Spécial Michel Berger et France Gall (Presse)

Ce numéro hors-série spécial de Nos Tendres et Douces Années comporte 40 pages dédiées à France Gall et à Michel Berger. Ce magazine est paru en septembre 2011.

Nos tendres et douces années était un magazine indépendant sur les artistes édité en support papier et sur Internet. J’ai eu le grand plaisir de travailler avec Liliane Boyer et son équipe de journalistes / photographes pour Nos tendres et douces années sur la version web du magazine en 2010.

La musique dans la peau / par Christophe Daniel

La jolie Isabelle connait le succès grâce à un nom de match de rugby, choisi par son père : France Gall. Appelée affectueusement Babou par sa famille, sa carrière démarre le jour de ses 16 ans, le 9 octobre 1963.

Ce jour-là, elle entend sa voix pour la première fois à la radio, avec une chanson américaine adaptée par Pierre Delanoë, intitulée en français Ne sois pas si bête.

Les yéyés viennent de débarquer, quand France devient la première lolita du mouvement ! C’est son père, Robert Gall, qui l’incite à chanter. Il est artiste dans l’âme, et a écrit plusieurs titres pour Charles Aznavour, dont La Mamma. Il fait signer à sa fille, son premier contrat chez Philips. Au même moment, Denis Bourgeois, son premier éditeur musical qui est aussi le directeur artistique de Serge Gainsbourg, décide de réunir Serge et France. Début 64, l’homme à la tête de chou est en perte de vitesse, il a écrit quelques titres pointus pour des chanteurs rive-gauche, comme Juliette Gréco, et offre quelques petites pépites à la douce France, dont N’écoute pas les idoles qui semble résonner comme un conseil du maître.

France se souvient de Serge : – « C’est quelqu’un que j’avais du plaisir à voir parce que je l’admirais et j’aimais ce qu’il écrivait. Et j’aimais bien sa timidité, son élégance et son éducation. J’étais très impressionnée que cet homme travaille pour moi et s’intéresse à moi. »

Gainsbourg n’est pas fan de l’ère yéyé, c’est un fait. Il s’amuse pourtant énormément en écrivant Laisse tomber les filles, que France chante pour son premier grand amour, Claude François. Celui-ci est très amoureux mais il voudrait qu’elle arrête de chanter pour ne se consacrer qu’à lui. Même si elle est aussi très amoureuse de lui, elle ne cède pas.

Son père lui écrit un titre qu’elle déteste d’emblée, mais qui la consacre dans tous les pays francophones. Le fils de Pépin le Bref, ce Sacré Charlemagne, lui fait faire le tour du monde !

L’année d’après, en 65, elle s’envole pour Naples en Italie, pour défendre les couleurs du Luxembourg au grand concours de !’Eurovision, avec un titre hué pendant les répétitions. Cloclo voit d’un très mauvais œil cette participation. Il lui dit qu’elle court à sa perte, mais contre toute attente Poupée de cire, poupée de son emporte le morceau, et entraîne la lolita en haut des hits parades. La période est faste et les tubes s’alignent : L’Amérique, Baby Pop et surtout Les Sucettes, dont le texte rend France amère. Elle n’a rien compris du double sens, et ne voit désormais que des êtres lubriques à travers les garçons qu’elle croise par la suite.

Sa collaboration avec le grand Serge s’arrête en 67, car le dernier titre qu’il lui écrit, Teenie Weenie Boppie reste sur la touche. Légèrement vexé, il quitte France sur la pointe des pieds. Sur le même 45 tours se trouve Bébé requin, un titre composé par Joe Dassin, qui lui se fraye un chemin dans les eaux chaudes de Salut les Copains. En même temps, France quitte l’idole des minettes, et le chanteur malheureux lui dédit Comme d’habitude.

« Je ne me suis jamais reconnue dans cette chanson, je ne suis pas le monstre qu’il décrit. »

France Gall

Après cette aventure malheureuse, elle est la compagne d’un autre chanteur : Julien Clerc. Le jeune hippie connait le succès avec la comédie musicale « Hair ». Il est très amoureux et pourtant il la cache pour que l’on ne sache rien de leur histoire. Excédée par tant de secrets, elle le quitte à son tour. Traumatisé, le jeune Julien lui dédit son magnifique Souffrir par toi n’est pas souffrir.

