L’article retranscrit
En débutant timidement sa carrière il y a 25 ans (ndlr : cet article date de 1988), France Gall ignorait alors la vie qu’allait lui apporter son succès à l’Eurovision.
Après ses fulgurants débuts qui la propulsent en haut de l’affiche, le début des années 70, est marqué par une éclipse dans sa vie professionnelle jusqu’à sa rencontre avec Michel Berger qui lui écrit les textes qui correspondent à sa sensibilité de femme.
Les années 80, seront pour elle et son public une période de retrouvailles et de succès. Au terme d’une fantastique tournée à travers la France au cours de l’hiver 1988 et après avoir affronté pour la seconde fois, avec panache, le public parisien du Zénith durant l’automne 1987, voici l’épopée discographique de France Gall à travers les sixties, du temps où Gainsbourg composait pour elle, à l’image de notre poster.
Isabelle (car c’est son vrai prénom), naît le 9 octobre 1947 à Paris, près de la porte Dorée. Petite-fille de Paul Berthier, organiste à la cathédrale d’Auxerre et co-fondateur des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, elle est la fille de Robert Gall et de sa femme Cécile, musicienne.
Son père, ancien chanteur lyrique et auteur de centaines de chansons a écrit pour Charles Aznavour les paroles de La Mamma. Isabelle manque souvent l’école à la demande de son père qui préfère l’emmener dans les coulisses des plus grands. Elle y côtoie Édith Piaf, Gilbert Bécaud et Charles Aznavour. Déjà, elle chante pour son plaisir les standards de l’époque en s’accompagnant au piano ou à la guitare. Durant les vacances de Pâques 1963, son père lui suggère d’enregistrer sur un magnétophone quelques chansons. Elle choisit un succès de Charles Aznavour, popularisé par Dany Logan, « Donne tes 16 ans » et un des Chaussettes Noires d’Eddy Mitchell « Parce que tu sais », tous deux mis en musique par Georges Garvarentz. Son père confie la bande à un ami : Denis Bourgeois, des Éditions Bagatelle qui, après l’avoir écouté, souhaite la rencontrer. Il la convoque au théâtre des Champs-Élysées pour faire un essai de voix le vendredi 11 juillet (63) suivant. Accompagnée par son père, elle s’y rend avec un répertoire de cinq chansons : J’entends cette musique, thème classique de « L’Adagio » d’Albinoni avec des paroles adaptées par son père ; « Parce que tu sais » des Chaussettes Noires ; « Il a le truc » des Gam’s : « Pardonnez-moi de vivre », titre original que par la suite elle n’enregistrera jamais ; et « Ne boude pas » de Richard Anthony, le « Take Five » de Dave Brubeck. Soutenue par quatre musiciens « vieux loups du métier » : Pierre Michelot (basse), Christian Garros (batterie), Léo Petit (guitare solo) et Alain Goraguer (piano), elle prend confiance en elle, mais Denis Bourgeois ne semble pas impressionné. Elle rentre chez elle mortifiée, décidée à tout oublier.
L’avenir la détrompe très vite et elle enregistre peu après sous la direction de Denis Bourgeois Ne sois pas si bête, adapté en français par Pierre Delanoë, dont la version originale « Stand a little closer » est signée Jack Wolf et « Bugs » Bower. Le jour de son seizième anniversaire, Cécile, sa mère, la réveille et elle reçoit le « baptême des ondes » sur Europe 1 qui diffuse Ne sois pas si bête.
1/ Son père signe un contrat chez Philips (elle est encore mineure) qui grave son premier super 45 tours (Philips 434807). Cette chanson-conseil destinée aux garçons hésitants, titre-leader du disque, se classe aussitôt, en novembre 1963, au hit-parade de Salut Les Copains, en 44e position (derrière « Tu n’y crois pas » de Michel Berger, et devant La Mamma de Charles Aznavour).
