France gall, morte dans les bras de son fils

Le mal s’est déclaré quand il est parti … Le 2 août 1992, France Gall pleure son pygmalion.

Michel Berger, victime d’une crise cardiaque, la laisse désemparée. Fuyant le monde, elle s’isole avec ses enfants, Pauline, alors âgée de 14 ans, et Raphaël, 11 ans.

« Eux et moi, on vit notre petite vie. On s’aime comme des fous, on se touche tout le temps pour se rassurer. » Tout ce qu’elle souhaite alors c’est « être heureuse le plus vite possible. En fait, je voudrais que le processus de cicatrisation s’accélère. Je guette les arcs-en-ciel ». Quand elle regarde là-haut pourtant, elle ne voit que lui … Si elle enregistre Mademoiselle Chang, pendant près d’un an, elle ne remonte pas sur scène. Quand elle s’y décide enfin, elle en est empêchée. La disparition de Michel a instillé la peine en son esprit et le mal en son corps. « A l’annonce de la mort de Michel, j’ai ressenti une douleur dans le ventre, dans le corps, tellement forte, je me suis dit qu’elle devait ressortir d’une manière ou d’une autre. » C’est le cas. Lors d’une visite médicale, on lui détecte une tumeur maligne au sein. Le 22 avril 1993, France Gall est opérée en urgence. Deux mois durant, elle subit un traitement par radiothérapie.

« On m’a juste enlevé une petite boule dans le sein qui n’a pas laissé l’ombre d’une cicatrice. Et il est fort probable, m’ont dit les médecins, que je n’en entende plus parler. »

La vie reprend. La chanteuse s’installe avec Pauline et Raphaël à Los Angeles. La distance ne permet pourtant pas l’oubli. Elle songe au suicide, passe par toutes les phases du désespoir. Seul l’amour pour ses enfants la sauve. Il ne lui manque plus qu’à retrouver son cœur de femme. Il se remet à battre un jour de 1995 … Il s’appelle Bruck Dawit. Cet Américain d’origine éthiopienne est ingénieur du son, mais aussi compositeur, arrangeur, producteur. Il a travaillé avec Prince, Michael Jackson, Bruce Springsteen, les Rolling Stones … Très vite, France et lui se murmurent quelques mots d’amour. Ils se voient presque tous les jours. Pour être plus proches, il s’installe dans une maison voisine. France aurait aimé emménager avec lui, mais elle ne veut pas “perturber” ses enfants en bouleversant le cocon familial.

Nul ne le sait alors, mais sa fille Pauline souffre, depuis 1985, de la mucoviscidose, une maladie rare qui touche les voies respiratoires et le système digestif. La jeune fille aux beaux yeux bleus ne se plaint jamais. France Gall dira : « Pauline avait le pouvoir de déclencher l’hilarité juste avec son rire. Le pouvoir de nous apprendre la patience. Le pouvoir de se faire aimer jusqu’à en briser le cœur d’un père. Le pouvoir de souffrir en secret. Le pouvoir d’être quand même heureuse dans cette vie irrespirable. Et surtout le pouvoir de nous pousser à donner ». Pauline meurt le 19 décembre 1997, dans sa dix-neuvième année. France Gall ne s’en remettra jamais. Elle met un terme à sa carrière et s’exile à nouveau, à l’autre bout du monde, au Sénégal, sur la petite île de Ngor, où elle possède une maison depuis dix ans. Son fils Raphaël et Bruck Dawit l’accompagnent. Là-bas, on la surnomme « France-Sénégal ». Les gens du lieu sont très attachés à elle, parce qu’elle a su s’intégrer mais aussi parce qu’elle a aidé plusieurs familles. Tout le monde a en tête Babacar, cet enfant qu’elle et Michel ont sauvé … Ce pays va la sauver à son tour. Pendant treize ans, plus de lettres de France.