A partir de 68, France traverse un désert très aride. Pourtant loin d’être complètement mauvais, les titres Les gens bien élevés ou encore Plus haut que moi, ne rencontrent aucun succès.

Elle se réfugie en Allemagne, où elle chante dans la langue de Goethe des morceaux qui marchent bien dans les fêtes de la bière à Munich.

En France, il faut attendre sa rencontre avec Michel Berger en 1973, pour que la jeune lolita des sixties devienne la star de la modern jazz – pop music.

Après avoir écrit Message personnel pour Françoise Hardy, Michel propose à France de faire une voix sur un titre de son prochain album, « Mon fils rira du rock’n’roll ». Lorsqu’elle chante ces vers, France est loin d’imaginer qu’ils auront un fils ensemble qui rit aujourd’hui du rock’n’roll.

  • – Je saurai lui dire des mots qu’il faudra pour le convaincre et il m’aimera.
  • Là-dessus Michel reprend : – Je sais bien, je sais bien.
  • Et France ajoute :
  • – Je saurai dire ce qu’il faut, pour qu’il redevienne un enfant dans le creux de ma main.

Tout est dit dans ces quelques mots. Michel tombe amoureux et lui offre deux enfants ainsi que des dizaine de tubes.

En 1974, il lui fait sa Déclaration qui la réconcilie avec le succès. Il lui écrit une mini-comédie musicale : « Émilie ou la petite sirène », que les Carpentier produisent pour la télévision en

1976. De ce show, ils sortent leur premier duo, Ça balance pas mal à Paris.

En 1978, elle remonte sur scène. Après sept ans d’absence, au théâtre des Champs Élysées, c’est un triomphe. Son ventre tout rond annonce l’arrivée de leur premier enfant, Pauline.

  • « Comme comme bébé comme la vie
  • Passe vite avant qu’on ait compris
  • C’est l’heure de dire où suis-je
  • Quel est ce monde-là
  • Et adieu déjà ! »

(Texte de Michel Berger pour la naissance de Pauline.)

En 1979, elle participe à la première mouture de « Starmania ». Elle est la seule star confirmée avec Diane Dufresne, à défendre ce nouveau concept d’opéra-rock sur la scène du Palais des Congrès. Le pays découvre alors de nouveaux grands talents dont Le Chanteur, Daniel Balavoine.

« Daniel, c’est la personne qui me fait le plus rire au monde. »

France Gall

Il devient un ami intime du couple. Ils partent en vacances ensemble, et prennent position contre la famine en Afrique avec l’aide de Richard Berry et de Bob Geldof, chanteur anglais et créateur du fameux Band Aid, association créée en aide à la famine en Éthiopie.

Le début des années 1980 voit naître un magnifique duo avec Elton John, Donner pour donner qui deviendra le passeport d’Elton pour notre pays, où personne ne le connaît encore. Ce titre devait être le premier extrait d’un album entier, mais France est enceinte. Son fils Raphaël va naître, le projet est abandonné.

En 1981, elle cartonne au Palais des Sports avec un show très avant-gardiste, où elle dit adieu aux paillettes. Le show de France Gall est très new wave – modern jazz. Les danseurs ne dansent pas vraiment. Ils créent plutôt des formes avec leurs corps, et France invente sa gestuelle …

« Mon corps réagit à chaque instrument de musique que j’entends, donc je fais un mouvement avec la tête, un autre avec les pieds … »

France Gall

En 1984 et en 1987, elle enflamme la scène du Zénith. En 1988, elle entame un break de quatre ans. France ne revient à la musique qu’avec le cultissime album « Double jeu » qu’elle chante en duo avec son mari. Le premier single Laissez passer les rêves est une révolution musicale, le reste de l’album est dans la même veine, avec Superficiel et léger, La petite de Calmette, La chanson de la négresse blonde ou encore avec Les élans du cœur.

Le 2 août 1992, tout bascule avec la mort de Michel.