Le deuxième titre de André Salvet et Claude Carrère Ca va je t’aime, reprise de « Hip-Huggers » de E. Lewis et R. Moseley, reflète la bonne humeur. J’entends cette musique qu’elle a interprété lors de son audition se trouve judicieusement placé sur la deuxième face au côté de Pense à moi de Jacques Datin – ce mélodiste subtil orienté vers le jazz – et Robert Gall pour le texte. Disponible dès le 28 novembre 1963 chez les disquaires, ce EP habillé d’une pochette où la photo signée Jacques Aubert nous fait découvrir une France Gall aux cheveux châtains et aux yeux noisettes, se vend dans les mois qui suivent à 200 000 exemplaires. France se retrouve classée numéro 1 dans la catégorie des filles au concours des nouveaux chanteurs organisé par Daniel Filipacchi dans SLC. Poussée par ce succès, elle quitte le lycée Paul Valéry à la fin de sa troisième bien décidée à rester dans ce métier pour lequel elle se sent née. Dans son numéro du 21 mars 1964, Paris-Match parle pour la première fois à ses lecteurs de France dans sa rubrique des « Jeunes du mois ».
2/ Son second EP (Philips 434874) sur lequel Serge Gainsbourg signe le titre vedette N’écoute pas les idoles entre en 9e position dans le classement mensuel de SLC dès sa sortie en mars (64).
France y interpelle une fois de plus les garçons, son sujet préféré, pour qu’ils ne délaissent pas les filles. Tout le monde « écoute l’idole ». Maurice Tézé, devenu son impresario, et Guy Magenta ont concocté Ne dis pas aux copains classé très vite en 45e place. Au verso figure Les rubans et la fleur d’André Popp et Robert Gall placé 26e et Si j’étais garçon de Jean Claudric et Pierre Cour.
Fait unique dans la carrière de cette jeune adolescente qui semble-t-il prend déjà son métier à cœur : elle fait retirer de la vente les disques dont la photo de la pochette ne lui plaît pas. Ce “caprice” enrichit sa discographie d’une deuxième pochette.
La publicité commence à lui faire les yeux doux, elle se retrouve pour des photos au volant d’une Lotus Super Seven de chez Ford alors qu’elle n’a même pas dix-sept ans. Le virus de la scène semble se réveiller en elle et elle décide de se trouver des musiciens.
Après plusieurs auditions, elle choisit un groupe de jeunes Libanais arrivés depuis peu : Patrick Samson et les Phéniciens. Elle répète plusieurs fois par jour pendant deux mois et débute enfin sur scène le 14 avril en vedette américaine de Sacha Distel à l’Ancienne Belgique de Bruxelles. Avant le spectacle, elle découvre avec horreur que la scène n’a pas de rideau et qu’elle n’a pas envisagé cette hypothèse au cours de ses répétitions. Elle avouera que cette absence l’a traumatisé longtemps, mais le public l’applaudit et la rappelle alors qu’affolée elle est au bord de la crise de nerfs et en larmes. Ce douloureux souvenir la fera rire bien plus tard de bon cœur, et cette erreur ne se produira plus. Pendant trois mois elle cesse de voyager et prépare son show. Ses deux frères jumeaux, Philippe et Patrice qui fredonnent et grattent sur leur guitare tous les grands succès « swing » du moment, partagent avec leur sœur cadette (de 16 mois) cette passion pour la musique. Par goût, France demande à enregistrer dorénavant sur chacun de ses disques un morceau d’influence jazzy. La voix des crooners noirs la fascine.
3/ Sur son troisième super 45 tours (Philips 434914), Jazz à gogo ne dément pas ce choix, ce morceau reste le plus réussi techniquement et le plus agréable à écouter. Ce titre, abréviation de “Jazz à Goraguer” (le compositeur), Robert Gall, le parolier, le met au côté de La cloche, de Jack Wolf et « Bugs » Bower adapté par André Salvet, qui se classe en juin N° 31 dans les hit-parades et lui vaudra d’être filmé en scopitone.
Pour laisser à France Gall le maximum de naturel et d’improvisation pour Jazz à gogo il est décidé que la prise sera faite en une seule fois, ce dont elle s’acquitte fort bien. Sur la face 2 Mes premières vraies vacances des deux complices Jacques Datin et Maurice Vidalin font chanter à la jeune fille la complexité des premiers amours. Ce morceau gravira les échelons des classements semaine après semaine durant un trimestre. Soyons sages, de Guy Magenta et Robert Gall, invite pour sa part les amoureux à danser sur un air de slow.