« On sentait qu’elle n’avait plus envie de communiquer, confiera Richard Berry. Le décès de Pauline a été terrible. »

Son retour sur une scène, on le devra à Johnny Hallyday. Les 12 et 15 août 2000, il lui demande de le rejoindre sur la scène de L’Olympia pour interpréter « Quelque chose de Tennessee ». Un court retour mais on le sent bien, elle n’a plus le cœur à la chanson. La mélodie s’est tue le jour de la disparition de Pauline. Pour les vingt ans de la mort de Michel Berger, avec son compagnon Bruck Dawit, elle écrit le spectacle Résiste, qu’elle regarde des coulisses. Tandis que chanteurs et danseurs font revivre les chansons de Michel, France affronte une nouvelle fois le cancer. Seuls son fils Raphaël et Bruck le savent. Leur amour et les soins n’y suffisent pas. Le mal ne va plus cesser … En février 2016, la chanteuse doit être hospitalisée pour insuffisance cardiaque. Elle demeure neuf jours en soins intensifs à l’Hôpital américain de Neuilly. Quand elle en sort, elle retourne au Sénégal se reposer. Mais le mal continue son œuvre effroyable.

Le 9 décembre dernier, trop affaiblie, elle ne peut participer à l’hommage populaire en l’honneur de Johnny. Elle envoie un petit mot, mais ne dit rien de son état de santé, qui continue de se dégrader … Le 19 décembre, elle est à nouveau admise à l’Hôpital américain. On évoque des problèmes respiratoires. Les médecins semblent pessimistes. Elle retourne chez elle le 27. Pour vingt-quatre petites heures car la douleur est trop grande. Le 29, on diagnostique une infection pulmonaire généralisée … Son fils Raphaël ne la quitte pas. La vie qui lui a déjà enlevé son père et sa sœur ne peut pas être aussi injuste … S’il a prié pour qu’on lui laisse sa mère, il n’a pas été entendu. Le dimanche 7 janvier, à 10 heures, la mort est venue la prendre. L’a-t-elle sentie ? Selon le témoignage d’un membre du personnel hospitalier, Raphaël tenait sa mère dans ses bras quand elle a fermé les yeux pour la dernière fois. Jean MARC

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Dans la famille Gall, c’était vraiment tout pour la musique. Ancien élève du Conservatoire, Robert Gall, le papa d’Isabelle alias France, a été chanteur et auteur, notamment pour Piaf et Aznavour (La Mamma).

Quant à son épouse Cécile, elle était la fille du cofondateur des Petits Chanteurs à la croix de bois. C’est dire si la petite « Babou » a baigné dans un univers musical et s’est presque vue obligée d’apprendre le piano et la guitare dès l’âge de 5 ans. D’ailleurs, avec ses deux frères, les jumeaux Patrice et Philippe, ils forment un petit groupe pour jouer sur les plages. Convaincu du potentiel de sa fille, Robert l’incite à enregistrer quelques chansons en 1963 et remet les bandes à un ami, éditeur musical chez Philips, Denis Bourgeois. Celui-ci étant aussi le directeur artistique d’un certain Serge Gainsbourg. Lors de la signature de son contrat, signé par son père Isabelle étant mineure, il est décidé qu’elle prendra le prénom de France car Isabelle est déjà pris par Isabelle Aubret.