France défend alors l’album à la télé et sur la scène de Bercy, toute seule. Entre 1993 et 1997, elle fait pas moins de 4 concerts différents, et un nouvel album de reprises de chansons de Michel, réorchestrées par des Américains et réenregistrées par France. L’album « Plus haut » lui permet de faire une nouvelle scène à L’Olympia en 96.

« Celui que j’aime vit dans un monde plus haut ».

Lors de son dernier concert, diffusé sur la chaîne M6, France nous fait cadeau d’un Attends ou va-t’en inespéré, signé Gainsbourg bien sûr … Depuis 1974, elle n’avait jamais rechanté un titre de lui !

L’année d’après, la disparition de sa fille lui fait quitter définitivement la scène.

  • « J’ai voulu être une étoile
  • Briller sur tout l’univers …
  • On n’a pas notion des choses
  • Quand on est enfant »

(Paroles de Michel Berger)

Le professeur tournesol et FrancHe Gall ! / par Christophe Daniel

Numéro spécial de 40 pages du magazine Nos tendres et douces Années dédié aux artistes Michel Berger et France Gall en septembre 2011

Alain Morel : D’abord journaliste au Parisien et animateur de radio, il devient au début des années 70, le journaliste attitré du couple Gall/Berger. Toutes leurs communications officielles passent par lui. Une amitié s’installe entre lui et leur attaché de presse, Grégoire Colard.

Ils ont écrit à deux mains les biographies sur France Gall et Michel Berger éditées chez Flammarion. « Nos Tendres et Douces Années » a voulu rencontrer Alain Morel, qui est aussi le témoin des derniers instants.

CHRISTOPHE DANIEL : Après la bio sur France Gall, vous récidivez pour nous parler de son mari, l’auteur-compositeur-interprète Michel Berger. Quand on relate l’histoire d’un artiste très pudique sur sa vie privée, n’y a-t-il pas l’angoisse de dévoiler des choses que Michel aurait voulu garder secrètes ?

ALAIN MOREL : C’est difficile à réaliser et à éviter dans le cadre de gens comme France Gall et surtout comme Michel Berger qui ont consacré leurs vies et qui ont pratiquement déterminé leurs destins en fonction de cette passion. C’est à dire que même dans son histoire d’amour avec France Gall, comme dans les histoires précédentes, l’amour étant une chose dont on peut éviter de parler mais qui est incontournable dans la création et la production artistique de Michel. Il n’y a pas un moment de sa vie qu’il n’a pas racontée dans ses chansons, même si c’était fait avec beaucoup de pudeur et de réserve. Et c’est ce qu’essaie de montrer le livre, une interférence immédiate entre sa vie privée et son œuvre.

En même temps, on ne révèle pas grand-chose, si ce n’est l’existence de cette jeune fille européenne, qui reste tout de même très ambigüe. Cette histoire était liée à un projet d’album, qui aurait dû sortir. On explique qu’il est allé plusieurs fois à Los Angeles pour ce projet, mais uniquement dans un but professionnel.

Il faut savoir que Michel avait besoin de vivre un coup de foudre sentimental et ensuite artistique, avec chacune des artistes pour qui il travaillait, même si cela pouvait rester platonique. On évoque sa relation avec Patricia, et de celle qui fût un poil passionnel avec Françoise Hardy, il ne pouvait vraiment pas s’investir autrement. Ces petites révélations nous aident à comprendre le personnage et son histoire. On comprend mieux pourquoi il a fait cet album « Double jeu » avec France, comme une sorte de réconciliation. Un peu comme un couple qui se dit : « On se sépare, mais on fait encore un enfant ».

CHRISTOPHE DANIEL : Vous êtes avec eux le 2 août 1992, sa dernière interview c’est à vous qu’il l’a donné, comment se comportait-il quelques heures avant, et puisque France était là, comment se comportaient-ils ensemble ?

ALAIN MOREL : Ce jour-là, on est à quelques semaines de leur départ en tournée ensemble, et leur état d’esprit c’est : « On a fait un enfant, on va s’en occuper à deux en l’emmenant partout à travers la France ». C’est vraiment le même schéma qu’un couple qui essaie une dernière tentative de réconciliation, ils se donnent une dernière chance pour refaire quelque chose ensemble. En même temps, c’est un couple qui a ses habitudes, ses blessures, donc ils s’envoient des petites piques.

