Alain Morel : On ne vous a pas vue depuis longtemps, comment ça va ?
France Gall : Maintenant … ça va bien.
Vous revenez avec un album consacré à Michel Berger et vous dites dans le dossier de présentation : « A quoi sert cet album ? A me rendre heureuse, finalement. » Que cache ce « finalement » ?
France Gall : Ce « finalement » raconte l’expérience professionnelle passionnante mais difficile que je viens de vivre. J’avais une vision très précise et très déterminée de ce disque. La faire comprendre à des producteurs à la fois masculins et américains ne fut pas simple. Ils avaient craqué pour les chansons de Michel, mais ils ne connaissaient rien de son univers. Je passais mon temps à les empêcher de m’emmener là où ils le voulaient eux. Je parlais mal leur langue. Il m’a fallu des mois pour parvenir à la simplicité et à l’unité que je recherchais. Y être parvenue à quatre-vingt-quinze pour cent est une bonne raison de me sentir heureuse.
« J’allais pas lâcher comme ça, même s’il était mort », dites-vous en évoquant Michel. Lâcher quoi, pour être plus précise ?
France Gall : L’œuvre de Michel. C’est le patrimoine qu’il nous a légué, à moi, à ses enfants et au public.
A l’écoute du disque, on a l’impression que vous n’avez jamais été autant en osmose avec lui …
France Gall : C’est vrai. Maintenant qu’il ne nous reste plus que la musique à partager, il est normal que l’on ressente très fort cette osmose. Mais elle est née il y a longtemps. La première fois que j’ai entendu l’un de ses disques, ce fut une révélation, un éblouissement. Aujourd’hui, plus investie que jamais dans le travail de studio, en ajoutant beaucoup de moi-même à ses chansons, c’est un peu comme si elles venaient de moi.
Après la mort de Michel, vous aviez dit que faire de la scène vous permettait de renaître. Comment, depuis un an et demi, expatriée aux Etats-Unis, avez-vous pu vous en passer ?
France Gall : Après la renaissance, il reste à vivre. Et ma vie n’est pas sur scène même si, face au public, l’amour est là, réconfortant, comme un résultat immédiat,
C’est à Los Angeles que Michel avait écrit votre album « Double Jeu ». Est-ce la raison de votre choix d’aller passer sept mois là-bas ?
France Gall : On est souvent allé travailler là-bas ensemble. Sans y faire de la musique, l’endroit est un peu vide. (Sourire.) Mais j’adore la lumière des lieux. Et puis Je ne voulais pas me retrouver dans une ville verticale.
Pourquoi n’êtes-vous pas revenue avec, comme prévu, quelques titres en anglais sous le bras ?
France Gall : Tim Rice a bien eu la gentillesse de m’adapter quelques textes, mais, finalement, je ne les ai pas enregistrés. En fait, j’ai du mal à articuler en anglais. (Sourire.) Et puis je me suis dit : « A quoi ça servirait ? » Je ne me vois pas vraiment réussir aux Etats-Unis. Les Américains sont imbattables sur leur terrain. Et, de toute façon, je n’ai pas envie de passer là-bas tout le temps que cela m’imposerait. Par contre, il se pourrait bien que je produise un jour un disque des musiques de Michel chantées par des Américains.
Les musiciens et les quatre producteurs de votre album, dont Marcus Miller (ex-bassiste et producteur de Miles Davis) et Rickie Peterson qui réalise huit titres, c’est vous qui les avez choisis ?
France Gall : Oui. Tout est parti de ma rencontre à Pesley Park avec Rickie qui travaille avec Prince depuis l’âge de dix-neuf ans. Il a d’abord produit la nouvelle version des « Princes des villes » que j’avais ajoutée en bonus sur mon double album live de Bercy.
« Plus haut » est le premier titre de l’album et du single deux titres. Symbolique ?
France Gall : C’est la chanson qui légitime le disque, qui le présente en brossant un portrait de Michel. Je suis follement heureuse que Jean-Luc Godard ait accepté d’en réaliser le clip.
Les autres chansons, sur quels critères les avez-vous retenues?
France Gall : Sur leurs textes. Selon ce que j’ai envie de dire aujourd’hui. Sur leur universalité et leurs différents styles. En fait, j’ai voulu démontrer l’étendue du talent de Michel.
Son répertoire n’étant pas inépuisable, pensez-vous qu’un jour vous serez l’interprète de quelqu’un d’autre?
France Gall : Mais si, il est inépuisable. (Sourire.) Le trésor est encore immense. Michel a écrit quatre cent cinquante chansons. Je les ai toutes réécoutées. Je vous jure que le choix a été difficile.
Existe-t-il encore des chansons inédites ?
France Gall : Je ne crois pas et je ne veux pas chercher car je sais que tout ce qui lui plaisait de ce qu’il ‘avait écrit est sorti.
Aujourd’hui, au-delà de ses chansons, que vous reste-t-il de Michel ?
France Gall : Tout ce qu’il m’a donné. Notamment la force qui m’anime.
On vous dit amoureuse de quelqu’un d’autre ?
France Gall : Seul le temps répondra à cette question. Il y a trois ans et demi que Michel est parti. Je n’ai pas envie de me cacher si je peux avoir du bonheur avec quelqu’un. Mais il faut de la patience pour savoir si cette personne deviendra essentielle.
Votre album s’intitule seulement « France » …
France Gall : Ce titre s’est imposé à la fin, comme une évidence. C’était tout simple. A l’image du disque. C’est mon premier album toute seule.
France Gall Nouvel album : “France”, et single deux titres : “Plus haut” (disques WEA). Sortie demain.
Magazine : Le Parisien Yvelines
Par Alain Morel
Numéro du jeudi 28 mars 1996
Numéro : 16038
Merci à Elisabeth.