Le jour de ses 16 ans, le 9 octobre 1963, son premier tube « Ne sois pas si bête » passe à la radio et se place à la 44e place du hit-parade de Salut les Copains juste derrière « Tu n’y crois pas » de … Michel Berger. L’année suivante, Gainsbourg compose une première mélodie pour sa nouvelle jeune muse, « N’écoute pas les idoles », qui arrive directement en tête du hit-parade ! Pour la petite France qui vient de redoubler sa troisième, l’école est finie. Elle préfère répondre à sa première interview dans Paris-Match et assurer la première partie de Sacha Distel à Bruxelles ! Dès lors, tous les plus grands veulent écrire pour la « Lolita française » qui cartonne encore avec « Sacré Charlemagne » co-écrit par son papa. Mais c’est encore « L’homme à la tête de chou » qui a sa préférence avec « Laisse tomber les filles » et « Poupée de cire, poupée de son » qu’elle interprète au 10e concours de l’Eurovision de la chanson à Naples où elle représente le Luxembourg. Devant 150 millions de téléspectateurs, sa voix haut perché et mal assurée étonne et à la surprise générale, elle remporte le concours (alors que la France ne lui donne aucun point !) Seulement en coulisses, un drame se noue. Outre le fait que son compositeur a été viré du concours pour mauvais comportement à l’encontre des musiciens du plateau, la petite France subit son premier et vrai grand chagrin d’amour. Depuis quelque temps en effet, la chanteuse de 17 ans vit un amour interdit avec Claude François, de huit ans son aîné, et toujours marié à Janet Woollacott. Le soir de ce triomphe napolitain, l’interprète de « Belles, belles, belles » ne supportant pas la popularité de sa jeune maîtresse l’appelle et lui déclare : « Tu as gagné mais tu m’as perdu » pour lui signifier leur séparation ! Quand France remonte sur scène afin de recevoir son prix, tout le monde pense qu’elle verse des larmes de joie alors qu’elle vit un « drame absolu » comme elle le révélera sur France 2 en 2015. Malgré tout, le couple se rabibochera avant de se séparer définitivement en 1967. Une seconde rupture qui inspirera à Claude François son plus grand tube mondial : « Comme d’habitude. »

Dès lors, si le nom de France Gall est désormais connu en Europe, il va être raillé en France à cause de Serge Gainsbourg qui continue d’écrire pour elle dont les fameuses « Sucettes à l’anis ». La jeune ingénue ne comprenant le double sens de la chanson qu’une fois diffusée sur toutes les radios, s’est dit humiliée par ce titre. Ce sera aussi son dernier succès en France au cours des années 60 même si sa blondeur reste populaire en Allemagne. Même la collaboration de Joe Dassin (« Toi que je veux ») ne prend pas.

Heureusement, durant cette traversée du désert artistique, France a le coup de foudre pour un jeune hippie dans les coulisses de la comédie musicale Hair : Julien Clerc. Celui-ci ne voulant pas décevoir son large public féminin, leur idylle de cinq ans reste secrète. Mais cette fois, c’est elle qui ne supporte plus de vivre dans l’ombre de son compagnon. Alors qu’elle le quitte en 1974, Julien, l’amant éconduit, demande à son parolier préféré, Etienne Roda-Gil, de lui écrire l’une de ses plus belles chansons d’amour : « Souffrir par toi n’est pas souffrir » : « Si un jour tu veux revenir/Sans mots, sans larmes, sans même sourire … ». France ne reviendra pas. Son sourire radieux s’illumine déjà devant sa nouvelle étoile : Michel Berger … Alexandre LE BOURZECH

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Ce sera d’abord un coup de foudre vocal. Un soir d’automne 1973, France entend à la radio « Attends-moi » de Michel Berger.

Elle ne sait pas encore que ce jeune surdoué de la musique chante cette complainte pour Véronique Sanson qui vient de le quitter. On retrouve d’ailleurs sur la face B de ce 45 tours : « Si tu t’en vas ». C’est peu dire que Michel est dévasté lorsque France l’appelle pour le rencontrer. Une première entrevue au cours de laquelle la jolie blonde lui fait écouter des chansons commandées par ses producteurs. « C’est nul », lui lance Michel complètement déconcerté. « Plus personne ne voulait miser un kopeck sur moi », se souviendra-t-elle plus tard. Malgré sa déception, France insiste et réussira à travailler avec lui en faisant une voix pour « Mon fils rira du rock’n’roll ». Le début d’une belle et longue histoire d’amour car, ensuite, Michel accepte d’écrire pour elle, et pas le moindre des titres : « La Déclaration d’amour ». Le style Berger-Gall est né en 1974. France se souvient d’avoir été « apaisée » la première fois qu’elle s’est assise avec lui au piano. Dès lors, son « existence en a été transformée ». Un an plus tard, Michel Berger, décidément bien inspiré, écrit pour sa nouvelle muse son premier album avec « Comment lui dire ». Exit la petite France des sixties. Michel va en faire une pop star, une véritable machine à tubes. En cadeau de mariage, en 1976, il lui écrit et chante avec elle « Ça balance pas mal à Paris ». Le couple devient iconique. Alors qu’il y a encore quelques années, France était vue comme une petite interprète de bluettes un peu bébêtes, elle devient une chanteuse à la mode.

