Histoires de France

Résiste, comédie musicale coécrite par France Gall à partir des succès de Michel Berger, investit le palais des sports de Paris le 4 novembre.

Pendant dix mois, L’Express l’a suivie dans cette aventure qui, pour elle, veut dire beaucoup.

Son silence artistique a duré près de vingt ans. Mais quand on la rencontre au fil des mois, alors qu’elle veille sur Résiste, cette comédie musicale made in France dans laquelle elle ne chante pas, France Gall est toujours aussi tendue vers la musique. Elle parle en rythme, chantonne à l’occasion, vêtue de couleurs gaies, comme si elle allait monter sur scène, avec cette même énergie roborative qui a marqué les années Berger.

16 décembre 2014, chez France Gall à Paris

Elle ouvre la porte de son appartement, situé sur la plaine Monceau, et tous les grands tubes de Michel Berger semblent danser près du piano noir à l’âme pourtant si gaie. Depuis quelques jours, l’affiche de Résiste envahit le métro parisien. Résiste, comme « résilience », peut-être. Elle disait : « Je n’écrirai jamais d’autobiographie. »

Si Résiste n’est pas un autoportrait, ce sont bien tous les refrains d’une vie – France triomphale, souffrance abyssale – qui encerclent aujourd’hui l’histoire de Maggie, une poupée de son, et de ses amis de la boîte de nuit le Lola’s. Car cette comédie musicale, écrite par France Gall et Bruck Dawit et chantée par cinq artistes – moyenne d’âge : 20-25 ans – ,est tissée à partir des classiques du couple Gall/Berger : « Musique », « Débranche ! », « Ella elle l’a », « La Groupie du pianiste », « Viens je t’emmène », etc.

A la façon de Mamma Mia ! « C’est d’ailleurs le musical d’Abba, découvert à Londres avec Claude-Michel Schönberg, qui a tout déclenché », raconte France Gall. Son dernier album remonte à 1996. Elle n’a plus chanté depuis la mort de sa fille, Pauline, emportée par la mucoviscidose, à 19 ans, en 1997.

« Pourquoi me lancer dans une telle aventure ? s’interroge-t-elle, devançant la question. Alors que je pourrais rester tranquille. Sans doute pour passer un relais. Une belle chanson ne doit pas s’éteindre. »

Les locations sont désormais ouvertes, les réseaux sociaux s’agitent, un clip va être réalisé. Sur la table du salon sont posés les dessins des décors, des listes de chansons, un dossier, où est inscrit « Honfleur novembre 2012 »,date du début du projet, soutenu par le producteur Thierry Suc. France Gall va, vient, s’assied, se lève, ouvre un grand agenda, des classeurs, d’où s’échappent des silhouettes de mannequins collectées dans des magazines et qui vont inspirer les looks des personnages : des filles en costume d’homme, en marinière. Le premier extrait de la comédie musicale, le tube « Résiste », interprété par la troupe, sera dévoilé en mars 2015. La chanson monte de la chaîne stéréo : « Refuse ce monde égoïste / Résiste / Suis ton cœur qui insiste … » France écoute, concentrée, ses mains cachent son visage. Lorsque le morceau s’achève, elle a les larmes aux yeux. « J’ai gardé les mêmes orchestrations qu’à l’époque en 1981. » Elle allume une cigarette. « C’est fantastique de retrouver une légèreté »

Dans quelques jours, elle sera pour Noël sur l’île de Gnor, au Sénégal, son refuge.

16 avril 2015, le studio de Michel Berger

L’ancienne imprimerie parisienne reconvertie en studio par le décorateur Jean-Louis Berthet est une fourmilière. Léa Deleau, Victor Le Douarec, Corentine Collier, Gwendal Marimoutou et Elodie Martelet, les cinq chanteurs de Résiste, sélectionnés après un casting de huit mois, enregistrent l’album de la comédie musicale. France Gall est assise sur les marches de ce fameux escalier blanc qui trônait en couverture de Double Jeu, disque de duos avec Michel Berger. L’ingénieur du son Bruck Dawit, son complice depuis 1995, supervise avec elle la réalisation. « Nous avons dû retrouver la colonne vertébrale des compositions, batterie, basse, guitare, et tout déchiffrer », précise-t-il. France Gall assure le coaching vocal. Debout, elle donne le rythme de Samba Mambo, levant les bras vers la cabine du studio. « Un peu plus de voix, pas que de l’air. Plus rond, plus rebondi, plus gai. Il faut hacher les mots, ça doit groover ! La chanson est gaie, même si le texte est triste, comme toujours chez Michel. »

Elle tape du pied. « On est dans un petit moment de blocage … »

France Gall tourne sur elle-même. « Je pensais être une fille tempérée, mais mon enthousiasme est un peu brutal. Mon père m’appelait « le petit caporal ». J’aime enseigner. Si je n’avais pas été chanteuse, j’aurais choisi un métier dans l’éducation. »

Le disque compte 14 chansons, que des succès. Entre 1976 et 1992, chacun des sept albums de France Gall s’est écoulé à 1 million d’exemplaires, elle a été la première à donner des concerts avec un groupe exclusivement féminin (18 sur scène, en 1978), la première à remplir le Zénith ( quatre semaines, à Paris, en 1984). C’est France en chansons. « Cette époque était incroyable. Il fallait une réussite insolente pour supporter les épreuves. Et puis la vie n’a plus été aussi jolie. J’ai tout arrêté pendant quatre ans. Au moment de Double Jeu [1992], j’ai voulu chanter d’une façon plus dure, probablement poussée par la douleur que j’éprouvais avec la maladie de ma fille. »

Sur les nouvelles affiches de Résiste, une jeune femme blonde rappelle la France Gall d’avant.

