France Gall. La chanteuse se confie à son amie Béatrice Schönberg, en exclusivité pour Gala, dans un entretien bouleversant de sincérité. Un moment rare.
Pour Gala, France Gall a accepté de se prêter au jeu d’un séance photo. Un exercice qu’elle déteste et qu’elle n’avait plus pratiqué depuis bien longtemps. Elle a choisi “La Colombe d’Or”, lieu qui, pour elle, veut dire beaucoup …
Béatrice Schonberg : Même si pendant des années, tu t’es mise en dehors de la lumière, on a l’impression que tu n’es jamais loin. Tu as ce sentiment d’être perçue presque comme une amie pour beaucoup d’entre nous ?
France Gall : Je m’en rends compte quand je sors. Où que j’aille il y a des gens qui viennent me dire qu’ils m’aiment beaucoup, que je leur manque, ils me souhaitent de bonnes choses. J’ai ce contact-là.
B. S. : Ton parcours de vie, ta façon de rejaillir, tout cela fait que tu es proche du public.
F. G. : François Mitterrand était venu un soir dîner avec sa femme, Danielle, chez Michel et moi. On parlait évidemment de politique puisque c’était juste avant son second septennat. On lui demandait s’il avait des peurs, des inquiétudes. Il a dit quelque chose de très important : il faut que les Français aient une histoire, il faut que la personne qui se présente ait une histoire. S’il n’y a pas d’histoire avec le peuple français, ça ne peut pas marcher. Il avait trouvé le mot juste. Bien sûr, il faut une histoire parce que nous sommes des êtres humains. On a besoin d’avoir des sentiments, de vivre des émotions. Je crois que je finis par avoir une histoire, une histoire avec mon pays.
B. S. : Tu avais une magnifique carrière et aujourd’hui tu as un destin installé dans le cœur des Français.
F. G. : Dans l’esprit des gens, je ne suis pas la même personne depuis la mort de Michel. Au départ, c’étaient les chansons, la manière dont je les chantais, que les gens aimaient. Pour eux, la mort de Michel a été le début des souffrances. Mais bien avant, nous souffrions déjà avec la maladie de notre fille, Pauline, qui prenait toute la place dans nos pensées, dans notre existence.
B. S. : Ce qui est extraordinaire, c’est que tu n’étais pas du tout préparée aux épreuves. Je me souviens qu’un jour, dans les années quatre-vingt, tu m’as dit :« Tu te rends compte j’ai déjà passé tous ces moments de ma vie sans connaître la maladie, la mort d’un proche. » Tu as été très protégée … Puis la vie s’est rattrapée.
F. G. : On fait comme on peut. On est vivant, il faut vivre ce que l’on nous donne à vivre. Les gens me disent souvent : « Ce que vous avez vécu est inhumain. » Bien sûr que non ce n’est pas inhumain puisqu’on me le donne à vivre. Alors effectivement, la vie s’est « rattrapée » comme tu dis. A la fin des années soixante-dix, notre vie était parfaite de bonheur et d’accomplissement et Michel n’arrêtait pas de répéter :« Qu’est-ce qui va nous tomber dessus ?» Moi, je n’ai jamais raisonné comme cela.
B. S. : Tu penses qu’on n’a pas à payer le bonheur ?
F. G. : Ce n’est pas parce qu’on est heureux, qu’on va forcément payer. On est sur cette terre pour apprendre et, dans le bonheur, on n’apprend pas. C’est en général à travers nos épreuves, qui ne sont pas que négatives, qu’on est censé évoluer. C’est dans les moments difficiles que l’on va faire plus attention à l’autre, mieux le comprendre.
B. S. : Tu as beaucoup appris ?
F. G. : Forcément, il faut. Quand on est deux et que l’on se retrouve seule à faire les choses, on apprend. Quand je me suis retrouvée toute seule en studio avec des musiciens il fallait bien que je les dirige. C’est pareil dans la vie, on apprend … Quand on vous enlève vos piliers, cela vous oblige à grandir … vite !
