France Gall au paradis blanc

Édito par Katia Alibert, rédactrice en chef adjointe.

Triste dimanche

Je me souviens. J’étais jeune, je partageais ma chambre à coucher avec ma sœur. On attendait que toute la maisonnée soit plongée dans le noir. Alors, mon aînée glissait dans son radiocassette, reçu à Noël, une compilation des meilleurs titres de France Gall, elle baissait le son et passait en boucle Si, maman si, sa chanson préférée. Je ne bronchais pas, j’écoutais en silence les paroles écrites par Michel Berger; mon esprit vagabondait. Je connaissais les refrains par cœur; ils me berçaient et j’imaginais ma vie dans les années à venir. Le pouvoir magique des mots mis en musique. C’était au siècle dernier. Il y a une éternité. En apprenant la disparition de France Gall, j’ai comme beaucoup d’entre vous définitivement tourné la page de mon enfance, des heures heureuses. Elle s’est refermée tristement, un dimanche gris, un dimanche d’hiver. France Gall, ce petit bout de femme, dont la vie a balancé entre l’amour et le désespoir, a rejoint son époux Michel Berger et leur fille Pauline. Malgré les mauvais tours que lui jouait la vie, elle a longtemps tenu debout, silencieuse, forte et courageuse. Un modèle. France Gall restera pour moi et pour vous je l’espère, « comme une gaieté/ Comme un sourire / Quelque chose dans la voix / Qui paraît nous dire « viens » / Qui nous fait sentir étrangement bien. »

Merci, France.

France Gall au paradis blanc

Un peu plus d’un mois après Johnny Hallyday, France Gall a rejoint Michel Berger et leur fille Pauline dans leur « Paradis blanc ». A 70 ans, l’inoubliable interprète de Résiste, Si, maman, si, Évidemment … nous a quittés ce dimanche 7 janvier au terme d’une longue hospitalisation à l’hôpital américain de Paris, « après avoir défié depuis deux ans, avec discrétion et dignité, la récidive de son cancer » a indiqué sa chargée de communication et fidèle complice Geneviève Salerne. Une formidable artiste, une égérie incroyable, une mère courage, une combattante qui forçait notre respect. G.P.

Avec Michel Berger l’amour en musique

Indissociables. Pendant deux décennies, ils ont écrit les plus belles pages de la chanson française. Mais pas seulement. En s’unissant corps et âme, la blonde interprète et le ténébreux auteur-compositeur ont en effet traversé les épreuves main dans la main. Un couple si fusionnel qu’après la mort de Michel Berger en 1992, France Gall a préféré laisser tomber le micro.

France Gall habitait alors encore chez ses parents, avenue Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement, à Paris. Son compagnon s’appelait Julien Clerc. Si ce dernier est au faîte de la gloire au début des années soixante-dix, la chanteuse est au creux de la vague, oubliée, avec l’infamante étiquette « yéyé » collée au front. Complètement paumée, elle galère, ne sait plus quoi penser des textes et des musiques souvent banales qu’on lui propose. Un jour de 1973, elle entend à la radio Michel Berger chanter « Attends-moi ».

Elle adore, et se souvient que deux ans plus tôt, il lui avait déjà proposé des chansons, écrites avec Véronique Sanson. Elle n’avait pas osé, ne s’en était pas sentie capable.

La donne a changé. Désormais, elle veut absolument que Berger écrive pour elle. Démoli par sa rupture brutale avec Sanson qui l’a quitté du jour au lendemain pour se marier avec l’Américain Stephen Stills, l’esthète n’est pas très chaud. Dans le fond, il n’a que mépris pour l’artiste qui a entonné ce Sacré Charlemagne qu’il déteste. Elle fait le forcing. Après l’avoir croisé dans les studios d’Europe 1, elle lui fait livrer des petits déjeuners dans son appartement de la rue de Prony, dans le 17e arrondissement, où il se morfond, éteint, sa carrière au point mort. Elle lui demande son avis sur quelques chansons qu’elle pourrait interpréter ? Il les trouve nulles.