16 juillet 2015, répétitions à Roissy-en-France

Au fond du hangar nu, la scène est construite à l’identique de celle du palais des sports de Paris, où se donnera Résiste. Plusieurs tables, certaines occupées par le metteur en scène Ladislas Chollat et la chorégraphe Marion Motin, font face au décor esquissé d’une boîte de nuit, avec bar, escalier, chaises en forme de chaussure estampillées seventies. Ladislas Chollat travaille avec trois assistants.

Depuis avril, il assure en alternance les répétitions de Momo, une pièce de Sébastien Thiéry, avec Muriel Robin et François Berléand. « La troupe de jeunes est compétente en chant, pas encore dans le jeu … »

Des danseurs s’étirent ou sautent à la corde. Ils sont une quinzaine, issus de l’électro, du hiphop, de la danse contemporaine. Et jouent un personnage du Lola’s, parfois deux ou trois.

« L’âme ne doit pas être à côté du corps ! tonne Marion Motin. Sans corps, il n’y a pas de vie. » Son style, qui a séduit Stromae et Christine and the Queens, appuie sur « les lenteurs, le lâcher-prise, les grandes accélérations ». Ladislas est calme et déterminé : « Merci, les amis. Ce n’est encore tout à fait précis … Prenez le temps de penser les choses. » A côté de lui, France Gall note, observe, danse sur sa chaise, regarde sur un iPad ses chorégraphies dans des émissions d’hier. « On verra plus tard comment défendre les chansons sur scène, commente-t-elle. Pour intéresser les spectateurs, il faut les regarder en face. Mais, en même temps, il faut jouer des scènes. »

Résiste convoquera des dessins animés, des photographies, de petits films avec France Gall dans le rôle de la narratrice qui raconte l’histoire à sa petite-fille Lola.

C’est sa première expérience de comédienne, elle qui a refusé de tourner avec Chabrol et Pialat, mais a tout de même été dirigée par Godard dans le clip de sa chanson Plus haut. Godard lui disait : « Les histoires de création sont aussi des histoires d’amour. »

France Gall s’apprête à poser sa voix sur les chœurs de « Un dimanche au bord de l’eau », une chanson « retrouvée » de Michel Berger, enregistrée en 1978, et qui sera insérée dans Résiste, chantée par lui. « Il reste encore quelques inédits de Michel. Peu, mais il en reste. »

8 octobre 2015, Résiste prend corps

Ladislas Chollat avait prévenu les artistes : « Je reprendrai au moment où l’on était resté fin juillet. Rien ne doit me freiner. » Comme chaque jour depuis le début du mois, le filage a lieu à 16 heures dans le hangar de Roissy-en-France. Des semi-remorques ont livré le décor, qui devra être monté en une journée pour la tournée des Zénith, prévue en 2016. Les artisans s’agitent : rabots, perceuses, peinture. Quelques costumes patientent sur des portants : Jean-Daniel Vuillermoz, récompensé par un Molière et un César, a créé une « mode Résiste » aux couleurs fortes – France Gall a fait tisser spécialement des tissus au Sénégal. Un code secret permet de regarder les répétitions sur Internet. Les chanteurs deviennent peu à peu leurs personnages : Maggie, Mathis, Tennessee, Mandoline, Angelina … – d’après des noms de chansons de Michel Berger. « Les regarder s’incarner, c’est voir une pensée qui prend vie », se réjouit France Gall, assise à sa place fétiche, face à la scène. Ladislas Chollat est un metteur en scène hyperactif qui a l’œil sur tout, et d’abord sur la trentaine d’artistes présents sur le plateau. Il se retrouve dans le perfectionnisme de France Gall. « C’est l’école Michel Berger, lance-t-elle. Ne rien survoler. Ce qui peut être un détail pour vous … »

Éclats de rire.

Chaque soir, jusqu’à 23 h30, l’équipe réduite débriefe la journée. « Il faut toujours chercher à améliorer », appuie Ladislas Chollat, qui a demandé à l’humoriste Vincent Dedienne d’insuffler des vannes dans les dialogues. L’enjeu est de taille. C’est le budget d’un long-métrage. Le producteur Thierry Suc espère 500 000 spectateurs. France Gall est montée au créneau pour la promotion, à la radio, à la télévision. « France vit Résiste comme si c’était un spectacle dans lequel elle jouerait », analyse-t-il. Sa toute première chanson, en 1963, quand elle était la baby star des yéyés, s’appelait « j’entends cette musique ». Et la musique ne lui a pas résisté. « Ce que j’aime, c’est partager. Je ne veux plus monter sur scène, chanter, être applaudie. Je suis heureuse dans l’ombre. »

La vie n’en finit pas de transformer les paroles de ses chansons. France optimiste, France en avant, France profonde.

Résiste. Palais des sports, Paris (XV). A partir du 4 novembre. Puis en tournée, à partir du 8 janvier 2016. L’album Résiste (Parlophone Warner Music).

Magazine : L’Express
Photos : Bruck Dawit et Thierry Boccon-Gibod
Par Gilles Médioni
Date : du 28 octobre au 3 novembre 2015
Numéro : 3356

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