B. S. : Tu as un amour de la vie exceptionnel ?
F. G. : Oui, mais dans le calme. Je ne voyage pratiquement plus, sauf pour aller en Afrique. J’aime la vie du quotidien, j’aime les choses normales.
B. S. : Tu crois que tu es douée pour le bonheur ?
F. G. : Oui, c’est une phrase qui m’a toujours accompagnée. Parce que j’ai appris à avoir confiance dans la vie, elle ne me fait plus peur. J’ai vécu des choses très difficiles à traverser mais cela vous amène ailleurs et c’est beau aussi.
B. S. : Aujourd’hui, tu dirais que tu as de la chance ?
F. G. : J’ai de la chance parce que je ne suis pas à terre. C’est même une chance folle. J’ai réussi à me sortir du passé, pas de manière radicale, Michel et Pauline feront toujours partie de ma vie. En ce moment, avec les vingt ans de la disparition de Michel, c’est une période un peu particulière, j’ai hâte que ça passe, on va faire les choses au mieux. Mais c’est un moment de vie très intéressant que je traverse. C’est comme si on avait déposé les valises, les poids qu’on traîne toute sa vie, on se sent libre.
B. S. : Tu n’as Jamais été aussi libre, aussi apaisée ?
F.G. : Oui, je suis vraiment apaisée. C’est doux, même s’il n’y a plus les grands éclats de rire.
B. S. : Il y a des rires, pourtant …
F. G. : Je n’ai pas le sentiment d’avoir ri de nouveau. Tu vois, là, je rigole, mais ce n’est plus comme avant. A la mort de ma fille, j’ai vraiment pensé que tout allait devenir moins bien, moins beau … Aujourd’hui, je ne pense plus comme cela. Je ne suis pas la seule à avoir vécu les choses ainsi. Victor Hugo dans les années qui ont suivi la mort de sa fille a écrit un poème des Contemplations qui m’a aidée. La lecture a été tellement capitale, tout est écrit dans les livres.
B. S. : On a l’impression qu’aujourd’hui tu prends enfin le temps, tu ne fais les choses qu’à ton rythme …
F. G. : J’ai tellement couru ! Quand je suis chez moi, je suis parfaitement heureuse. J’ai hâte de rentrer, j’ai du mal à sortir. Ce qui ne m’empêche pas d’être tout à fait normale, d’être tout à fait à l’aise dehors, de faire ce que j’ai à faire avec ma petite voiture dans Paris. Aujourd’hui je sais vivre.
B. S. : Ta maison, c’est ton univers ?
F. G. : Parce que c’est doux, je veux que ce soit de la douceur.
B. S. : Dans la décoration de ton appartement parisien, on retrouve tes voyages : il y a l’Afrique, les objets que tu as chinés avec Michel, cela raconte beaucoup de choses de toi.
F. G. : C’est comme cela que devraient être les appartements, à l’image de ce que vous êtes.
B. S. : L’Afrique a été un refuge, c’est autre chose aujourd’hui ?
F. G. : Maintenant, j’y vais trois mois par an minimum, je me retiens pour ne pas y aller plus souvent. Jamais je ne prendrais une minute pour aller sur la plage ou me mettre au soleil, je déteste ça. Là-bas, je ne fais que faire, il y a tout à faire !
B. S. : Pour toi ou pour les autres ?
F. G. : Je fais pour moi en faisant pour les autres. (Rires.) Par exemple, j’ouvre une crêperie, quatre personnes y travaillent, ce qui va faire vivre leurs familles. Je fais du concret, de petites choses. Je vais ouvrir une plage, où je vais pouvoir engager cinq ou six personnes du village et aussi améliorer l’éducation des enfants sur place. Mon bonheur passe par le bonheur des autres, qu’ils soient proches ou éloignés.