Ses albums à venir ont même plus de succès que ceux de son propre mari. C’est lui alors qui la pousse sur scène. Jusqu’à présent, France n’a connu que des plateaux télés ou des premières parties. En 1978, l’année de naissance de leur petite Pauline, France investit le Théâtre des Champs-Élysées pour y chanter « Musique » et « Si maman si » dans un spectacle exclusivement composé de femmes ! S’ensuit alors le triomphe de la comédie musicale « Starmania » grâce à laquelle ils font l’une de leurs plus belles rencontres amicales avec Daniel Balavoine. Au début des années 80, le couple est au sommet de sa gloire. Du Palais des sports au Zénith, France joue plusieurs semaines à guichets fermés.

Sous la baguette de Michel, ses spectacles révolutionnent les concerts à la française avec une vraie mise en scène pour chaque chanson et de nombreux danseurs sur scène. Un triomphe ! Il est vrai que de nombreux tubes sont encore passés par là : « Tout pour la musique », « Résiste », « Il jouait du piano debout », etc. Entre 1980 et 1985, alors que vient de naître Raphaël, en 1981, France est numéro un du Top album avec trois 33 tours dont « Débranche » durant trente-six semaines. Elton John accepte même de chanter en duo avec elle : « Donner pour donner » ! Le succès entraînant le succès, Michel connaît à son tour les joies de la scène en solo grâce à son tube « La Groupie du pianiste ». Avec sa groupie numéro 1, l’osmose est totale au point qu’ils se ressemblent, notamment dans leur façon de parler. Après le succès plus engagé de « Diego, libre dans sa tête », le couple, qui est régulièrement reçu à l’Élysée par le président Mitterrand, s’engage dans l’humanitaire.

Ensemble, ils se découvrent une vraie passion pour l’Afrique après avoir chanté avec d’autres Français contre la famine en Éthiopie. Avec Daniel Balavoine et Richard Berry, ils fondent Action école où des élèves des établissements français récoltent des fonds pour financer des projets destinés à lutter contre la famine sur le continent africain. Au cours d’un de leurs voyages, ils rencontrent la mère d’un bébé sénégalais qui veut leur confier son fils afin qu’il puisse échapper à la pauvreté. La chanteuse refuse mais aide la maman à élever son enfant baptisé Babacar. Le titre d’un somptueux album dans lequel on retrouve « Évidemment » en hommage à leurs amis disparus : Daniel Balavoine et Coluche. Le coup de foudre pour ce pays est tel qu’ils décident d’y acheter une maison sur l’île de N’Gor, en face de Dakar, où ils font construire une école! La « négresse blonde », comme l’a lui-même baptisée Michel dans une chanson, y passera la moitié de ses années de fin de vie. A la fin des années 80, ce recul africain ralentit leur productivité. Aussi, les fans sont très impatients lorsqu’on leur annonce la sortie d’un album en duo en 1992 : « Double Jeu ». Ils n’auront le temps d’enregistrer qu’un seul clip : « Laissez passer les rêves ». Durant l’été, avant une tournée programmée pour l’automne, Michel est foudroyé par une crise cardiaque sur le court de tennis de leur villa de Saint-Tropez !

A posteriori, les paroles de « Jamais partir », l’une des chansons de l’album posthume, sont terribles : « Personne ne saura être sans savoir devenir/ Quelqu’un sera là peut-être pour se souvenir/Que j’étais là/Que c’était toi/Il ne faudrait jamais partir. » Sans Michel, parti pour toujours, la vie de France ne sera jamais plus pareille. Comme si elle devait refermer cette douce parenthèse enchantée. Privée de son étoile, elle voit s’accumuler inexorablement des nuages noirs sur sa jolie tête blonde … Alexandre LE BOURZECH

Magazine : Ici Paris
Par Jean Marc, Alexandre Le Bourzech
Date : 10 janvier 2018
Numéro : 3784

Merci à Elisabeth

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