Ils ont écarté les enfants, partis en vacances de leurs côtés, mais ils sont contents d’être dans une nouvelle aventure ensemble, pour se rapprocher, quelque part. Pendant un an, ils vont être sur les routes et dans différents pays, s’ils avaient été au seuil de ne plus se supporter, ils ne l’auraient pas fait. Au fond leur véritable histoire d’amour, c’est l’autre !

CHRISTOPHE DANIEL : Sur quels sujets s’envoient-ils des piques ?

ALAIN MOREL : Sur des broutilles : elle est en train d’installer la table sur la terrasse et il lui dit : « Mais pourquoi t’installes la table ici ? » et elle lui répond : « Oh arrête, on y a déjà reçu plein de monde », mais en même temps ce n’est pas méchant, on sent bien qu’ils ont hâte de partir en tournée. Tout se passe dans une bonne ambiance.

CHRISTOPHE DANIEL : Maintenant quand cet album sort dans les bacs, cela fait 4 ans que France est absente des hits parades, ne pensez-vous pas qu’elle a préféré jouer la prudence, en revenant en duo sur un album avec Michel, plutôt que d’affronter les médias en solo ?

ALAIN MOREL : La réponse n’est pas loin de cela mais pas tout à fait. Ce n’était pas tant le problème de refaire quelque chose toute seule en tant qu’interprète, mais plutôt en tant que créatrice. Et c’est vrai que pour la première fois avec cet album, elle tire définitivement un trait sur son seul rôle d’interprète. À ce moment-là, elle sait qu’elle a tout fait dans la variété, et elle n’a jamais eu le sentiment d’avoir créé son propre produit.

Pour « Double Jeu », elle se sert de Michel, non pas comme simple auteur-compositeur, mais aussi comme exécutant pour qu’il fasse ce qu’elle a en tête. Lui n’est pas follement satisfait de l’album, il le trouve bien mais ce n’est pas celui qu’il aurait fait tout seul. Il a accepté de retourner au labeur, parce que France le lui a demandé. Il a exécuté ses consignes, ce qui a beaucoup plu à cette dernière, mais il est vrai qu’elle ne l’aurait pas fait sans lui.

Seulement, ce n’est pas tant qu’elle se serve de lui parce qu’elle a peur de se défendre comme interprète solo, c’est plutôt qu’elle se sert de lui pour faire un album à deux, mais qui dans sa tête, est son album à elle.

CHRISTOPHE DANIEL : Comment Michel accepte que sa femme, qui s’est arrêtée de chanter pendant 4 ans, reprenne les commandes du studio autant que de sa cuisine ?

ALAIN MOREL : Pas très bien justement, et elle me le dit, à plusieurs reprises. Alors est-ce que cela ne l’agace pas qu’il soit souvent à Los Angeles, pour les raisons que l’on a évoquées plus haut, ça reste dans le domaine du non-dit.

En tout cas, quand il revient à Paris, au lieu de se pâmer globalement sur ses derniers textes, elle lui dit ouvertement : « Non, je t’ai dit que je ne voulais pas ce genre de textes, et puis refais-moi les arrangements. »

En finalité cet album est très différent du reste de leur œuvre, et ne rencontre pas forcément le même public. Cependant, il prête à penser qu’ils auraient sûrement renforcé leur complicité dans le futur, en partageant la responsabilité, la co-autorité parentale d’un produit. France n’est plus sa muse, elle est devenue la cocréatrice de l’album.

CHRISTOPHE DANIEL : Et elle n’est même plus tout à fait sa femme !

ALAIN MOREL : Tout à fait, et en même temps cela correspond à l’évolution du statut de la femme dans la société, à ce moment-là. Moralement elle se dit : « Si tu veux continuer comme ça, tu prends tes responsabilités, mais maintenant, je décide aussi ! »

Et parallèlement, elle était déjà partie à la reconquête de sa liberté et de son adolescence perdue en ayant une autonomie de vie au Sénégal dont Michel n’était pas exclu mais en tout cas absent.

