France Gall, tout pour la musique (Presse)

L’article retranscrit

Depuis des mois, elle prépare sans relâche « Résiste », la comédie musicale tirée des chansons de Michel Berger qui commence le 4 novembre.

Le 16 octobre chez elle, France sourit à cette portée de quatre chatons qui s’appellent … ré, mi, fa, sol.

Regarder les souvenirs en face. Et en être heureuse. France Gall met fin à vingt ans de silence. C’est le temps qu’il lui fallait pour accepter l’inacceptable. La disparition de Michel

Berger, cette tragédie qui en annonçait une autre : la mort de leur fille, Pauline, à 19 ans. Depuis, elle a appris à vivre avec ceux qu’elle aimait, disparus ou non. Sans cesser d’être la gamine de 16 ans, enfant prodige de la chanson, mais enfant têtue capable de décider en parlant du jeune compositeur : « Ce sera lui ou personne. » Aujourd’hui, elle poursuit leur histoire en revisitant vingt ans de création. Depuis leur premier duo, en 1974, à ce « Dimanche au bord de l’eau » qu’ils chantent ensemble. Un inédit qu’il avait enregistré seul et sur lequel elle a ajouté sa voix, pour mieux entendre la sienne. Ainsi le dialogue continue. Évidemment.

Michel Berger écrivait pour elle : « Viens, je t’emmène derrière le miroir, de l’autre côté. » Le temps s’est écoulé sans que France ne s’attarde sur son image. Elle préfère chercher son reflet dans l’un de ses grands refrains, « Résiste ». Le symbole d’un parcours où l’amour et la musique l’ont toujours emporté sur les drames. La chanteuse confie avoir « des projets pour les quinze ans à venir ». Agrandir son restaurant au Sénégal ou collaborer avec son fils, Raphaël, musicien. Et elle reprend cette phrase de Woody Allen : « Je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours.»

« Quand je pense que j’ai 68 ans, j’ai du mal à le croire. J’éclate de rire »

En vraie gourmande, France prend son temps. Perdue dans une longue robe multicolore made in Sénégal, confortablement installée dans la cuisine de son spacieux appartement aux lumières tamisées, elle déguste un grand vin. Rieuse, déconcertante parfois, elle se raconte entre deux fous rires en choisissant chaque mot avec soin. Il n’y a pas plus gai que France. La tête bien faite sous des allures désinvoltes, elle sait très exactement ce qu’elle veut dire et vous cueille souvent par surprise. Malicieuse comme un chat, quoi qu’elle fasse, elle retombe toujours sur ses pattes. Elle s’est cognée à la vie comme personne. Elle a beaucoup pleuré. Aujourd’hui, parce qu’elle sait que le temps file comme le vent et qu’il n’y a plus une minute à perdre, tel un bon petit soldat, elle a repris le combat. Une fois pour toutes, elle refuse la négativité. Le simple mot la fait frissonner. Elle ne joue pas, France. Elle est comme ça.

Paris Match : Ladislas Chollat, le metteur en scène de “Résiste”, m’a confié que ce qui l’épatait le plus chez vous, en dehors de votre force de vie, c’est votre courage.

France Gall. Mon père m’appelait “le Petit Caporal”. Michel, à qui on demandait un jour pourquoi il m’avait épousée, avait répondu : “Pour sa force.”

PM : “France a un courage fou de monter ce spectacle”, ajoutait Ladislas. Pour vous, était-ce une nécessité ou une évidence ?

FG : Une fois que je n’ai plus eu à faire de documentaires, de livres, d’intégrales sur Michel et moi, j’ai pu réfléchir à la meilleure façon de faire vivre sa musique. Ce spectacle, ce sont des retrouvailles avec le désir : le mien et celui du public de réécouter une fois de plus les chansons de Michel.

PM : Comment est né ce désir ? Vous me juriez, il n’y a pas si longtemps encore, que vous n’en aviez plus!

FG : A Londres, il y a dix ans, devant la comédie musicale “Mamma Mia ! “, un grand show avec seulement des tubes, j’ai compris ce qu’on pouvait accomplir. On ne peut malheureusement pas faire écrire Michel, mais je me suis servie de ce qui existait déjà pour créer quelque chose de tout à fait nouveau.

PM : Je vous observais l’autre jour, pendant les répétitions. Vous n’avez jamais envie, en écoutant ces chansons que vous avez tant de fois interprétées, de vous précipiter sur la scène et de vous mettre à chanter ?

FG : Je ne chante pas mais je suis omniprésente tout en étant absente. Tout se fait autour de moi. Les personnages que vous voyez sur la scène sortent de ma tête, ce sont mes bébés mais nous les élevons ensemble … “Résiste” n’est pas un hommage à Michel. De toute façon, Michel aurait détesté les hommages. C’est une création musicale.

PM : Comment expliquez-vous qu’après tant d’années on ne se soit pas lassé d’écouter sa musique ?

FG : Michel avait une approche à la fois populaire et cérébrale. Il voulait que ses chansons soient fortes et profondes, et elles l’étaient ! Dans chacune, il y avait un message. Il a accompagné toute une jeunesse avec ses mots. Sa musique fait partie de notre vie. Même si on voulait l’oublier, ce serait impossible.

PM : Votre fils, Raphaël, à qui Michel, comme à vous, a laissé toute sa musique, a-t-il travaillé à vos côtés sur ce projet ?

