France Gall : Michel m’aide à surmonter les épreuves

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Revenue avec un show flambant neuf qui fait un malheur partout où elle passe, c’est une France Gall ressuscitée qui s’accorde une escale pour Ciné-Télé-Revue.

Rageuse, radieuse, tonique à souhait. Pourtant, elle vient encore de subir une terrible épreuve et a pris un nouveau départ qui en angoisserait plus d’une. Mais cette femme cache en elle des trésors de courage qui forcent l’admiration. Confession.

Vous êtes revenue à Paris, salle Pleyel. En souvenir de Michel ?

Oui, Michel et moi, nous en rêvions. On nous répondait toujours que “c’était fermé”. Là, je n’ai rien eu à demander. Tout s’est ouvert subitement. Je n’ai pas choisi cet endroit pour créer l’événement. Moi, dorénavant, je préfère monter mes spectacles en “loucedé” (ce qui veut dire “en douce” en verlan), ne pas m’atteler au remplissage des salles, ne pas me soucier du fait d’être jugée.

Ce “dorénavant”, c’est la preuve du profond renouveau en vous ?

Peut-être. C’est vrai que je me sens toute neuve. Comme si j’avais 2 ans. Comme si, depuis la mort de Michel, la scène m’aidait enfin à renaître.

A Bercy, ça n’avait pas été le cas ?

Bercy, c’étaient des retrouvailles trop émouvantes après l’horreur … La mort, le cancer. Il n’y avait aucune place pour la frivolité. L’état d’esprit était le blues. Je n’aurais d’ailleurs jamais pu surmonter cette épreuve sans toute l’équipe d’alors. Des gens attachés au même passé que moi. Soumis à la même lourdeur.

Cette “lourdeur”, comment s’est-elle dissipée ?

Quand on vient de perdre quelqu’un, on se sent lourd, accablé, plus du tout à l’aise dans ses gestes, dans sa peau. A un moment donné, sur scène comme dans les coulisses, même si le chagrin ne s’efface pas, on sent qu’on digère l’horreur. La vie reprend sa place d’une façon plus généreuse. Elle vous redonne une nouvelle conscience. On a l’impression d’ouvrir les cils, de retrouver un corps.

Aujourd’hui, la fameuse “équipe” dont vous parliez tout à l’heure n’est plus là ?

Les musiciens et pas mal de choses ont changé, c’est vrai. J’ai été amenée à m’investir beaucoup plus, à porter moi-même presque toutes les casquettes. Et, curieusement, cela m’a procuré une incroyable sensation de liberté. Une légèreté qui me permet de vibrer mieux, d’oser aller au-devant des gens, de danser comme une folle. Jamais je ne me suis sentie autant passionnée par ce métier, par la musique, par l’œuvre de Michel.

Une oeuvre que, en tant que son interprète favorite, vous avez « relookée » ?

Je n’aime pas trop ce mot-là. Les chansons de Michel ne vieillissent pas. C’est même insensé. On peut juste les actualiser un peu. C’est essentiellement une question de sons.

Il n’y a rien de démodé dans le répertoire Berger ?

Pratiquement rien. Mais est-ce qu’il y a du “démodé” chez Mozart ? Je sais que cela fait sourire. Moi, je les place au même niveau.

Chanterez-vous un jour quelqu’un d’autre que lui ?

Je me suis organisé un avenir basé sur lui. Au moins pour les trois prochaines années. Après la tournée, je vais commencer par réaliser avec des producteurs américains exceptionnels un album de ses chansons les plus universelles. Quelques-unes seront traduites en anglais. Ensuite, j’irai les interpréter partout où le disque sortira, en commençant par le Japon et la Corée. Bref, je vais faire ce que j’avais toujours refusé de faire.

Cela veut dire que vous allez quitter la France ?

Dès le début 95, je m’installe à Los Angeles. J’ai préféré cette ville à New York à cause de la douceur du climat. Mais ce n’est pas un adieu, même si cela risque de durer … Juste un truc que je sens devoir faire.

Avec anxiété ou excitation ?

Ni l’un ni l’autre. Il faut ? … Je fais ! (Rires.) Moi, maintenant, plus rien ne m’embête.

Qu’en disent vos enfants ?

Ils sont follement heureux de partir. A 16 et 13 ans et demi, cela va être une bonne occasion de leur faire découvrir le monde. Et puis, Michel voulait absolument qu’ils soient complètement bilingues. C’est le moment de vivre ce genre d’expérience avec eux. Ils grandissent et je ne sais pas trop comment m’y prendre avec les jeunes. Moi, j’étais plutôt “maman bébé”· Et “papa ado” n’est plus là pour me relayer.

Votre fils vient, paraît-il, de vous causer de gros soucis ?

C’est vrai. Maintenant je peux en parler. J’ai vécu notamment la pire nuit de mon existence. Epouvantable. Raphaël était sur le scooter d’un copain lorsqu’il a été renversé par une automobiliste qui, soit dit en passant, n’a jamais daigné, depuis, prendre de ses nouvelles. Cela s’est passé à la fin de l’été, à Ramatuelle, que j’avais quitté la veille pour rejoindre Paris. J’ai été prévenue tard le soir, à mon retour de répétition. Il avait une hémorragie et des contusions multiples. On le croyait gravement touché au pancréas. Il n’y avait plus d’avion. Mille kilomètres me séparaient de mon fils en réanimation. Il a été transféré de l’hôpital de Saint-Tropez à celui de Fréjus, puis à celui de Nice. Les médecins voulaient lui ouvrir le ventre et faisaient du forcing pour obtenir mon autorisation, sans pouvoir me donner de diagnostic précis. Je me liquéfiais littéralement. On lui a fait trois scanners. Quand j’ai pris le premier avion à l’aube, j’étais un zombie. J’ai passé trois jours sur un lit de camp à ses côtés. Finalement, c’est la rate qui avait tout pris. Un moindre mal.

Comment faites-vous pour assurer si vaillamment après une telle série d’épreuves ?

J’ai toujours dit que je me sentais incroyablement forte de ce que m’avait laissé Michel. Je m’en suis peut-être convaincue mais j’ai même cru le ressentir physiquement. Sans les dix-huit ans que nous avons vécus ensemble, je ne saurais pas “assurer”, comme vous dites. Mais c’est ainsi. Désormais, je ne suis plus la femme de personne. Je ne me repose plus sur personne. Je sais que la vie est faite de choses belles et affreuses. Je me convainc que tout est possible, qu’elle finira par m’emmener vers le meilleur et qu’elle mérite que je lui fasse encore confiance.

Vous reposer un peu sur une épaule toute neuve, cela vous paraît concevable ?

Je me le souhaite. Mais il faudrait que je trouve la place !

Propos recueillis par Alain HOUSTRAETE-MOREL

Magazine : Ciné Télé Revue
Date : 26 novembre au 2 décembre 1994
Numéro : 9447

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