrôlé, il sera affecté au spectacle des armées et deviendra chanteur de variété pour distraire les troupes.

Dans les années cinquante, la petite Isabelle suit son saltimbanque de père dans tous ses déplacements. Il lui demande de l’accompagner certains soirs voir Piaf en concert ou au domicile de la star, dont il avait écrit certaines chansons. Robert Gall travaille également pour Aznavour. Il lui arrive même de faire rater l’école à sa fille pour l’emmener sur une des tournées du grand Charles. Robert Gall est l’auteur de La Mamma, un texte inspiré par la mort de sa mère, la grand-mère de France. Au départ, Aznavour refuse d’enregistrer le morceau, mais, en écoutant à la radio la version interprétée par les Compagnons de la chanson, qui fait un tabac, il décide d’inclure La Mamma dans son répertoire.

Elle a 15 ans lorsque Robert Gall lui fait passer des castings de voix, avec les plus grands jazzmen de l’époque, sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. Un lieu porte-bonheur où France Gall se produira seize ans plus tard en vedette pour y défendre les premières chansons que Michel Berger a composées pour elle. Ce premier casting sera concluant. Premiers disques, premiers succès à 16 ans pour l’enfant star avec, notamment, les très yé-yé Sacré Charlemagne ou Laisse tomber les filles. Revers de la médaille : pour France Gall, monter sur scène est un cauchemar. À 17 ans, elle se produit dans des galas neuf mois sur douze. Un jour, à l’occasion d’un spectacle dans un port, elle est face à des marins qui ne cessent de gueuler « à poil! » pendant tout le spectacle. Autant de mauvaises expériences datant des années soixante qui l’ont traumatisée.

De l’Eurovision à Michel Berger

En 1965, elle représente le Luxembourg au concours de l’Eurovision. Gainsbourg, avec qui elle entame une collaboration, lui écrit Poupée de cire, poupée de son, et elle remporte le Grand Prix. Juste après le verdict, la candidate anglaise, qui pensait gagner, fait irruption dans sa loge et la gifle. France enregistre cette chanson en six langues. Elle doit ensuite affronter l’hystérie de certains fans qui lui courent après, avec une paire de ciseaux à la main, pour couper une mèche de sa chevelure blonde en guise de souvenir. Dans la foulée, Serge Gainsbourg lui propose un nouveau titre, Les Sucettes. L’ado ne comprend pas immédiatement le second degré érotique des paroles. Lorsqu’elle s’en rend compte peu après, l’image de lolita perverse lui colle déjà à la peau. Elle préfère prendre du recul avec le monde du show-business. Ce premier silence durera cinq ans.

Au printemps 1973, elle entend à la radio une chanson qui la bouleverse, Attends-moi, d’un jeune auteur-compositeur, Michel Berger. Un jour, elle le rencontre dans une émission de radio et lui propose dans les coulisses : « Je voudrais vous faire écouter ce que ma maison de disques aimerait que je sorte. »

Le jeune homme accepte et lui donne son adresse pour qu’ils en discutent. Elle se rend chez lui quelques jours plus tard. Le jugement de Berger est dur : « C’est nul, c’est quoi cette musique ? » Les deux jeunes artistes continuent de se voir et parlent beaucoup pendant les six mois qui suivent. Michel invite même France à faire une voix sur un de ses morceaux, « Mon fils rira du rock’n’roll ». France n’ose pas lui demander de lui écrire des chansons, même si elle est persuadée qu’il est le seul à pouvoir lui donner l’envie de reprendre sa carrière d’interprète. Un jour, son éditeur rencontre Michel Berger et lui suggère : « Je crois que ça fait quelques mois que vous vous connaissez, ce serait bien que vous bossiez ensemble. » Il écrit pour elle en 1975 « Ma déclaration » (NDLR « La déclaration d’amour »). Ce sera leur première collaboration ; leur idylle n’a pas encore commencé.

Un an plus tard, le 22 juin 1976, ils se disent oui à la mairie du 16e arrondissement de Paris. France réalise alors son rêve : fonder une famille, avoir des enfants et une maison.

