France Gall, presque tout pour la musique
(Presse ) VSD

« Tout pour la musique », c'est seulement le titre du spectacle. Pour France Gall, sa vie à elle ce n'est pas « rien que pour la musique ». Le Palais des sports, d'accord. Mais la famille d'abord.

Le dimanche après-midi, au volant de sa Volkswagen décapotable, avec sa fille Pauline, 3 ans, assise sur la banquette arrière, elle ressemble à n’importe quelle mère de famille bon-chic bon-genre qui promènerait son enfant.

Et c’est sans doute pourquoi, quand France Gall klaxonne devant les grilles fermées du Palais des sports, aucun vigile ne se déplace pour lui ouvrir.

Pourtant, la chanteuse a un spectacle à assurer en matinée. Mais elle ne s’affole pas. Tandis que Micheline, sa secrétaire, court chercher une clé en regardant sa montre, elle, s’inquiète plutôt de la santé de sa fille, qui tousse un peu.

« Ce n’est pas grave, j’adore arriver en catastrophe. Pas coiffée, pas maquillée. »

France Gall, retournée sur son siège, arrange le col du manteau de Pauline pour qu’elle ne prenne pas de courants d’air en sortant de la voiture.

« Comme ça, tout le monde m’attend, j’enfile mon costume, et crac, je rentre en scène. Sans avoir le temps de souffler … »

Et effectivement, sur un sourire adressé à ses musiciens et un dernier baiser déposé sur le front de sa fille, France Gall disparaît dans sa loge. Une pièce qu’elle a meublée elle-même avec des canapés profonds et d’épais tapis de laine. Un coup de peigne, deux touches de rouge, trois cuillerées de miel d’oranger et la porte s’ouvre de nouveau.

Ce n’est plus la maman blonde au châle écossais aperçue tout à l’heure dans la voiture, mais une créature sauvage, en pantalon de cuir noir moulant et sweet-shirt blanc à damier multicolore. Une rock-star que déjà le public, là-bas, de l’autre côté du rideau noir, acclame, réclame. En sifflant et en tapant des pieds. Comme tous les jours depuis trois semaines …

C’est qu’il a bien changé le « bébé requin » du temps yé-yé. Il s’est fait les dents. Aujourd’hui, France Gall, dans son spectacle « Tout pour la musique », est entourée de quatorze musiciens les meilleurs instrumentistes de studios français qui, pour elle, ont accepté d’apparaître sur scène, trois choristes, trois danseurs, sept enfants, l’éclairagiste d’Elton John et l’ingénieur du son de Bruce Springsteen. Un label de qualité pour les spécialistes. Au total et au bout des comptes, un spectacle qui a coûté 6,5 millions.

Le public aussi a évolué. Il a grandi. Ce ne sont plus seulement des groupies échevelées qui trépignent, mais des fans de 7 à 77 ans. Il a surtout grossi. Chaque jour, le Palais des sports fait presque salle comble. Et il a même fallu installer en toute hâte des barrières pour empêcher les spectateurs enthousiastes de s’approcher trop près-de la scène. Même Elton John qui est venu, un soir, impromptu, chanter en duo avec France Gall Donner pour donner, n’en est pas revenu …

Et, tandis que France Gall fait reprendre à son public ses refrains, un homme en coulisses fait des additions dans une minuscule loge au béton vaguement peinturluré de blanc. C’est Claude Wild, le producteur du spectacle. A la lumière d’une ampoule nue, loin des feux de la rampe et de la sono déchaînée, il joue en solo de la mini-calculatrice électronique. Avec, pour partition, le bilan d’exploitation de trois semaines de show.

« Là on en est à soixante et un mille spectateurs pour dix-neuf séances, énonce-t-il en pianotant sur son instrument. Comme le spectacle est un triomphe, France a accepté de prolonger de trois semaines. Elle a fini par me dire : « D’accord, tout ce que tu veux, mais le 21 février, quoi qu’il arrive, j’arrête … »

C’est que, à partir du 21 février, France Gall a loué un chalet dans les Alpes pour se reposer en famille auprès de Michel Berger, son mari, son auteur et ses deux filles, Pauline et Raphaël née il y a trois mois. Et il n’est pas question pour elle de changer ses projets de famille. Claude Wild a tout de même réussi à lui faire accepter aussi une tournée du 16 au 20 février dans cinq grandes villes : Bruxelles, Lille, Genève, Nice et Lyon. Afin de la décider il a loué les services d’un pilote de Fokker pour transporter les cinquante personnes de l’équipe, et une cuisinière pour mijoter des petits plats à tout le monde.

Mais quand, à l’entracte, le producteur, tout content, montre son bilan à sa vedette, celle-ci jette un œil et se met à rire : « Quand je pense, mais quand je pense qu’en commençant le Palais des sports j’étais paniquée à l’idée de rester trois semaines en scène ! … je n’étais pas sûre de tenir le coup physiquement. Et maintenant, nous en sommes à six semaines programmées … Si je vous écoute, et si je ne m’arrête pas de moi-même, c’est mon médecin qui sera obligé de m’arrêter. . . »

Pourtant, après une heure de scène, à danser sur la pointe des pieds dans un filet de lumière, France Gall semble très calme.

Pas plus fatiguée que si elle avait poussé un landau dans le bois de Boulogne ou le parc Montceau. Et si la chanteuse change de costume – un pantalon blanc et un sweet-shirt à damier noir maintenant – on a l’impression que c’est moins parce qu’ils sont trempés de sueur que parce que c’est prévu dans le show. Mais elle n’aime pas qu’on lui en fasse la remarque.

« Si je parais si calme, c’est que je suis encore sous le choc. Mais il me faudra un mois pour me refaire une santé dans mon chalet. Je ne pourrai plus supporter un bruit. Le moindre coup de téléphone me fera faire des bonds de trois mètres … Il faudrait être aveugle pour croire que je suis insensible à ce succès. Mais je ne veux pas trop tirer sur la corde. Je ne veux pas finir comme la chanteuse Janis Joplin, morte d’une overdose parce qu’elle avait tout donné à la scène. Parce que, dans ce métier, quand on donne tout et que soudain on ne reçoit plus, alors il ne vous reste plus rien …

« Tout pour la musique », c’est seulement le titre du spectacle. Pour France Gall, sa vie à elle ce n’est pas « rien que pour la musique ». Le Palais des sports, d’accord. Mais la famille d’abord.

La porte de la loge s’ouvre.

Une petite fille en robe à carreaux et queue de cheval. C’est Pauline, qui a quitté sa place dans la salle et qui vient s’installer sur les genoux de France Gall. Pauline, qui poisse son pantalon de scène en émiettant des tranches de pain d’épice et qui lui colle peut-être un rhume en éternuant, la tête lovée dans son cou. Là-bas, de l’autre côté du rideau noir, le public acclame encore, réclame toujours. Mais, pour l’instant, France Gall n’est plus qu’une mère de famille comme une autre. Après tout, c’est l’entracte, non ?

Magazine : VSD
Date : 28 janvier 1982
Numéro : 230

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