En revanche, il commence à succomber au charme désarmant de France, son mètre 60, sa chevelure blonde, son regard noisette. Et puis il se souvient des propos de Serge Gainsbourg expliquant au mitan des années soixante : « Chaque fois que je fais un disque, j’en vends dix mille. Quand j’en fais pour France Gall, j’en vends un million ! »

Leur association commence doucement. Tout d’abord, il est en manque d’une voix féminine pour sa chanson « Mon fils rira du rock’n’roll ». En l’absence de Véronique Sanson et échaudé par une collaboration délicate avec Françoise Hardy, va pour celle de France. La chanteuse en veut davantage. Elle insiste encore, lui explique qu’il doit la réinventer, la faire renaître. Il lui fait alors enregistrer en 1974 « « La déclaration d’amour et son « Quand je suis seule et que je peux rêver / Je rêve que je suis dans tes bras/ Je rêve que je te fais tout bas/ Une déclaration, ma déclaration … » qui scelle leur union à la fois charnelle et artistique.

France Gall s’est enfin trouvé un nouveau pygmalion, Michel Berger une nouvelle égérie. Ils se marient le 22 juin 1976 et, désormais, la musique se joue en famille. Deux enfants naissent – Pauline, en novembre 1978, et Raphaël, en avril 1981 – comme une multitude de tubes, des modèles de groove à la française tels que « Musique », « Il jouait du piano debout », « Viens je t’emmène » », ou encore « Tout pour la musique ». Elle remonte même sur scène, participe à l’aventure Starmania, et le couple s’investit à fond dans le charity-business en vogue ces années-là.

Pendant l’été 1992, Michel Berger est foudroyé par une crise cardiaque. A l’époque, leur mariage battait de l’aile, Berger projetait même de s’installer à Los Angeles avec Beatrice Grimm, un mannequin allemand. Il n’empêche. Jusqu’au bout, elle revendiquera son héritage, lui clamera son amour. Celui, en fait, d’une groupie qui admirait plus que tout ce garçon qui se plaisait à jouer du piano debout.

Sébastien Catroux

Une mère courage

Elle a toujours dit qu’elle arrêterait de chanter à 50 ans. La vie l’a cruellement entendue. En 1997, l’interprète de « Poupée de cire, poupée de son », maman de Raphaël, perd sa fille Pauline, 19 ans, emportée par la mucoviscidose. Un drame qui survient cinq ans après la disparition brutale de Michel Berger, à 44 ans.

« J’ai tout de suite voulu être la maman qui réussit le mieux au monde à intégrer d’avoir perdu un enfant, parce que sinon on est foutu », confiera-t-elle.

Le 7 janvier, c’est dans les bras de Raphaël, son fils de 36 ans, que l’icône yéyé s’est en allée.

Bruck, son dernier amour

Son nom ne vous dit probablement pas grand-chose et pourtant Bruck Dawit partageait la vie de France Gall depuis plus de vingt ans. Discrètement. Respectueusement. Amoureusement. Ils se sont rencontrés trois ans après la mort de Michel Berger. Bruck était déjà ingénieur du son, compositeur, arrangeur. Une référence dans le métier. Un bel homme, né en Éthiopie, et qui a notamment collaboré avec les plus grands : Prince, Michael Jackson, Bruce Springsteen, les Rolling Stones.

A l’époque, France est en vacances avec ses enfants Pauline et Raphaël, en Californie, lorsqu’elle croise sa route chez des amis communs. La chanteuse panse ses plaies, sa vie amoureuse n’a pas toujours été simple. Mais de cette rencontre fortuite, naît une tendre complicité professionnelle. L’amour viendra par la suite. Cupidon fera des heures sup’. Un an plus tard, ils travaillent ensemble sur France, un album de reprises des compositions de Michel Berger qu’ils enregistrent en partie à Paisley Park, les studios de Prince dans le Minnesota. Le disque se vendra à plus de 300 000 exemplaires. Il sera le dernier enregistrement original, la dernière création discographique de la chanteuse. Car, très vite, un drame rattrape France Gall. Sa fille succombe à la mucoviscidose.