Sa voix acidulée et fraîche semble avoir attiré les faveurs du public et des médias et en juillet 64, France figure pour la première fois en couverture de Salut Les Copains, vêtue d’un tee-shirt imprimé du signe de la balance (le sien).
Le comédien Jean Meyer la contacte et lui propose le rôle principal d’une pièce qui doit débuter en octobre à Paris, mais elle refuse par manque de temps.
Son second gala à lieu à Montreuil, le 4 juillet devant quinze mille personnes. Il est organisé par le Syndicat C.G.T.
Au même programme se produisent des artistes confirmés comme Eddy Mitchell, Lucky Blondo, Danyel Gérard et Léo Ferré.
4/ Son quatrième EP (Philips 434949) qui paraît début août 64 débute par un fleuron signé Serge Gainsbourg, Laisse tomber les filles, l’histoire d’un donjuan qui sera le sujet de son second scopitone.
Le premier chagrin d’amour de Claude-Henri Vic et Robert Gall décrit pour sa part la douleur d’un cœur d’enfant de seize ans. Christiansen de Jacques Datin et Maurice Vidalin raconte, pour les adolescentes romantiques, à la fin de l’été le récit des amours de vacances. On t’avait prévenue, qui aux dires de France est son morceau préféré, est dynamique et empreint de dérision, c’est une composition de Claude-Henri Vic, Guy Magenta et Vline Buggy.
Dans la maison familiale de Noirmoutier où elle part prendre quelques jours de repos, Patrick Samson et les Phéniciens, l’accompagnent pour lui permettre malgré tout de répéter régulièrement. A la rentrée, elle est élue dauphine de Sylvie Vartan, détrônant Sheila et Françoise Hardy, dans le référendum des lecteurs de SLC, une information qui sera reprise dans Paris-Match sous la plume de Gérard Asaria. En août 64, Disco-Revue lui consacre un article que Christian Seguin titre « France Gall une idole au pays des merveilles ». En octobre 64, elle mène la mode « Mop’s » pour les teenagers qui imposent un nouveau moyen de communication : le parapluie. Le signe de ralliement, un petit brin de laine verte, orange ou rouge à y accrocher suivant un code particulier. L’idole, toujours à l’écoute de sa génération, suit ou crée les modes et devient le porte-drapeau d’une adolescence mal dans sa peau et qui cherche sa voie.
A l’occasion de son dix-septième anniversaire, La Semaine Radio-TV lui consacre sa couverture avec une photo particulièrement réussie (de André Florent). Le 15 octobre 1964, le numéro 1 de Mademoiselle Age Tendre, la version féminine de SLC, présente à son tour France Gall en couverture.
A la sortie des studios Pathé Marconi de Boulogne, elle rencontre ensuite le producteur Ken Lean qui lui présente quatre copains-musiciens en mal de contrat : les Français. Après avoir écouté leur premier 45 tours publié chez Pathé, elle les engage immédiatement. Ils deviennent son orchestre d’accompagnement composé de Jacky Rault à la batterie, Matt Camison à l’orgue, Ted Tony-Cliff (anglais) à la guitare-solo et Jacky Mithier à la basse. Dans Music Magazine, Jean Monteux nous apprend que France Gall « le sage petit oiseau » n’a pas quitté le nid familial qui la préserve du monde cruel et étouffant du show-business. Face au couple fougueux Johnny-Sylvie, les journaux parlent d’une douce idylle entre France et Claude François ; information que les deux idoles démentent régulièrement. En décembre 64, ils partent, chacun de leur côté en tournée. France effectue ce périple dans le cadre du Gala des Etoiles dont Richard Anthony est la tête d’affiche, se produisant en vedette américaine durant un mois.
5/ Cinquième EP (Philips 434962) – Fin 1964, son père lui concocte un nouveau titre qui reste encore aujourd’hui pour le public un des morceaux-phares de son répertoire, Sacré Charlemagne, qui se vend à plus de deux millions d’exemplaires. Ce refrain-talisman, traduit en seize langues envahit les cours de récréation du Japon aux États-Unis. Certains pays francophones d’Afrique, comme l’Algérie, l’adoptent comme hymne national des mouvements de jeunesse.