Ses séjours à Dakar étaient de plus en plus fréquents, c’était sa maison à elle, il n’y allait quasiment pas. Elle y a trouvé son indépendance et c’était sa réponse aux voyages répétés de Michel à Los Angeles.

Même si leur attachement était viscéral, leur amour était fraternel, mais ils n’ont pas échappé à une certaine lassitude et c’est pour cela qu’ils ont eu besoin de se réoxygéner, alors ils sont partis à l’autre bout du monde, pour chercher l’inspiration. Les Freudiens diront que c’est peut-être pour ces raisons-là que son cœur a lâché.

CHRISTOPHE DANIEL : Justement, c’est dans cette ambiance plutôt sympathique et pleine d’espoir en l’avenir, que Michel a une crise cardiaque alors que vous venez de le quitter. Comment avez-vous vécu cet instant que personne n’attendait, et surtout pas vous ?

ALAIN MOREL : Je ne l’ai pas cru, évidemment, et on ne l’analyse pas sur le moment. C’est après coup que l’on se souvient que quelques jours avant, au cours d’un dîner, dans cette même villa de Saint-Tropez, Michel a fait des déclarations un peu bizarres, en disant qu’il se foutait de la postérité, puis il a évoqué la mort.

Après avoir débarrassé le café, on fait un grand tour de jardin, il me montre l’endroit où des sangliers ont détruit une partie de la clôture et des plantations, la veille. Il me parle de la chanson qui pour lui est un art très éphémère et il est très content d’avoir fait les comédies musicales « Starmania » et « La légende de Jimmy », qui resteront après lui.

S’il en a le temps, il aimerait se retourner vers le cinéma, il a d’ailleurs ce fameux projet de film (ndlr « Totem »). Bref, il me raconte tout ça, comme s’il avait un pressentiment qu’il n’avait plus beaucoup de temps devant lui.

CHRISTOPHE DANIEL : À l’époque, la presse a relaté que son cœur avait lâché après avoir disputé une partie de tennis sous un soleil de plomb, cela s’est-il vraiment passé comme ça ?

ALAIN MOREL : Non ce n’est pas vrai du tout, c’était la fin de la journée, le soleil était retombé, et il a voulu un peu frimer en jouant au tennis en simple, avec deux filles plutôt mignonnes. Ce qui est vrai, c’est qu’il avait oublié de prendre ses médicaments contre la douleur depuis quelques jours. Normalement, si tu oublies de prendre ce genre de médicaments, c’est que tu n’as pas de douleurs, c’est donc qu’il ne souffrait pas. Mais son discours était légèrement plus grave, plus profond, qui peut apparaître comme un pressentiment funeste.

CHRISTOPHE DANIEL : Quand vous terminez l’interview, vous rentrez chez vous, à mille lieues d’imaginer ce qui va se passer, comment apprenez-vous la nouvelle ?

ALAIN MOREL : À ce moment-là, je suis grand reporter pour le Parisien, et j’ai une maison à Hyères qui se trouve à quelques kilomètres de Saint-Tropez. L’interview que je viens de faire est destinée au Parisien, mais aussi pour quelques autres magazines avec qui je collaborais également, mais je voulais surtout le destiner à mon émission de radio (qui s’appelait à l’époque « Radio Services », qui depuis a été rachetée par le groupe NRJ). Une fois l’émission terminée, je rentre chez moi vers 2h du matin, après avoir jeté un coup d’œil au festival de Ramatuelle, où d’ailleurs je pensais revoir Michel et France. Au moment où je les quitte, ils sont en train de se chamailler pour savoir, si après la partie de tennis, ils vont assister à un spectacle de leur ami Étienne Chicot, un ex-guitariste de Véronique Sanson.

Je crois me souvenir que France n’avait pas envie d’y aller, et Michel m’avait dit en partant : « On verra bien qui va gagner ! ».

Quelques heures plus tard, je me trouve au festival, et puisque je ne les vois pas, je me dis en souriant : « Tiens, c’est France qui a dû gagner. »

Forcément, je ne peux pas m’imaginer ce qui s’est réellement passé dans la nuit.