Elle ne souhaitera plus chanter. Plus l’envie. L’envie de disparaître. Le monde s’écroule. Sa vie bascule. Mais Bruck sera à ses côtés. Ensemble, ils affronteront ce drame cruel, insoutenable. Petit à petit, elle retrouve goût à la vie. En Afrique où elle se reconstruit. Souvent loin de Paris qui lui rappelle de trop mauvais souvenirs. Bruck n’est jamais loin d’elle. Une épaule sur laquelle elle peut enfin s’épancher. Ensemble, ils se fixent de nouveaux objectifs. Pour croire à nouveau en la vie. Ensemble, ils écrivent la comédie musicale Résiste, en hommage à Michel Berger dont la première a lieu en novembre 2015. C’est un triomphe. La presse est dithyrambique, France suit cela de très près. Pointilleuse. Professionnelle jusqu’à l’extrême. Bruck savoure dans l’ombre ce succès. Comme à son habitude. Il n’apparaît dans aucun reportage. Il n’accorde aucune interview. C’est leur modus vivendi.

Le couple qu’elle formait avec Michel Berger occupait sans cesse les feux des projecteurs. Avec Bruck, il lui fallait un amour discret. Tout au long de ces années, cet homme a accompagné France sur le chemin sinueux de la vie. Pendant son hospitalisation à l’hôpital américain de Paris, il ne l’a pas quitté des yeux. Évidemment.

Gaëlle PLacek

Tout pour la musique

Le palais omnisports de Paris-Bercy, le Zénith, la salle Pleyel … avant sa dernière apparition sur scène, en 2000, à l’Olympia à Paris, pour interpréter « Quelque chose de Tennessee », une chanson écrite par Michel Berger qu’elle interprétait alors en duo avec Johnny Hallyday, France Gall avait chanté dans toutes les salles de France, devant tous les publics. Toujours avec entrain et générosité, sans jamais s’économiser.

Made in France

Elle fut leur préférence.

Sa voix, ses allures d’éternelle jeune fille, ses cheveux blonds les séduisaient. Elle avait ce « supplément d’âme, cet indéfinissable charme, cette petite flamme », qui inspirent les plumes et enflamment les cœurs. Serge Gainsbourg lui écrivit les titres qui firent d’elle une star des yéyés.

Avec Claude François, elle vécut une histoire très « je t’aime moi non plus ». Pour elle, il composa « Comme d’habitude ».

Une légende. Avec Julien Clerc, ce fut l’amour des 20 ans où les sentiments riment avec toujours et douleur. Itinéraire d’une femme que les hommes aimaient tant.

Été 1964. France Gall a 17 ans, Claude François, 25. Elle est mineure, lui est un homme marié à Janet Woollacott.

Coup de foudre et début d’une histoire passionnelle entre ruptures et retrouvailles. En 1965, la chanteuse est choisie pour représenter le Luxembourg à l’Eurovision. Claude, jaloux, ne le supporte pas. Ne lui a-t-il pas déjà interdit de jouer dans un film avec Alain Delon ? France remporte le concours, son amoureux est furieux et lui annonce par téléphone : « Tu as gagné. Mais tu m’as perdu. »

Août 1967, ils se séparent définitivement Claude est seul au moulin de Dannemois, dans l’Essonne. Il est dévasté par la fin de cette romance. Il songe au premier refrain d’une chanson : « Je me lève et je te bouscule. »

Ainsi nait Comme d’habitude, écrite pour ne jamais oublier France.

Une part de ma vie s’en va avec toi – Julien Clerc

Après Claude François, France Gall tombe sous le charme de Julien Clerc. Nous sommes dans la France d’après mai 68, la chanteuse est au creux de la vague, Julien Clerc joue dans la comédie musicale « Hair », il plait aux femmes, France en souffre.