B. S. : C’est ta façon de rendre un peu la chance que tu as ?
F. G. : Je ne me sens obligée de rien, mais je ne peux m’empêcher de partager. Ça fait partie de ma vie.
B. S. : Comment vis-tu avec tes souvenirs ?
F. G. : Je pense beaucoup à ceux qui seront là quand je disparaîtrai et donc.je trie. (Rire.) Pour l’instant, c’est un immense désordre parce que je manque de temps. Il faudrait que je sois quinze jours à Paris sans rien faire. J’adore les photos, j’ai des milliers de photos que j’ai prises, que Michel a prises, qu’on continue à faire, des films. Je vais essayer de classer tout cela pour simplifier la tâche des autres.
B. S. : Tu as des collectors ? Des témoignages, des lettres, des chansons, des choses auxquelles tu tiens particulièrement ?
F. G. : J’ai décidé de ne plus jamais m’attacher aux objets. Même si j’aime ceux qui ont une histoire. Je garde les lettres échangées, bien sûr, des objets liés au travail de Michel, ses carnets noirs. Je crois que je garde mes vêtements de toutes les époques, j’ai des malles et des malles de vêtements que je gardais pour mes petites-filles plus tard.
B. S. : Je me souviens que Michel adorait les conversations et refaire le monde des soirées entières. Tu as ce goût-là, ce goût de la nuit aussi ?
F. G. : L’art de la conversation, c’était surtout Michel. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait le goût de la conversation comme lui, mais je n’avais pas encore rencontré Gilles Bensimon, le photographe qui m’a photographiée pour ce numéro. (Rire.) Moi, je n’en peux plus de parIer, je ne veux plus parler. Je ne supporte plus les gens qui parlent à la télévision. Je trouve qu’on parle trop de choses inintéressantes, c’est un tourbillon de vacarme. C’est terrible !
B. S. : Tu es quelqu’un de la nuit ?
F. G. : J’aime la nuit et dans mon métier on chante souvent la nuit. Je vois le soleil se lever tous les jours. Je ne souffre pas d’insomnie. Tous les jours, je me dis : « Je me couche plus tôt », mais il n’y a rien à faire. Je rêve de me réveiller à 8 heures du matin, de prendre mon petit déjeuner normalement, d’avoir faim à midi et demi pour le déjeuner, d’avoir fait mille choses, mais je vis en décalé.
B. S. : Tu as fermé ta porte à plus de gens ?
F. G. : Je n’ai pas fermé la porte, je ne l’ai pas ouverte à tout le monde.
B. S. : On t’a vue incarnée dans deux films : celui sur Serge Gainsbourg (Gainsbourg, Vie héroïque, ndlr) et le film sur Claude François (Cloclo, ndlr), qu’est-ce que tu as ressenti ?
F. G. : Il faut juste essayer de vous mettre à ma place. Je suis là, je suis vivante et il y a une fille qui va jouer mon rôle au cinéma, qui va jouer des choses que moi seule ai vécu, qui vont être montrées de manière différente, car il n’y a que moi qui sais. C’est très, très bizarre comme impression.
B. S. : France, ce n’est pas ton prénom. Quelle signification à la France pour toi ?
F. G. : Denis Bourgeois, mon producteur de l’époque était allé me chercher un sacré prénom ! Isabelle Gall, c’est moins bien que France Gall pour le métier. Ça ne dit pas la même chose. Aujourd’hui, Isabelle Gall n’irait pas du tout avec moi. France, c’est très fort. Je l’adore maintenant. Avant je ne l’aimais pas parce que je ne savais pas si les gens l’appréciaient. Aujourd’hui, je l’aime parce qu’il représente quelque chose. C’est sérieux comme prénom !