Puis vers 9h du matin, mes collègues du Parisien, qui savent que j’ai passé la journée de la veille avec le couple, commencent à m’appeler pour savoir ce que me fait la mort de Michel. Mon premier instinct est de raccrocher, en me disant que ce genre de blague n’est pas vraiment de bon goût. Je suis encore fatigué de ma journée, qui a terminé tard à Ramatuelle, et je n’ai pas envie de plaisanter. Puis ça continue à sonner avec insistance, je laisse sonner, jusqu’à ce que je me décide à répondre mais de manière très agacée, et là on me dit : « Mais Alain, ce n’est pas une blague, c’est très sérieux ! »

Bien évidemment, je continue de penser que ce n’est pas possible, quand enfin je réalise que c’est véridique, je suis sidéré. À l’image de la France entière, qui en cet été 1992, se repose tranquillement, tout le monde est abasourdi par le choc de la nouvelle, et je vais moi-même mettre quelques temps à m’en remettre.

CHRISTOPHE DANIEL : Vous avez partagé avec eux une grande complicité, comment les avez-vous rencontrés ?

ALAIN MOREL : Par Grégoire Colard, puisque j’étais responsable de la page Variétés du Parisien, pour obtenir une interview du couple, je devais contacter leur attaché de presse officiel, qui est Grégoire. Une amitié s’est créée très rapidement entre nous, et j’ai eu la chance que ça se passe aussi très bien avec le couple. On sait qu’ils ne sont, ni l’un ni l’autre, très amateurs des relations avec la presse, faire des photos pour une promo ça les ennuie fortement. Comme je travaille déjà pour quelques autres magazines, je deviens leur ami journaliste, qui leur permettait de faire une interview pour 10 supports en même temps, ça leur faisait gagner beaucoup de temps, et ils évitaient beaucoup d’ennuis. Il faut dire que je m’entends vraiment très bien avec France en particulier, on rigole beaucoup ensemble. Michel était quelqu’un de très secret, il dissimulait plus facilement ses sentiments. Vous voyez quand dans le livre Grégoire Michel Berger raconte que Michel l’a emmené un jour assister à un concert de Véronique Sanson, dans le dos de France, je trouve que sur ce coup-là, il est plutôt indélicat. France était plus franche. Si vous voulez, pour faire un mauvais jeu de mots, je pourrais la surnommer Franche Gall (rires). C’est vrai qu’elle disait plus facilement ce qu’elle avait envie de dire, si elle n’était pas contente, elle le faisait savoir. Malgré tout, même si je fais bien mon métier, je ne les ai pas épargnés avec mes questions, et pourtant ils se sont rendus très vite compte que j’étais plutôt avenant à leur musique. Quand ils sont contactés par un nouveau journal, ils répondent tous deux systématiquement : « On veut bien, mais c’est Alain Morel qui fait le papier ».

CHRISTOPHE DANIEL : C’est une superbe opportunité pour vous car à l’époque, France et Michel sont très discrets quant à leurs vies privées, on ne parle pas d’eux dans les journaux comme on parle de Sheila et Ringo, c’est une énorme confiance qu’ils ont mise entre vos mains. Quand je pense, par exemple, à la maladie de leur fille ainée, Pauline, qui était atteinte de mucoviscidose, l’info n’a pas été connue du grand public …

ALAIN MOREL : Oui c’est vrai, ils géraient très bien leurs com’, mais pour le cas de Pauline, cela a été une sorte de consensus moral et solidaire de la part de la presse française. On savait, mais on n’en parlait pas, par déontologie et par amitié envers le couple que tout le monde respectait dans le métier. C’est peut-être discriminatoire envers les autres artistes, mais je peux vous dire que la qualité du travail de Michel étant tout de même plus créative et sûrement plus dense que cette variété dont vous me parlez, cela amenait une autre forme de respect chez les journalistes envers Michel et France, que Sheila et Ringo n’avaient pas.

