Michel Berger : la mort d’une étoile

Le chanteur compositeur Michel Berger s’est éteint hier matin à Saint-Tropez, à l’âge de quarante-quatre ans, terrassé par une crise cardiaque.

Quelques heures plus tôt, il donnait sa dernière interview au Parisien.

Le chanteur et compositeur Michel Berger est décédé dans la nuit de dimanche à lundi à 4 heures du matin à l’hôpital de Saint-Tropez, des suites d’une crise cardiaque. Michel Berger, qui passait ses vacances dans sa propriété de Ramatuelle, la Grande-Baie, avait été transporté au centre hospitalier dans la soirée après avoir été victime d’un malaise.

Michel Berger était né le 28 novembre 1947 à Paris. Ce garçon brun, de taille moyenne, les cheveux bouclés, était le fils d’Annette Haas, pianiste, et de Jean Hamburger, le fameux professeur de médecine décédé le 1er février dernier.

Il avait commencé à étudier le piano dès l’âge de cinq ans et n’avait pas quitté cet instrument, même lorsqu’il avait poursuivi plus tard des études de philosophie. Il rédigea même une thèse sur l’esthétique de la pop-music avant de débuter dans le showbiz en pleine époque yé-yé, avec un premier succès écrit pour Bourvil « les Girafes ».

Michel Berger était un compositeur précoce. A dix-huit ans, il avait enregistré un premier album pour pianos et groupe de rock, « Puzzle » (désormais totalement introuvable). Même s’il ne rencontra pas un large public, Michel Berger continua à travailler comme un fou et trouva sa voie en composant pour les autres. D’abord pour Véronique Sanson, qui fut sa première compagne, puis pour Françoise Hardy, dont il signa deux chansons : « Message personnel » et « Je suis moi ». Puis il rencontra France Gall. De la Lolita des sixties, qui connaissait à l’époque le creux de la vague, il fera une vedette avec « la Déclaration », « Aime-la », « Il jouait du piano debout », « Babacar » et autres « Si maman si ». Autant de tubes où l’on retrouve le style Berger, ce mélange de mélodie et de rythme qui est la particularité des stars préférées de Michel Berger, à l’image d’Elton John. Berger avait d’ailleurs composé un titre qu’Elton John avait interprété avec France Gall.

Cette complicité toute professionnelle avec France est devenue une affaire de cœur lorsque le couple célébra son mariage le 22 juin 1976. De leur union sont nés deux enfants : Pauline (treize ans) et Raphaël (onze ans). Dès lors, Michel se lança dans « Starmania » en 1979, un opéra rock dont il aimait à répéter qu’il « était le point de départ de sa carrière solo ». Plusieurs airs comme « les Uns et les autres » (Fabienne Thibeault explosa en France grâce à ce titre), « les Princes de la ville », « J’aurais voulu être chanteur » seront tous des succès.

Ce fut le tournant de sa carrière. Désormais reconnu parmi les « grands », le compositeur décida de mettre son talent au service de sa propre voix avec « Seras-tu là », « Mademoiselle Chang » et « la Groupie du pianiste ». C’est ainsi que, le 30 juin 1980, il fit ses débuts de chanteur sur la scène du théâtre des Champs-Élysées. Il produisit lui-même ce spectacle à gros moyens, riche de la présence d’un orchestre symphonique. Le rêve dura six jours et Berger partit en tournée à travers la France.

Lui, le discret, le timide, s’éclatait et swinguait à chacune de ses étapes. L’Olympia l’accueillit en avril 1982. Ce fut un triomphe. Dans la foulée, il fonda son propre label de musique, Apache, installa ses bureaux près de l’avenue George V et produisit de jeunes chanteurs sur qui les autres sociétés phonographiques ne voulaient pas risquer d’argent. Il s’offrit pour une semaine le palais des Sports en mai de la même année.

« Je ne veux surtout pas devenir un chanteur établi, déclarait-il pourtant. Je tiens à rester disponible pour les autres, à me passionner pour des choses nouvelles. » Dont acte lorsque Johnny Hallyday devint la nouvelle étoile de Berger à l’occasion d’un album où il lui écrivit « le Chanteur abandonné ». Il n’oubliait cependant pas la scène et le Zénith le retrouva en avril 1986. Enfin, en septembre 1988, Michel et Luc Plamondon remontèrent sur les planches du Théâtre de Paris « Starmania » avec entre autres stars la chanteuse belge Maurane. Ce fut une nouvelle fois un tel succès que leur opéra rock se déplaça à Marigny, avant de gagner l’étranger, à Moscou puis à Londres. Il n’en alla pas de même pour « la Légende de Jimmy », cette autre comédie musicale montée à Mogador en septembre 1990 par Jérôme Savary, mais Michel Berger n’en prit pas ombrage. Ces derniers temps, Michel et France travaillaient sur l’album « Double Jeu » qui est sorti le 15 juin. La fatalité a voulu que ce premier disque en duo soit aussi le dernier. Par Alain Grasset