B. S. : Tu as choisi de faire des photos pour Gala à La Colombe d’Or, c’est un lieu familier ?
F. G. : C’est là que Michel m’a emmenée la première fois quand on s’est rencontrés, c’était en plein hiver. Son père passait ses vacances là tous les étés, on lui amenait les enfants. Michel aimait énormément l’endroit, son histoire. Madame Titine, la fondatrice, m’a offert des couverts roses pour ma fille et bleus pour mon fils, ils avaient leur table, c’était vraiment la famille, et aujourd’hui c’est François qui dirige cet endroit unique de beauté et d’histoire. J’y reviens régulièrement avec la même émotion à chaque fois.
B. S. : A la fin du journal, il y a une photo de toi avec la reine Élisabeth d’Angleterre …
F. G. : J’avais été invitée lors d’un dîner privé à l’ambassade d’Angleterre à Paris avec les cancérologues de nos deux pays. L’ambassadeur, sir Holmes, m’a expliqué que c’était parce que j’avais montré l’exemple (France Gall a souffert d’un cancer du sein, ndlr), que je m’étais formidablement sortie de cette épreuve et j’avais donné une image positive de la lutte contre cette maladie.
B. S. : Ce cancer du sein, tu l’as vécu de façon positive ? Tu pensais que ce n’était qu’un passage ?
F. G.: Non. C’était un cauchemar quand je l’ai appris, comme pour tout le monde. J’étais allée faire une mammographie, sans qu’on me le demande, pour être prête pour Bercy, que je devais faire deux mois plus tard. Et là, ils ont tout de suite vu qu’il y avait quelque chose d’anormal. En très peu de temps, on passe dans le monde de la maladie, des malades, c’est une autre planète. J’ai eu très peur. Je n’avais rien eu avant. On ne sait pas si on va rester entière, on se dit que les gens vont s’éloigner. Mais la solitude absolue, on la ressent sous les rayons. Oh est seule dans ce monde de rayons. Tant qu’on n’est pas guérie, c’est un cauchemar,
B. S. : A l’époque, j’ai eu l’impression que ce n’était pas une surprise pour toi.
F. G. : Ce n’était pas une surprise. A l’annonce de la mort de Michel, j’étais à l’extérieur de la maison, j’ai ressenti une douleur dans le ventre, dans le corps, tellement forte, je ne pouvais plus tenir debout. Ce sont les mots qui ont déclenché cette douleur incroyable, je me suis dit qu’elle devait ressortir d’une manière ou d’une autre. Comme le disait Fritz Zorn, l’auteur de l’extraordinaire livre Mars, mon cancer était la concrétisation de mon mal intérieur.
B. S. : Tu as caché ta maladie ?
F.G. : J’ai décidé de le dire après l’opération, avant les rayons.
B. S. : C’est quand même un tournant dans ta vie ?
F. G. : C’est parti aussi vite que c’est venu. Une fois que c’était terminé, je n’y ai plus jamais pensé. En plus, ce n’est pas bon de s’inquiéter.
B. S. : Tu es vigilante quand même ?
F. G. : Je suis surveillée comme le lait sur le feu ! Je fais tout ce qu’il faut.
B. S. : As-tu des projets musicaux ?
F. G. : Voilà la question que je déteste. Mais c’est le bon moment pour me la poser car j’ai quelque chose à répondre. J’ai commencé à préparer il y a quelques mois avec mon équipe un spectacle musical avec les chansons que Michel et moi avons créées.
B. S. : Et c’est prévu pour quand ?
F. G. : J’ai mis du temps à trouver l’idée. Il y a un tel travail d’écriture que ce projet ne verra pas le jour avant 2014. C’est le travail qui me réjouit le plus depuis très très longtemps parce qu’il s’agit de création tout simplement.
B. S. : Aujourd’hui, je sens que tu es bien, que tu es heureuse et entourée d’amour.
F. G. : J’ai tendance à penser, puisque je me sens heureuse, que j’ai pris le bon chemin pour en arriver là.
Magazine : Gala
Date : du 11 au 18 juillet 2012
Numéro : 996