Ce cinquième EP dont elle dessine le verso de la pochette est destiné aux enfants qui représentent la majorité de ses admirateurs. Au clair de la lune, mélodie enfantine, sur un rythme de fox-trot, en forme de déclaration romantique, et Bonne nuit, qu’elle chante pour ses petits amis, soutenue par la chorale des Lutins, attestent de la constante présence d’Alain Goraguer et de Robert Gall. Pour le dernier titre Nounours, Guy Magenta et Maurice Tézé, qui n’ignore pas que France possède une multitude de peluches dans sa chambre d’enfant, lui confie cette complainte.
Puis, elle est sélectionnée pour représenter le Luxembourg au Grand Prix de l’Eurovision. Elle part donc pour Naples avec Serge Gainsbourg qui lui a composé pour la circonstance un nouveau titre Poupée de cire, poupée de son. Le 20 mars, devant cent cinquante millions de téléspectateurs, la voix tremblante et le teint pâle, elle interprète sa chanson. Plébiscitée par le jury à la majorité absolue des voix, elle se retrouve propulsée à la première place. Consacrée vedette internationale en un instant, bousculée, oppressée, elle rentre seule à Paris au lendemain de ce succès dont elle ne mesure pas encore l’ampleur. Les critiques de la presse française se déchaînent et dans leur grande majorité conteste ce choix. La saisie du Journal Ici Paris est demandée. Le courrier afflue du monde entier chez la jeune fille et devant cette avalanche « la tribu-Gall » s’organise. Les propositions de galas pour l’étranger se précisent. Au Japon, elle devient du jour au lendemain millionnaire du disque (NDLR : avec une version japonaise de Poupée de cire, poupée de son). Pour la RFA, elle enregistre en allemand “Poupée de cire, poupée de son” qui devient Das War Eine Shone Party et se classe n°1 des best-sellers étrangers. L’Italie réclame aussi sa version qui devient lo si, tu no.
6/ Son sixième EP (Philips 437032) est commercialisé avec sur la pochette le label : Grand Prix 1965, donnant lieu dans la presse à une polémique. Du coup, au lendemain de sa victoire, le premier label sera remplacé par la mention incontournable : 1er Grand Prix de l’Eurovision 1965.
Ses avocats, à la demande de la famille, attaque en diffamation Télé 7 Jours, débouté peu après de ses accusations. Face à la popularité grandissante de France Gall, une société de gadgets fabrique à la cadence de 15 000 exemplaires par jour, une poupée de vinyle à l’effigie de la chanteuse, sous la forme d’un porte-clés de trois centimètres de hauteur que ses fans s’arracheront. Les collectionneurs avertis auront donc à cœur de posséder les deux pochettes et la poupée. Serge Gainsbourg du même coup devient une des fortunes de la SACEM grâce aux deux millions de disques vendus de Poupée de cire, poupée de son et décide de se consacrer essentiellement à la composition.
Jacques Datin et Maurice Vidalin récidivent dans le romantisme avec Un prince charmant, celui dont toutes les jeunes filles rêvent et que France interprète avec sa fraîcheur naturelle. Comme pour le précédent EP, Robert Gall et Alain Goraguer ont créé pour la satisfaire Le coeur qui jazze où malgré sa jeune expérience, France démontre, s’il en est encore besoin, qu’elle a la possibilité de chanter admirablement le jazz. Guy Magenta et Maurice Tézé qui ont vus partir au Service National Jacky, le bassiste de France, immortalise l’événement avec Dis à ton capitaine qui prend dans sa bouche de surprenants accents de vérité. Au cours des deux premières semaines d’avril 65, elle part en tournée dans le sud-est avec Audrey et Richard Anthony. Les Français, son orchestre, sont bien sûr du voyage avec Philippe Gall, son frère qui a dû prendre la place du bassiste au pied levé. Connaissant par cœur les tubes de sa sœur, il n’a que peu de difficultés pour s’intégrer.