C’est triste à dire, mais c’est la pure vérité, et sûrement au détriment d’un personnage tout à fait intéressant en ce qui concerne Sheila. Seulement à l’époque, les journalistes n’avaient pas trop de respect pour son travail, mais ils en avaient pour France Gall, ce qui donnait des interviews plus étoffées de par les thèmes que Michel lui faisait chanter. Pour faire une comparaison avec aujourd’hui, les p’tits nouveaux qui sortent de « La nouvelle star », ne sont pas traités de la même manière, selon la qualité du produit qu’ils nous offrent quand ils sortent de l’émission, ainsi que sur l’originalité du personnage. On ne parle pas à Julien Doré et à Christophe Willem comme on parle à Jonathan Cerrada par exemple.

CHRISTOPHE DANIEL : D’être aussi perfectionniste ne l’a pas empêché d’être boudé par l’intelligentsia parisienne. De par son éducation plutôt bourgeoise, Michel a été longtemps attristé de ne pas être reconnu par ses pairs en quelque sorte ; puis Françoise Giroud a changé la donne en écrivant dans Le Monde qu’elle adorait Cézanne peint, comment décrivez-vous ce moment de grâce pour lui ?

ALAIN MOREL : C’est vrai que jusque-là, il avait le sentiment qu’une partie de sa classe ne le reconnaissait pas. Cela étant, il ne se prenait pas non plus pour le Victor Hugo de la chanson, et objectivement il ne l’était pas. On n’a pas la même richesse d’écriture chez Michel que chez Léo Ferré par exemple, ou qu’un Alain Souchon qui a vraiment une plume hallucinante parce qu’avec des mots modernes il exprime des sensations. Michel était conscient qu’il était d’une qualité au-dessus de ce que faisait Sheila, qui faisait rimer amour avec toujours, mais ce n’était pas un auteur à tomber par terre, non plus. Il avait le sens de faire rimer des mots simples sur de très belles mélodies.

CHRISTOPHE DANIEL : Quand on lit les principaux témoignages des gens qui ont connu Michel, on a l’impression à travers leurs dires qu’il ne se mettait jamais en colère ; d’après Grégoire Colard, il ne faisait que susurrer des mots d’agacements quand quelque chose n’allait pas. L’avez-vous déjà vu énervé ?

ALAIN MOREL : Oui, je l’ai vu à trois ou quatre reprises s’énerver dans l’exercice de son métier, en studio principalement quand il n’arrivait pas à obtenir le son qu’il espérait. Je l’ai vu aussi chez lui, s’agacer quand France en faisait trop, parce qu’elle faisait trop de bruit, ou qu’elle rigolait trop fort. Il faut dire qu’elle était assez maniaque, et lui était plutôt lunaire, elle l’appelait Le Professeur Tournesol, ce n’était pas pour rien. Autant dans les dernières années, je l’ai vu et entendu se révolter et lui dire calmement « Bon ça va maintenant, tu fais chier ! » (rires), mais ça c’était Michel.

CHRISTOPHE DANIEL : Une question difficile, toutefois intéressante, quel aurait pu être l’avenir de Michel et de France, s’ils étaient partis ensemble en tournée, durant l’année 93, comme prévu ?

ALAIN MOREL : Je pense que Michel aurait arrêté la chanson, il aurait peut-être encore réalisé un dernier album pour lui, histoire de dire adieu sans avoir l’air de le dire. De toute façon, tout aurait dépendu à la fois du succès de l’album « Double jeu », et de leur entente sur la tournée. Bizarrement, je pense que s’il n’y avait pas eu de succès avec cet album, ils se seraient sûrement séparés, et elle serait partie de son côté faire un autre album avec un Goldman par exemple. Par contre, si l’album avait eu du succès du vivant de Michel, ils auraient continué ensemble, et se seraient replongés dans une véritable vie de couple, puisque tout aurait été mieux entre eux, ils auraient retrouvé l’équilibre et la parité qu’ils recherchaient.

Je pense que France aurait aussi refait un album en solo, sous l’égide de Michel, producteur, mais avec d’autres auteurs-compositeurs, et peut-être même avec des tentatives de sa propre écriture.

Magazine : Nos tendres et douces années
Date : Septembre 2011
Numéro : HS 12

Directrice de la publication : Liliane Boyer
Rédacteur en chef adjoint : Christophe Daniel
Ont collaboré à ce hors-série : Liliane Boyer • Claudine Levanneur • Christophe Daniel • Romain Decosne • Jean Prieur

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