« Je voulais réussir ma carrière de chanteuse, mais surtout ne pas passer à côté du reste », déclare-t-elle au journaliste Richard Cannavo dans le livret de son anthologie. Pourtant, Michel la convainc, malgré ce qu’elle a subi à 17 ans, de remonter sur scène en 1978. L’orchestre sera uniquement composé de femmes. La veille de la première, elle apprend qu’elle est enceinte de Pauline. À chaque concert, Michel, en coulisses, lui fait de grands signes pour lui dire de s’épargner. L’été suivant, Michel et Luc Plamondon louent une villa à Antibes et créent une comédie musicale, Starmania. Berger en est persuadé, ce projet n’est pas fait pour son épouse. Mais, trois mois avant le spectacle, il n’a toujours trouvé personne pour jouer le rôle de Cristal. Michel est contraint de changer d’avis, et engage France, qui est ravie.

En 1980, Elton John est en vacances dans le Sud. Il entend souvent leurs morceaux à la radio et demande à les rencontrer. « Je voudrais faire un album avec France Gall, et que ce soit vous qui nous l’écriviez », leur propose-il. Michel est aux anges, il se met au travail. L’album ne sera en fait qu’un single, Donner pour donner, car, entre-temps, France apprend qu’elle est de nouveau enceinte. Quelques mois plus tard, les trois artistes dînent ensemble à Paris. Ils rient tellement que France accouche du petit Raphaël dans la nuit.

Chez eux, il était impossible d’écouter de la musique, car cela pouvait déranger Michel Berger dans ses compositions. Un jour, il dit à France: « Cette chanson, je l’ai écrite pour toi. » Il s’agissait de Lumière du jour.

En 1987, lors d’un voyage au Sénégal, une mère de famille avec son enfant aborde France Gall au bord de la route. Complètement démunie et ne pouvant pas élever le bébé, la mère le lui tend pour le lui donner. Profondément marqué, le couple Gall- Berger aidera cette femme à sa façon et Babacar a été écrit en hommage à ce petit garçon. Un an après cet énorme succès discographique – son plus important à ce jour – , France annonce à Michel, bouleversé, qu’elle souhaite arrêter de chanter. Ouvrir une galerie, travailler dans un journal … elle ne manque pas d’idées. Pour autant, son époux ne peut concevoir la musique sans elle. « Tu sais, c’est bête d’essayer un nouveau métier, lui dit-il. Tu as tellement d’expérience dans ce domaine. Trouve un truc dans la musique. »

La chanteuse tient jusqu’en 1991, finit par reconnaître qu’elle tourne en rond et décide de refaire un album, mais, pour la première fois, en duo avec Michel. Le disque sera justement baptisé « Double jeu». « Michel a toujours dit que cet album était un compromis. Il m’a laissé toute ma place», reconnaît-elle dans le livret de son anthologie. Comme toujours après la sortie d’un CD, une tournée est programmée. Ils doivent se produire sur scène à La Cigale, puis finir la tournée par Bercy. Mais le destin contrariera leurs projets.

Après Michel Berger

Le 2 août 1992, donc, Michel Berger succombe à une crise cardiaque. Un chagrin que France soigne en chantant et en écoutant sa musique. En 1995, elle part vivre avec ses enfants à Los Angeles, car leur père tenait à ce qu’ils parlent anglais. France Gall en profite pour enregistrer, là-bas, sa propre version des chansons interprétées par Michel sur un album qu’elle appellera « France ». Le challenge le plus difficile de sa vie, selon elle. Elle travaille avec des musiciens américains sans pourtant parler anglais. Le résultat est étonnant de modernité. Ainsi, des titres comme « La Minute de silence » ou « Les Princes des villes » prennent une coloration soul. Le 2 mars 1997, elle donne un concert privé sur M6. Ce sera sa dernière prestation en public. Quelques mois plus tard, sa fille Pauline rejoint son père « plus haut », comme l’avait écrit Michel dans une chanson pour France. Nouveau coup dur.

Aujourd’hui, France Gall, malgré la discrétion que les épreuves lui ont imposée, reste une des figures majeures de la chanson française. Une de nos plus belles étoiles.

Magazine : VSD
Par Matthias Gurtler
Date : du 22 au 29 décembre 2004
Numéro : 1426

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