7/ En mai, sort son septième EP (Philips 437095) pour lequel Serge Gainsbourg imagine Attends, ou va-t’en et qui se classe immédiatement 14e au hit-parade de SLC. Alain Goraguer, associé à Robert Gall, compose Et des baisers, et, avec Pierre Delanoë, Mon bateau de nuit.
Deux oiseaux le quatrième titre réunit de nouveau deux complices : André Popp et Robert Gall.
En juillet les bagages sont prêts pour une tournée à travers l’hexagone qui durera presque un trimestre pour le « Cirque France Gall ».
Début septembre 65, son frère Philippe, remplaçant du bassiste, est appelé à son tour sous les drapeaux à Thionville, et il quitte à regret la troupe.
8/ La tournée achevée, France dès son retour à Paris, reprend le chemin des studios pour son huitième microsillon (Philips 437125).
Eddy Marnay et Guy Magenta ont retranscrit le rêve de l’adolescente de traverser l’Atlantique et sur un rythme de western nous font découvrir l’Amérique. Pour le moment de poésie, Claude-Henri Vic et Robert Gall lui offrent une ballade On se ressemble toi et moi.
En face B, Serge Gainsbourg, toujours en grande forme, lui laisse graver Nous ne sommes pas des anges, que Barbara a enregistré en test-pressing et refusé. En souvenir de la rentrée scolaire à laquelle elle ne prend plus part, son père et son frère Patrice écrivent Le temps de la rentrée.
Elle vient d’avoir 18 ans. France, et sa jeune carrière compte déjà deux années de gloire grâce à tous les talentueux auteurs et compositeurs qui forment son clan depuis ses débuts. Novembre 65 arrive et elle part se produire à Lyon, les 6 et 7, pour deux concerts. Le lendemain, elle embarque pour le Japon où elle séjourne jusqu’au 18, dans ce pays qui la réclame depuis son triomphe à l’Eurovision. Trois mois auparavant, elle a enregistré en japonais Poupée de cire, poupée de son tiré à 350 000 exemplaires.
9/ Elle a dans ses bagages son nouveau super 45 tours (Philips 437159), le neuvième, où on découvre le sixième tube signé Gainsbourg Baby pop.
Aux dires de son auteur « c’est le constat de la tendance musicale actuelle » (sic). En fait c’est un morceau pop sur un texte en forme de complainte du désespoir. Il se classe aussitôt en 26e position au hit-parade de SLC et donnera plus tard à Madame Davis-Boyer l’occasion de produire là, le troisième scopitone de France Gall.
Les inséparables Jacques Datin et Maurice Vidalin à l’âme romantique lui font avouer Faut-il que je t’aime alors qu’en face B, Guy Magenta et Pierre Delanoë associés pour la première fois à Jean-Pierre Bourtayre décrivent la coupure entre l’adolescence et l’âge adulte dans C’est pas facile d’être une fille. Le dernier titre créé par les inséparables amis Robert Gall et Alain Goraguer est Cet air-là.
1966 montre son nez, et après les fêtes de fin d’année, France se produit en vedette à Gstaad en Suisse le 3 janvier. Du 12 au 26 janvier 66, elle est à l’Ancienne Belgique à Bruxelles où le public se souvient de ses débuts et l’accueille avec chaleur. Elle partage l’affiche avec Hugues Aufray, jusqu’au 22 février, assurant la première partie du spectacle.
10/ De retour à Paris, en mars, nouvelle séance d’enregistrement en studio pour graver son dixième super 45 tours (Philips 437229).
Le morceau-leader Les sucettes de Serge Gainsbourg, titre aux paroles des plus équivoques, trouve un large écho auprès d’un public qui se plaît à regarder avec perversité l’aspect physique de l’interprète dont la candeur les fascine. Les années qui ne semblent avoir aucune prise sur la jeune femme ajoutent à l’érotisme du texte ambigu. Une partie de son public puritain ne lui pardonne pas cette erreur et la presse malveillante, toujours à l’affût du ragot, saisit l’occasion et cherche à abattre celle qui les dérange depuis ses débuts par ce talent que le grand public a su reconnaître seul. Ce nouveau style ne servira que la notoriété de son créateur : Serge Gainsbourg.
