France Gall, sa vie pour la musique

Édito / Paradis blanc

Une génération nous quitte.

Une génération s’en va. Qui a bercé nos jeunes années de sa fougue, de ses espoirs, de sa force et de ses fragilités. France Gall à son tour nous dit adieu.

De l’artiste, nous avons tant de chansons qui nous restent. La bouleversante Évidemment, chantée en souvenir de Daniel Balavoine, Babacar ou La chanson d’Azima, qui reflètent son engagement passionné pour l’Afrique, mais aussi les plus entraînantes Viens je t’emmène ou Il jouait du piano debout, dans lesquelles se concentre toute sa joie de vivre. De la femme, on retiendra le courage extraordinaire alors que, si profondément blessée, elle a su continuer à trouver du sens, à partager. « Résiste, prouve que tu existes », chantait-elle. Mais aussi : « Elle a ce tout petit supplément d’âme/ Cet indéfinissable charme/ Cette petite flamme … » Ses tubes parlent des autres et pourtant disent tout d’elle. France Gall qui a perdu son amour, Michel Berger, à 44 ans seulement. France Gall brisée lorsque sa fille Pauline, 19 ans tout juste, meurt de cette maladie atroce, la mucoviscidose, qui paralyse peu à peu les poumons. Face à la tombe de son enfant, elle lui avait dit ces mots poignants : « Ma chérie, tout le monde est là pour te dire au revoir. Et respire maintenant! » Comment ne pas être touché par ce qu’elle a traversé ? « À la disparition de Michel, j’ai eu envie de continuer à chanter. À la disparition de Pauline, j’ai eu envie de me taire », avait-elle confié. France Gall avait pris de la distance avec la scène. Qui pourrait l’en blâmer ?

Elle n’avait pas pris de distance avec ses engagements, continuant à œuvrer autour d’elle pour changer les choses. Au fond, toute sa vie elle aura donné.

À son mari, à ses enfants, à son public, à ceux qui en avaient besoin. Et c’est cette générosité qui fait le lien entre toutes les femmes qu’elle a été: « Faire de la musique, c’est un acte d’amour», disait-elle.

Merci France Gall de nous avoir si bien aimés.

Par Adélaïde de Clermont-Tonnerre – Directrice de la rédaction de Point de vue


Le mouvement de tête d’avant en arrière vient du plus profond de son âme. Ses cheveux blonds battent le tempo avec fougue. Ils protègent son visage doux, presque enfantin. Son corps renvoie l’énergie de la foule qui chante Tout pour la musique. Sa voie claque et entame le couplet : « Et ils balancent leurs têtes/Comme de vraies mécaniques/Comme des piles électriques … » La foule reprend le refrain : « Tout pour la musique ».

En octobre 1982, France Gall triomphe à Paris, elle est à l’apogée de sa carrière. Cette chanson est la sienne. Depuis toujours, elle donne, effectivement, tout pour la musique. Sa vie, sa voix, sa force et son courage. Plus qu’un métier, c’est une passion. Sa raison de vivre. Dans le salon cossu d’un grand appartement parisien, la jeune « Babou » s’applique sur les cordes de sa guitare neuve. De son vrai nom Isabelle Gall, la future France, fille de Robert Gall et de Cécile Berthier ne veut pas rater sa démonstration devant Claude Nougaro, un ami de la famille. Après un récital presque parfait, la fillette âgée de 11 ans reçoit les félicitations du chanteur et les encouragements de son père. Robert Gall connaît la musique, il écrit pour Piaf et Aznavour. À bonne école, Isabelle a le droit de sécher les cours pour assister avec lui aux concerts de ses amis chanteurs. Chez les Gall, la musique est une religion. Son père forme son « petit caporal », comme il l’appelle, lui apprend les ficelles du métier et le respect du public.

L’enfant de la balle n’a pas froid aux yeux. Elle veut faire carrière. Séduit par son talent et sa volonté, son père signe pour elle un contrat de quatre titres chez Philips en 1963. Isabelle devient France et enregistre avec le compositeur Alain Goraguer, jazzman et fabricant de tubes pour Serge Gainsbourg. Ses premières chansons sont diffusées le jour de son seizième anniversaire. Le deuxième 45 tours, en 1964, N’écoute pas les idoles, lui apporte son premier succès et un article dans Paris Match. Côté cœur, elle commence une histoire d’amour intense avec Claude François. Mais France Gall ne veut pas rester dans l’ombre. Elle chante en première partie de Sacha Distel et continue d’apprendre le métier. Fin 1964, elle enregistre Sacré Charlemagne pour faire plaisir à son père, qui l’a écrite. Cette comptine pour enfants est un retentissant succès et une méprise. France Gall la déteste. L’année suivante, l’ovni musical Poupée de cire, poupée de son, de Serge Gainsbourg, lui fait gagner l’Eurovision. Elle apparaît mal à l’aise à l’écran. En fait, apprenant qu’elle avait remporté le prix, Claude François rompt juste avant qu’elle ne remonte sur scène pour réinterpréter la chanson récompensée devant les caméras. Après trois ans d’amour en dents de scie, le couple se sépare définitivement. Pour s’en remettre, Claude François écrit Comme d’habitude.