Avec France Gall : la plus solide des histoires d’amour

La première fois, ils s’étaient rencontrés sans se voir. C’était à l’époque de ce « Sacré Charlemagne » pour une photo géante de « Salut les copains » au beau milieu des années soixante. Michel Berger était alors l’un des tout jeunes espoirs de la chanson française et France Gall promettait déjà. Ce jour-là, ils ne se sont pas parlé et n’ont échangé aucun clin d’œil complice. « Ce ne devait pas être l’heure ! » plaisantera France des années plus tard.

Cette heure sonnera seulement en 1973. France, en pleine déprime, ne chantait plus depuis de longs mois. Elle ne supportait plus d’être considérée comme cette « poupée de cire et de sons » qui lui avait fait remporter le grand prix de l’Eurovision en 1965. Elle n’en pouvait plus aussi d’être regardée comme une gosse un peu stupide qui n’avait pas bien compris les allusions perverses de Gainsbourg dans « les Sucettes à l’anis » … Michel allait vite lui faire oublier tout cela et devenir son pygmalion. « Un jour, j’ai entendu à la radio l’une de ses chansons, confiait-elle, elle s’appelait « Attends-moi ». J’ai dit : C’est lui … »

Ils se rencontrent. Enfin.

« Nous nous sommes retrouvés, lui au piano, moi à côté. Nous avons dialogué, un véritable échange : un échange qui m’a obligée à changer ma vie. Michel est devenu mon compagnon de tous les instants.»

Le 22 juin 1976, ils se marient, donnent le jour à Pauline puis à Raphaël et font leur premier succès musical. C’est « la Déclaration » en 1974, avec cent mille disques vendus en trois semaines. La vague ne retombera jamais : « Il jouait du piano debout », « Résiste », « Débranche », « Tout pour la musique », « Babacar », « Ella, elle l’a … » Chaque disque est un succès.

Le couple le plus célèbre de la chanson est solide comme un roc. « Je n’ai envie de travailler avec personne d’autre que Michel, affirme la chanteuse inlassablement. Aucune musique ne me touche comme la sienne. C’est lui qui me connaît le mieux au monde. Aucun texte ne traduit aussi fort ce que je pense … »

Leur vie de couple est comme leur musique : à l’unisson. Quand l’un fait de la scène ou un disque, l’autre s’occupe des enfants et inversement. Comme des parents « ordinaires », ils suivent les devoirs, rencontrent les professeurs. Pauline et Raphaël poussent à l’ombre du showbiz. Aucune photo d’eux n’est parue dans la presse. « La vie privée est privée, répète France. C’est un tel miracle qu’il faut la préserver. »

Cette vie privée réussie entre France et Michel passait aussi par la fidélité. France en avait une idée très précise : « Réussir à vivre ensemble toute une vie est la chose la plus belle et la plus difficile. Il faut donc mettre toutes les chances de son côté et je crois que la fidélité en fait partie. » Par Sylvie Metzelard


Écouter la différence.

Tout au long de sa carrière, Michel Berger a revendiqué le droit à la différence. « Il jouait du piano debout » en est le meilleur exemple. Il avait d’ailleurs sorti en 1985 un album baptisé « Différences » où, à travers des chansons comme « l’ Ange aux cheveux roses » ou « Y’a pas de honte quand on est ensemble », il affirmait, hors de toute connotation politique, le droit à l’affirmation de soi à la tolérance.

Michel Berger était vraiment en prise directe sur l’air du temps, swinguant avec les notes et la syntaxe avec folie. Il venait donc de sortir un nouvel album « Double Jeu », avec France Gall, ne tombant pas dans le piège des chansons chantées à deux dans le style « Je te parle et tu me réponds ». Une fois encore, il était différent de ce qui se fait.

Cet album qu’ est sorti en juin dernier propose une dizaine de chansons avec une voix unique, comme pour un groupe. Le son est extrêmement moderne. Il a été mixé aux Etats-Unis par un maître du genre, Frank Filipetti, qui a déjà travaillé avec le groupe de hard rock Scorpions.