Fruit de l’écriture collective de Frank Pourcel-Raymond Lefebvre-Robert Gall-Roland Berthier Quand on est ensemble est une complainte dont seul l’arrangement du type grand orchestre donne la vraie dimension. Au verso, Ca me fait rire de Jacques Datin et Maurice Vidalin nous réconforte par les éclats de rire spontanés de France. Je me marie en blanc écrit par deux nouveaux venus dans le clan (Jean Wiener pianiste-virtuose et Jean Dréjac auteur célèbre) termine ce disque.
Le 12 avril, au Studio Mac-Mahon, rue des Acacias, à Paris, France participe avec quarante-huit autres vedettes à une séance-photo organisée par Jean-Marie Périer et qui restera le témoin de la vague « Yé Yé » pour fêter le quatrième anniversaire du magazine Salut Les Copains.
Puis elle signe un contrat pour une campagne publicitaire organisée par Poly et qui vante le changement de couleur des cheveux. France s’adresse directement par voie de presse à ses fans et un 45 tours simple (373658), habillé d’une double-pochette où elle pose avec son caniche noir Nougat (diminutif de Nougaro), est distribué à cette occasion avec les titres l’Amérique et On se ressemble toi et moi.
En juin, elle embarque à Orly pour passer deux semaines au Japon, du 7 au 22, avec un emploi du temps surchargé. Neuf personnes l’accompagnent, son père et ses musiciens, avec parmi eux l’organiste Henri Garella. Elle emmène pour son public nippon son deuxième disque surprise enregistré en japonais dont le morceau-vedette est Un prince charmant. Douze récitals de 24 chansons l’attendent de Tokyo à Osaka en passant par Sendaï et Nagoya, où elle chante devant 4000 étudiants. Triomphant des Beatles dans les hit-parades, elle participe à de nombreuses émissions TV et à une conférence de presse sur NHK.
Jours de France lui consacre la couverture de son n° 604 en juin 1964, et un article de six pages sur son séjour au Japon, au moment où MAT l’a choisie pour la une de son vingtième numéro. De retour à Paris, elle repart pour Huy en Belgique pour un gala, le 24 juin 64, à l’occasion de la fête de la Bière aux côtés de Jacques Brel, Adamo et Les Rolling Stones. Pour débuter juillet, elle s’est promis une semaine de repos à Noirmoutier comme chaque année avant un aller-retour pour Londres, le 9 juillet 64, où elle doit enregistrer un 45 tours simple et participer à une émission de télé.
11/ Le 16 juillet, c’est un concert à Tunis avant une nouvelle séance en studio pour son onzième EP (Philips 437259).
Après l’assassinat de John Kennedy diffusé en direct à la télé en novembre 1963, elle avait souhaité lui rendre hommage. La visite en France de son fils John Jr dit “John-John” va donner à Claude-Henri Vic et Gilles Thibaut l’occasion de la satisfaire. Avec beaucoup de conviction, et de délicatesse, elle lui dédiera Bonsoir John-John qui prouve l’amour qu’elle porte aux enfants à travers l’histoire de ce petit garçon marqué par le destin. La rose des vents à la mélodie incomparable de douceur donne à ce titre un goût de miel. Sur la face 2 La guerre des chansons dénonce le mouvement perpétuel des modes et Boom Boom raconte par le menu son premier accident de voiture … et d’amour.
Le 1er octobre 1966 elle interprète à la télévision Les sucettes pour l’émission « Au risque de vous plaire » qui scandalisera par sa mise en scène. Pour le dixième anniversaire de Multi-Techniques, un disque-document rend hommage aux grands artistes du moment qui y raconte chacune des anecdotes concernant leur début. France ne manque pas l’invitation, aux côtés de Serge Gainsbourg, Henri Salvador, Sheila, etc.
Début 1967, pour compléter son sixième album qu’elle destine aux enfants, France enregistre six nouveaux morceaux qui donneront naissance à trois 45 tours simples. Le premier (Philips 373914) pour lequel Gérard Liferman et Robert Gall compose Oh ! Quelle famille raconte la vie d’une famille-tribu qui ressemble étrangement à la sienne.
Ce titre figurera en 1968 sur un 33 tours Decca distribué en Allemagne avec dix autres titres interprétés en allemand.