Serge Gainsbourg est incorrigible. Après avoir obtenu la gloire avec sa poupée, il demande à France Gall de devenir « Annie [qui] aime les sucettes à l’anis ». Succès, double sens, scandale. La chanteuse ne perçoit pas la signification Gainsbourienne des paroles, tout le pays s’en amuse. La manipulation fait mal, les ventes ne décollent plus. Sa carrière patine, mais son cœur brûle pour Julien Clerc. Le couple s’aime pendant cinq ans avant que France ne rêve d’ailleurs. À l’annonce de la disparition de son ancienne compagne, Julien Clerc a twitté: « France, nous avions 20 ans, des bonheurs, des chagrins. Une part de ma vie s’en va avec toi. »

En 1973, elle profite d’une rencontre avec Michel Berger pour lui demander de jeter un coup d’ œil aux textes de son producteur. Le chanteur vit une période terrible. Inexplicablement, brutalement, Véronique Sanson l’a quitté, « en allant acheter des cigarettes », pour le chanteur Stephen Stills. Berger reprend goût à la vie auprès de France Gall. Ils commencent alors une collaboration artistique qui, en 1974, délivre sa première merveille, La Déclaration d’amour. Leur passion enchante la France. Michel Berger devient son pygmalion, son auteur, sa vie. La douceur de ses paroles épouse les chaudes intonations de sa voix. Ils se marient devant le Tout-Paris le 22 juin 1976. Un amour couronné par la naissance de leur fille Pauline deux ans plus tard. L’année suivante, commence la légende Starmania. Daniel Balavoine, Diane Dufresne, Fabienne Thibeault révolutionnent la comédie musicale, au côté de France Gall qui est Cristal. Artiste accomplie, mère épanouie – Raphaël naît en 1981 – France Gall fait chavirer le cœur des années 1980 avec ses plus beaux titres : Il jouait du piano debout (en hommage à Jerry Lee Lewis), Résiste, Diego libre dans sa tête, Si Maman si … la France entonne Débranche en 1984 et rêve sur Cézanne peint. L’Afrique de Babacar, la combativité de Ella, Elle l’a … France Gall chante avec son âme, toutes les générations reprennent ses refrains. L’Afrique est la grande cause humanitaire de l’époque. France Gall retrouve Daniel Balavoine sur le maxi-45 tours Éthiopie. Elle reste sans voix lorsqu’il périt le 14 janvier 1986. Mais le pire est à venir. Le 2 août 1992, Michel Berger a un coup de chaud pendant une partie de tennis à Ramatuelle. Le soir même, il est terrassé par une crise cardiaque, à 44 ans. France Gall est brisée par la douleur. Une perte insurmontable. Son amour, son ami, son frère, son mentor disparaît brutalement. Elle est submergée par la tristesse. L’année suivante, son corps transforme sa peine en maladie, on lui diagnostique un cancer du sein. Le sort s’acharne. À peine est-elle stabilisée, que sa fille Pauline est emportée le 15 décembre 1997 par une mucoviscidose. Elle était la gentillesse incarnée, se retenant de tousser pour ne pas réveiller son chien. Sa trajectoire d’étoile filante laisse sa mère dans un désert de solitude malgré la présence de son fils. Affaiblie et meurtrie, France Gall se retire définitivement de la scène. Six mois par an, elle s’envole pour le Sénégal dans l’île de N’Gor. Loin du tumulte parisien, elle panse ses plaies et repose son corps, toujours fragile. En 2015, elle participe à la création de Résiste, une comédie musicale inspirée des chansons de Michel Berger. L’occasion d’apercevoir à ses côtés un musicien grand et fin, Bruck Dawit, son nouveau compagnon, son dernier amour.

En décembre dernier, elle est conduite discrètement à l’Hôpital américain de Neuilly pour soigner la récidive de son cancer. Le 7 janvier, à 70 ans, France Gall rejoint son paradis blanc, celui de Michel et de sa fille.

Magazine : Point de vue
Date : du 10 au 16 janvier 2018
Numéro : 3625

Merci à Elisabeth.

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