Dans ce disque, on retiendra la chanson « Laissez passer les rêves » qui est arrivée à la 27e place du Top 50. Cette étonnante ballade rythmée parle d’amour et évoque les personnages qui ont fait avancer l’humanité : le premier homme sur la Lune, Picasso, mère Teresa, John Kennedy, Martin Luther King. Autre chanson coup de cœur « Toi sinon personne », où Gall et Berger forment une seule et même voix comme unie pour l’éternité. Ils devaient se produire du 17 octobre au 1er novembre à La Cigale. Par Y.B.


Une carrière internationale.

La carrière de Michel Berger était internationale. De Moscou à Montréal, on avait apprécié son « Starmania » indémodable. C’est un vrai magicien du son, disait-on souvent de lui. Michel Berger venait de conquérir Londres pourtant d’habitude peu enclin à apprécier les artistes français.

« Starmania » était sorti le 12 juin dernier avec des textes en anglais et chanté par les plus grandes stars de la pop-music comme Cyndi Lauper ou les Bros, mais aussi Willy de Ville, Kevin Robinson, Tom Jones, Céline Dion, Nina Hagen.

Baptisé du nom curieux de « Tycoon » (magnat en français) cette version anglaise de la célèbre comédie musicale a pu être possible grâce à une adaptation des textes faite par Tim Rice, le célèbre librettiste de « Jésus-Christ Superstar», qui avait craqué sur le spectacle il y a quelques années. Et le premier single « The World Is Stone » (le monde est stone) chanté par Cyndi Lauper nous montre vraiment que Michel Berger existera toujours par sa musique quelle que soit la langue ! Par Yves Berton


Il y a six mois, son père mourait.

Le 1er février dernier, Michel Berger avait dû faire face à la disparition de son père, le professeur Jean Hamburger, âgé de quatre-vingt-deux ans. C’était un homme de renommée mondiale, père de la néphrologie. Ce pionnier de la greffe du rein et de la réanimation, membre de l’Académie des sciences, de l’Académie française et de l’Académie de médecine était aussi un grand humaniste. Il partageait avec son fils, malgré leurs destins différents, un extraordinaire appétit de vivre.


L’étrange prédiction faite à France Gall.

Quelques heures avant la disparition tragique de Michel Berger, notre envoyé spécial se trouvait à Ramatuelle, dans la résidence du compositeur et de son épouse, France Gall. Pour le couple, qui parlait de sa vie de famille, de son dernier disque et de ses projets, c’était encore la mélodie du bonheur malgré l’étrange prédiction d’un voyant …

Le Parisien : Ces dernières années, l’un comme l’autre, lorsqu’on évoquait vos retours, à l’un comme à l’autre, à la scène, sous sembliez vouloir prendre un peu de recul, avec quelques hésitations, quelques doutes. Et puis, finalement, vous revenez tous les deux avec un album et sur scène… Est-ce qu’il y a une explication, Michel, à ça ?

Michel Berger :  Cela fait très très longtemps que l’on voulait faire ça et puis comme France n’avait plus vraiment envie de faire des disques toute seule, que moi j’ai plus envie d’écrire et de faire des choses qui restent un peu plus que les chansons, puisque c’est très volatile les chansons, ça disparait assez vite. On a trouvé cette manière pour nous de refaire une aventure, parce que c’est une aventure de faire un disque à deux, de faire sûrement une musique un peu différente et différemment. Et c’est une chose qu’on voulait faire depuis le début et que beaucoup de gens nous avaient demandée. Je crois que c’était le bon moment pour le faire.

« L.P. ». – C’est un travail qui vous a pris neuf mois. Évidemment, c’est une durée on ne peut plus symbolique. On peut dire à droite à gauche : j’ai reçu votre nouvel enfant …

France Gall : Oh la la …

 « L.P. ». – Attendez, vous ne connaissez pas la question … Maintenant que l’enfant est né, il ressemble plus à son père ou à sa mère ?

M.B. Ah, c’est pas mal ! C’est pas mal !

F.G. Dis ce que tu penses, Michel !

M.B. Il faut que je dise ce que je pense?

F.G. Ben oui !

M.B. Je pense que c’est un mélange, puisque l’écriture a été faite par le père et beaucoup de directions du disque ont été faites par la mère. Je pense que si j’avais fait le disque tout seul, ça n’aurait pas été ce disque-là. Et si France avait fait ce disque toute seule … Comment elle aurait pu faire ? Je ne vois pas !

F.G. Non, moi je n’aurais pas pu faire de disque toute seule.

M.B. Mais avec quelqu’un d’autre … si elle l’avait fait avec quelqu’un d’autre, ça serait un autre disque.

« L.P. ». – Ça aurait pu être Goldman qui aurait pu lui écrire : elle a fait un enfant toute seule !