J’ai retrouvé mon chien de Alain Goraguer, Maurice Tézé et Pierre Delanoë nous conte l’histoire de son caniche qui un jour avait décidé de courir l’aventure en laissant sa maîtresse dans un grand désarroi.
Le chœur des Petits Chanteurs de l’Ile de France dirigé par Jean Amoureux participe au soutien vocal de ce disque.
Le deuxième simple (Philips 373915) porte la signature pour les deux titres de Gérard Bourgeois et Jean-Max Rivière avec Il neige et Tu n’as pas le droit.
Pour le troisième et dernier simple (Philips 373928), Robert Gall et Alain Goraguer, toujours complices, signent L’écho, et en face B, Robert et Patrice Gall Celui que j’aime.
En février 1967, sort un nouveau super 45 tours (Philips – 437317) où l’on retrouve France Gall pour un duo inattendu avec le défunt comédien animateur Maurice Biraud dans La petite, histoire d’un homme mûr amoureux de la fille de son meilleur ami. Ce duo d’une grande gaieté porte la signature de Guy Magenta, Robert Gall et Mya Simille. Polichinelle second refrain sur le thème d’un conte de fée inédit rédigé par Jean Bernard et Pierre Saka, nous entraîne au pays des rêves de petite fille. Ces deux morceaux font l’objet d’un 45 tours simple publicitaire pour la campagne promotionnelle de la marque Polichinelle (Philips 373967). Sur la face 2 de l’EP, Serge Gainsbourg est de nouveau là avec un thème musical oriental qui raconte l’histoire de la Reine d’Égypte Nefertiti. Enfin Claude-Henri Vic et Robert Gall pour Les yeux bleus font exprimer à France le regret de ne pas avoir les yeux clairs. Ce morceau figure en français sur le 33 tours allemand de chez Decca.
Son amie, Mireille Darc qui a un contrat d’enregistrement chez Philips lui propose également un duo pour son premier super 45 tours, sur lequel elles interprètent ensemble Ne cherche pas à plaire (Philips 437339), écrit pour la circonstance par Jean-Claude Oliver et Roland Valade.
La vie quotidienne de France continue par une sarabande de kilomètres : Lisbonne, Luxembourg, Beyrouth, Hambourg. En Allemagne France Gall a un contrat d’artiste indépendante et elle enregistre chez Decca, dans la langue de Goethe, des titres inédits, composés spécialement pour ce pays. Cette vie trépidante qui exige une santé de fer a permis à notre idole d’évoluer et de mûrir. Elle éprouve quelques difficultés à se dégager de l’étiquette de jeune fille naïve que ses auteurs et compositeurs ont jusqu’ici exploité avec bonheur.
Pour son n°33 de juillet 1967, Mademoiselle Age Tendre lui demande de présenter pour la saison d’été les tenues de plage, affichant sa photo en couverture. Après une semaine de vacances à Saint-Tropez et un voyage à Vienne en Autriche, elle revient à Paris.
Une nouvelle campagne publicitaire démarre pour quatre mois dans Elle et MAT, patronnée par les Fils Schappe qui à cette occasion distribue un 45 tours simple de France avec les chansons l’Amérique et On se ressemble toi et moi (Philips 373658), orné d’une double-pochette où elle pose vêtue de robes multicolores et de collants assortis.
Parallèlement elle grave un nouvel EP (Philips 437358) avec Teenie – Weenie – Boppie, une chanson pop créée par Serge Gainsbourg qui raconte les effets du LSD, la drogue hallucinogène. Chanson pour que tu m’aimes un peu parle de l’indifférence engendrée par l’habitude du quotidien dans un couple, ce sont Robert et Patrice Gall qui en co-signent la réalisation. Pour le troisième titre Bébé requin la presse dite “spécialisée” de l’époque a longtemps tendance à attribuer cette chanson à la plume du prolifique Serge Gainsbourg alors que ce magistral morceau est dû au regretté Joe Dassin et à Jean-Michel Rivat et Frank Thomas. En Allemagne ce hit est traduit sous le titre Haïfishbaby par Niessen et il est gravé sur le 33 tours Decca Die Grossen Erfolge.