FG : Il est extrêmement concerné, mais il a décidé, très intelligemment, de faire d’abord sa propre vie. J’espère que la prochaine fois que je ferai quelque chose, ce sera avec lui. Car j’ai plein d’autres projets, moi qui détestais tellement en avoir !

PM : Quand vous pensez à Michel et à Pauline, qu’éprouvez-vous ?

FG : Ça me fait chaud. C’est ma famille invisible, lovée au plus profond de mon cœur. Je sens la présence de Michel dans sa musique. Il est complètement intégré à ma vie sans que ce soit lourd et triste. Quand j’entends une de ses chansons, je souris. Je suis sa plus grande fan !

PM : Ce qui m’a toujours frappée chez vous, c’est cette façon très particulière de parler des choses graves avec légèreté …

FG : Je suis quelqu’un de très pudique. Je suis fascinée par ce monde de la technologie dans lequel nous vivons, mais il m’effraie. Les gens parlent trop. Il y a trop de vacarme, pas assez de mystère, de moins en moins de rêves. Je ne me retrouve plus dans ce monde, qui pourtant m’a forgée. Même si ces cinquante dernières années ont été très créatives, je reste spectatrice de moi-même. J’imagine très bien une bande dessinée : « Babou, en 2015, fait une comédie musicale. »

PM : Babou, c’est votre surnom d’enfant … Vous l’êtes encore, d’une certaine façon. Qu’est-ce que toutes ces épreuves vous ont appris sur vous ?

FG : Que, lorsqu’on le veut vraiment, on peut se relever de l’impensable. On est sur cette terre pour apprendre. Je suis la preuve vivante que tout est possible. La lecture de Sénèque, entre autres, m’a appris que tout vient de nous. Je vis l’instant présent à fond, sans me poser de questions.

PM : C’est de là que vous tirez votre force ?

FG : Je l’ai toujours eue en moi. Elle vient aussi de mon éducation à l’ancienne. J’ai eu, comme Michel, une instruction stricte. J’ai appris à bien parler français, à m’occuper d’une maison … Je me dis parfois que, si je n’avais pas été chanteuse, j’aurais adoré être architecte ou décoratrice. La maison, c’est l’enveloppe de notre vie. Les miennes me ressemblent, elles sont pleines de souvenirs, d’objets chargés d’histoire. Pourtant, je n’y suis plus très attachée. Que ce soit en France ou à Dakar, je me suis fait de jolies chambres dans lesquelles je pourrais très bien mourir.

PM : Vous pensez souvent à la mort ?

FG : Je pense qu’on part quand on doit partir, que les départs sont programmés. Pourquoi tous les deux sont-ils partis si vite ? J’ai longtemps essayé de comprendre ce grand mystère.

PM : Vous avez trouvé la réponse ?

FG : Pas vraiment. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il faut avoir confiance dans la vie, lui faire honneur. Et lui faire honneur, c’est être heureux. Depuis que je suis toute petite, je veux être heureuse. Tous les matins, je me réveille avec le sourire.

PM : C’est vrai que vous souriez tout le temps …

FG : Parce que je me sens légère et habitée.

PM : Je peux donc écrire sans mentir que, aujourd’hui, France Gall est une femme heureuse ?

FG : Oui. Je le suis. Je me sens super-bien dans cette vie. Michel disait de moi que j’étais l’opposé de lui, que j’étais une réaliste optimiste.

PM : Et une artiste ?

FG : Je n’oserais jamais dire de moi que je suis une artiste. Pour moi, les artistes sont les récepteurs de la douleur du monde. C’est pour ça qu’ils ont tellement de mal à vivre. Moi, j’ai la chance d’être douée pour le bonheur. Michel était un pur artiste, il recherchait la perfection et il avait l’impression de ne jamais l’atteindre. C’était un écorché vif, avec des colères d’adolescent. C’est quand même incroyable de se dire qu’il est mort à 44 ans !

PM : Vous n’avez jamais eu la tentation de tout envoyer balader ?

FG : Cent fois ! Mais ma vie n’est faite que de défis. Je ne connais ni la peur ni le doute. J’ose ! En ce moment, je ne me demande pas si le spectacle va marcher ou pas. J’espère simplement que ce que j’apporte au public le comblera. Ma priorité, aujourd’hui, est de bien vieillir. Quand je me dis que j’ai 68 ans, j’ai envie d’éclater de rire. J’ai du mal à le croire. Mais 68 ans, c’est un bel âge quand on est dans la vie. Mon bonheur est toujours passé par celui des autres. J’ai besoin que les gens autour de moi soient heureux. Et je reste curieuse. Même de découvrir ces territoires nouveaux qui m’attendent. Je suis plus inquiète de l’avenir du monde que du mien.

PM : Vous faites dire à une de vos interprètes : “On ne vit qu’une fois une grande histoire d’amour, le reste ce sont des anecdotes !” Vous le pensez vraiment ?

FG : Je pense qu’on a plusieurs vies. Si l’on ne fait pas ce qu’il faut dans cette vie, on reproduit sans cesse les mêmes choses. Si j’ai traversé tout ça, ce n’est pas pour rien. J’ai demandé au cosmos que ma prochaine vie soit douce, très douce. Mais comme je serai la même âme, est-ce que cela me suffira ?

PM : A la veille de la première représentation, comment vous sentez-vous ?

FG : Soulagée !

Magazine : Paris Match
Photos : Elsa Trillat
Date : 22 au 28 octobre 2015
Numéro : 3466

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