M.B. Par exemple, oui ! (Rire). Je crois que c’est un mélange. C’est un mélange aussi de tous les gens avec qui nous avons travaillé. Nous avons fait ça avec trois ou quatre musiciens français, avec lesquels on travaille depuis toujours, et c’est vraiment tout à fait pensé comme un groupe. Je pense peut-être que ce qui nous différencie dans la manière de voir les choses, c’est que France avait très envie de faire quelque chose de très très dynamique, avec beaucoup d’énergie et moi j’avais envie de faire des choses avec de l’émotion. Ce qui fait qu’il y a un petit peu des deux. Mais c’est là où on partait dans des directions différentes, je crois.

« L.P. ». – Vous avez fait entre amis une petite soirée il y a quelques semaines à Paris, au New Morning, pour vous essayer un peu sur scène et montrer à vos amis les quelques chansons de l’album. C’était évidemment une petite soirée assez intimiste. On murmure que la scène devant un public ça va rester un peu comme ça, intimiste. C’est le cas ?

M.B. – Oui, on en a très envie. D’ailleurs le choix de la Cigale, c’est un peu ça. On a déjà fait des grandes salles, et on a envie de faire quelque chose qui soit un peu plus proche des gens, même si on fait après éventuellement une grande salle, mais c’est quand même une autre manière de faire de .la musique, avec peu de décors. Avec un énorme spectacle, je crois qu’il y a un peu d’accoutumance et de lassitude, des deux côtés : de la part du public et de la part des gens qui sont sur scène aussi. La scène, c’est quand même communiquer quelque chose aux gens et on a envie de ressourcer avec des gens proches de soi.

« L.P. ». – Michel, il y a quelque temps, vous aviez des projets, à titre personnel, de cinéma. Où en est-on ?

M.B. – j’ai été obligé de remettre un certain nombre de choses pour faire ce disque et pour faire la scène qui va aller avec. Et ça ne me rend pas malheureux, car le film que je voudrais utiliser n’est pas un film d’actualité, donc ce n’est pas un problème. Mais c’est vraiment quelque chose que j’ai envie de faire dans les années qui vont venir.

« L.P. ». – Qu’avez-vous fait pendant ces deux-trois ans où on n’avait plus de nouvelles de vous ? Pour Michel, on a su, avec « Starmania », il y a eu plein de choses; mais vous on ne savait rien. Est-ce que c’est secret ?

F.G. – Non, j’ai beaucoup pensé (rire) beaucoup, beaucoup pensé.

« L.P. ». – Vous écrivez pensé avec un « e » ou avec un « a» ?

F.G. – J’ai suivi pas mal Michel, puis on est partis faire de grands voyages à l’autre bout du monde et voir d’autres horizons, Et puis j’ai deux enfants, comme vous le savez, et je crois qu’ils sont bien dans leur peau, qu’ils sont bien dans leurs baskets, et ça c’est le temps que j’ai passé avec eux ces derniers temps. C’est sûr.

« L.P. ». – Vous avez l’impression que vous avez encore des rêves à accomplir ?

F.G. – Eh bien, hier, sur la plage, il y a quelqu’un qui m’a fait les lignes de la main. Je n’avais jamais accepté qu’on me les fasse. Et comme je connaissais un peu de trouble, je me suis dit : tiens, peut-être que ça va m’éclairer un peu (rire). Cette personne m’a dit (rire) des choses extraordinaires. Il m’a dit que cela allait venir maintenant. C’est maintenant, disons dans les années à venir. Je ne sais pas du tout ce que cela peut être, car il m’a dit : vous rentrez dans l’immortalité. Alors je lui ai dit : ce n’est quand même pas avec ma petite carrière de chanteuse que je vais rentrer dans l’immortalité, donc ça va se passer maintenant. Il m’a dit : oui, en effet (rire). Donc, j’attends de pied ferme ce qui va se passer, donc je m’y attends.

« L.P. ». – On prend donc rendez-vous, Michel ?

M.B. – Je suis très très intéressé de savoir ce que l’immortalité va choisir comme terrain. En attendant, on va s’occuper de notre disque, on va voir après …

Les obsèques jeudi – Michel Berger sera inhumé jeudi dans l’intimité au cimetière de Montmartre, à Paris XVIII. L’inhumation doit avoir lieu à 11h30.

Magazine : Le Parisien – édition Nationale
Par : Alain Grasset, Alain Morel, Y.B., Yves Berton
et Sylvie Metzelard
Numéro du mardi 4 août 1992
Numéro : 14901

Merci à Elisabeth.

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