L’adieu à l’amour (Presse) France Dimanche

Jamais elle n’avait paru aussi petite, sous l’implacable soleil du cimetière Montmartre, en ce jeudi 6 août.

Minuscule silhouette noire, à bout de douleur et de larmes, France Gall, disait adieu à l’amour.

La tendre et riante épouse de Michel Berger n’était plus qu’une femme désespérée.

Pourtant, ce désespoir, France savait qu’elle ne devait pas y sombrer. Pour sa fille, Pauline, 13 ans, et son fils, Raphaël, 11 ans, il fallait qu’elle tienne bon.

Alors, prenant sur elle, hagarde de chagrin, elle tenait ses petits par la main, tentant, à travers leurs doigts entrelacés, crispés, de leur communiquer la force et le courage d’admettre l’inadmissible, l’inhumain.

Digne

France, si digne, si pâle, n’était plus qu’amour et vigilance pour ses deux enfants. Comme ils souffraient ! Comme elle sentait dans son cœur de mère que, pour eux, l’épreuve était plus terrible encore.

13 ans, 11 ans, des âges où l’on n’est pas encore armé pour affronter les blessures des grands, mais où l’on a déjà toute la lucidité d’un adulte pour être cruellement meurtri.

Au sortir de l’enfance, privés de l’innocence et de l’insouciance des tout petits, Pauline et Raphaël étaient frappés en plein cœur par l’horreur et l’injustice de la vie. A l’heure des espoirs et des rêves, ils découvraient la mort, la pire : celle de leur papa.

Ce drame que vivaient Pauline et Raphaël, nulle mieux que France pouvait en percevoir les terribles ravages. Aussi, tout au long de la cérémonie, n’a-t-elle eu de cesse de les protéger, de veiller sur eux, épiant le moindre signe de défaillance. Une mère comprend dans sa chair les chagrins de ses enfants et, en ce matin insoutenable, France a été la plus belle, la plus courageuse des mères. Elle a su trouver le geste furtif qui essuie une larme sur la joue de Pauline, le baiser si tendre quand, soudain, la petite ne contrôle plus sa douleur, sans pour autant lâcher la main de Raphaël, serrant simplement un peu plus fort ses doigts pour lui dire : « Tiens bon, maman est là, sois fort. »

Puis, à la demande de France, Jacques Attali a prononcé l’éloge funèbre.

Amitiés

Des mots simples, emprunts d’une vibrante amitié et d’une grave tristesse. Jacques Attali qui, dans son hommage, n’a pas oublié les enfants serrés contre leur mère.

« Que la tendresse des adultes, a-t-il dit, la gorge nouée, apprenne, et c’est le plus difficile, à accompagner le deuil des enfants. »

Le discours terminé, chacun a observé une longue minute de silence. Piétinements sur les graviers, sanglots qui s’échappent et, soudain, le roucoulement de deux pigeons invisibles, comme si les oiseaux avaient voulu offrir leur chant à celui qui avait consacré sa vie à la musique …

Puis France, ses enfants serrés contre elle, s’est approchée de la fosse béante et, du bout de ses doigts tremblants, elle a envoyé à Michel un ultime baiser. Puis Raphaël, son petit visage crispé, mais réussissant toujours à maîtriser ses larmes, a lancé une rose. Enfin Pauline, effondrée, a jeté dans la tombe un petit mot qu’elle serrait contre elle depuis le début.

Ce petit mot cachait la plus émouvante des histoires.

En juin dernier, dans le secret de sa chambre, Pauline avait pris du papier, ses feutres de couleur et, de sa plus belle écriture, elle avait écrit : « Bonne fête, papa. » Trois mots tout simples mais à travers lesquels elle avait mis tout son amour et toutes ces pensées qu’on a parfois tant de mal à exprimer à son père à l’aube de l’adolescence. Puis elle avait dessiné deux petits cœurs, un pour elle, un pour Raphaël et, le 21 juin, ensemble, ils avaient offert leur petit « chef-d’œuvre » à Michel.

Ce billet si simple et si touchant, Michel l’avait conservé avec soin et l’avait même mis en bonne place sur son bureau. Ainsi il pouvait le voir à tout instant et, à chaque fois que ses yeux se posaient sur lui, c’était comme si Pauline et Raphaël lui faisaient un câlin.

Ce sont ces « quelques mots d’amour », comme le chantait si bien Michel, que Pauline a tenu à donner à son père pour toujours.

Puis tous les amis ont jeté, un à un, une rose sur le cercueil. Patrick Bruel, Alain Souchon, Jean-Michel Jarre, Richard Berry, Véronique Sanson, Françoise Hardy et tant d’autres …

Johnny était là, lui aussi.

Johnny qui, à Saint-Tropez, avait été le premier à se précipiter à « La Grande Baie », la villa de France et de Michel, quand il a appris la mort de son ami.

Tristesse

« Le décès de Michel, a confié Johnny depuis, cela restera la plus horrible soirée de ma vie. »

Les traits creusés par la tristesse, Johnny a accompagné Michel jusqu’à sa dernière demeure. Et là, au cimetière Montmartre, il a retrouvé Adeline, tout de noir vêtue. Alors, spontanément, unis par un même chagrin, les ex-époux sont allés l’un vers l’autre, et ne se sont plus quittés, se tenant par la main, accrochés l’un à l’autre comme deux naufragés du deuil.

Nathalie Baye, elle aussi, était là. Nathalie qui, la première, avait fait se rencontrer Johnny et Michel. Apparemment, leurs routes musicales étaient différentes, mais Nathalie avait senti que, dans les mélodies, les paroles des chansons de Michel, il y avait un monde très proche de celui de Johnny. Un monde que Johnny portait depuis toujours en lui et qu’il n’avait jamais trouvé l’occasion de révéler. Cette occasion, Michel Berger la lui a offerte en composant pour lui son album « Rock and Roll attitude », avec la célèbre chanson « Quelque chose de Tennessee ». Un album fusion où les talents de Johnny et de Michel se mêlaient intimement et que Johnny avait dédié à Laura.

Complicité

Plus tard, Adeline, elle aussi, a senti combien les deux hommes, par-delà leurs différences, étaient proches et que, entre eux, il y avait plus que de l’amitié : une réelle complicité de cœur. C’est Adeline qui a poussé Johnny à enregistrer « Diego », une chanson que Michel avait à l’origine composée pour France. Johnny ne voulait pas, mais Adeline l’a forcé à l’écouter encore et encore, et la magie a opéré.

Ces souvenirs, tous les revivaient alors qu’ils quittaient en silence le cimetière. Des milliers de souvenirs de bonheur et d’émotion : l’héritage de tendresse que leur avait légué Michel.

France, Pauline et Raphaël ont été les derniers à partir. Pathétique trio de la mère et de ses petits, serrés les uns contre les autres, marchant lentement vers la sortie.

Dès le lendemain des obsèques, France abandonnait Paris pour partir à la montagne avec Pauline et Raphaël. C’est là, loin du monde, protégés par des amis, qu’ils vont tenter d’apprendre à vivre sans Michel. tenter d’accepter l’inacceptable.

Magazine : France Dimanche
Par Bruno Samson
Du 15 au 21 août 1992
Numéro : 2398

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