Made in France de Jacques Datin et Maurice Vidalin explique les différences entre Français et Anglais dans leur aspect de la vie quotidienne. Pour la première fois, ce disque qui sort le 22 septembre, est mis en musique par l’orchestre de David Whitaker. Le 26 novembre 1967, le journal Top Réalités Jeunesse consacre sa une à ce bébé requin qui fait un malheur : France Gall.
1968 : nouvelle année, nouveau disque (Philips 437393) avec Chanson indienne, de David Whitaker et Robert Gall, enregistrée au Studio Chapell de Londres et doublée avec sa version anglaise « lndian Flower ».
Dans La fille d’un garçon, des toujours complices Jacques Datin et Maurice Vidalin, c’est le mouvement hippie qui est retranscrit. Sur la face 2 Toi que je veux, du célèbre trio de Bébé requin, est une déclaration d’amour.
Frédéric Botton lui propose, pour sa première collaboration, la légende bien connue du géant qui dévore tout Gare à toi … Gargantua.
Pour son EP suivant (Philips – 437 423) le titre Dady da da, signé Michel Colombier-Pierre Delanoë, sert d’indicatif pour un show télé avec Brigitte Bardot (NDLR : C’est à l’origine l’indicatif The Big Team composé par Michel Colombier pour le générique de l’émission télévisée des années 1960-1970, Dim, Dam, Dom.)
Le temps du tempo annonce les retrouvailles de Robert Gall et Alain Goraguer par un rythme jazzy. Gérard Gustin et Philippe Nicaud sont responsables sur la face B de Allo ? Monsieur là-haut, communication téléphonique et prière destinés au gardien du Paradis. Dans le show TV de Jacques Chazot, France interprète ce morceau en dansant, tout en faisant ses débuts de comédienne déguisée en Cléopâtre aux côtés de Marie Daems et Jacqueline Maillan. Joe Dassin et Jean-Michel Rivat dont leur succès individuel n’empêche nullement leur association signent La vieille fille, état qui semble bizarrement préoccuper l’interprète !
Le 29 avril 68, France Gall est une nouvelle fois en couverture du journal Elle où elle pose très sage, coiffure de Dessange et robe jaune à col rond de Courrèges.
En juillet 1968 SLC titre “Feu vert à France Gall” avec photo en couverture.
Pour la quatrième fois, elle enregistre un 45 tours simple (Philips 370675) dont les deux chansons ne sont pas publiées en EP, en dehors des éditions Juke Box, avec une pochette signée Patrick Bertrand, sur lequel le chanteur Monty compose avec Robert Gall le premier morceau Mon p’tit soldat qui parle de la mort d’un tambour-major.
En face B, c’est un hommage au soleil rendu par Hubert Giraud et Robert Gall avec Y’a du soleil à vendre.
Pour son seizième et dernier EP estampillé Philips (437446) le trio prolifique de Bébé requin Dassin-Rivat-Thomas, récidive avec 24/36, ce format photo qui permet de conserver ses souvenirs de vacances.
Joe Dassin et Jean-Michel Rivat rédige sur un air moyenâgeux Souffler les bougies. La mélodie de Rue de l’abricot, de Jean-Pierre Bourtayre, Vline Buggy et Robert Gall, emprunte à Marie Laforêt cette voix rauque dans les graves et enfantine dans les aigus que France utilise là avec bonheur. Enfin, pour la première fois, France Gall interprète une chanson en anglais pour clôturer cet EP Don’t make war captain, make love de Jerry Mengo et Maurice Vidalin, sur le thème d’une histoire d’amour avec un capitaine, lui demandant de ne pas faire la guerre.
Avec ce disque s’achève la discographie Philips de France Gall en super 45 tours, nous reviendrons une autre fois sur celle des 33 tours. France signera ensuite, successivement avec La Compagnie en 1969 puis avec Atlantic en 1971 et Pathé Marconi dès 1972 avant de rejoindre, par l’intermédiaire de Michel Berger, de nouveau l’écurie Atlantic où elle retrouvera la gloire.
Martine BORDENEUVE
Magazine : Jukebox Magazine
Date : Juillet et Août 1988
Numéro : 20