Ils s’aiment depuis 1969 en secret, s’offrent une maison en Bourgogne, se séparent, renouent. France rêve de mariage, d’enfants, Julien n’est pas prêt. Elle le quitte en 1974. Leur rupture inspirera à Julien le titre « Souffrir par toi, n’est pas souffrir. »

Aujourd’hui, dans un tweet, il écrit : « France, nous avions 20 ans, des bonheurs, des chagrins. Une part de ma vie s’en va avec toi. »

L’Afrique, sa terre d’asile

« La Française, la plus sénégalaise est décédée », titre Dakar Actu.

C’est là, à Dakar, au Sénégal, loin du star système que la chanteuse aimait se ressourcer, trois mois par an. Sur l’île de Ngor. « Après la perte de Michel, puis celle de ma fille, j’ai aimé la façon dont les femmes m’ont accueillie, sans un mot, en se couvrant le visage du pagne de leur boubou. J’ai trouvé magnifique cette façon de montrer leur peine », confiera cette dernière. Cet amour, la chanteuse leur rendra au centuple.

Bienvenue chez France Gall

Entre l’artiste et Gala, une véritable histoire d’amitié s’était créée.

Matthias Gurtler, rédacteur en chef du magazine, avait été reçu plusieurs fois chez elle. Il se souvient de son univers extraordinaire.

Il y avait France et il y avait Isabelle ou Babou. Il y avait France Gall et il y avait Isabelle Hamburger. Il m’est arrivé plusieurs fois de lui rendre visite dans son appartement parisien près du parc Monceau pour l’interviewer. L’interphone affichait Hamburger, le véritable patronyme de Michel Berger. Ce n’était généralement pas elle qui répondait ou qui ouvrait la porte. Elle aimait vivre entourée. De ses amies et surtout de Bruck, le musicien américain qui partageait sa vie. Au sommet de cet immeuble haussmannien, elle vivait hors du temps et en perpétuel décalage horaire. A 18 heures, c’était l’heure du déjeuner!

Elle était la femme forte, la femme de caractère qui avait surmonté tant de choses, elle demeurait l’artiste qui écoutait tout, regardait tout à la télé, sur le Net … mais elle ne voulait plus vivre comme France Gall. Elle ne voulait plus le stress et la pression des projecteurs. Quand elle était à Paris, elle faisait désormais venir le monde à elle. Pour se préserver le plus longtemps possible. Et le monde, ce n’était pas le showbiz. Non, à Paris, France n’était pas une mondaine. Fini les dîners que Michel et elle aimaient organiser avec le tout-Paris intellectuel dans les années quatre-vingt.

Pouvoir passer de longs moments avec elle, Bruck et Ginou, son attachée de presse, restera un souvenir fort. A chaque fois que je repartais, j’avais le sentiment d’avoir croisé une guerrière, une chef de village comme elle pouvait en côtoyer dans son Sénégal adoré.

France avait tout vécu, elle avait acquis cette sagesse qui en impose. Elle gardait pourtant ce rire d’enfant, cette excitation quand elle me parlait d’un peintre, d’un photographe ou d’un match de foot (elle les suivait tous devant son écran). La décoration de son appartement était à son image: iconoclaste ! C’était un monumental graffiti qui vous accueillait. Une ambiance new-yorkaise qui laissait place à autre chose une fois gravi le petit escalier. Dans le salon, il y avait le piano noir de Michel. Toujours là et seule tâche sombre de cet intérieur multicolore où tout rappelle l’Afrique : le tissu du canapé, ces photos de visages peints en Éthiopie, d’Hans Silvester. Sur l’écran géant du salon défilaient des images de paysages sublimes. France aimait se brancher sur la chaîne MyZen.tv. Son appartement parisien était un cocon, une parenthèse slow dans un monde speed où seul le chat, Addis, semble vivre à cent à l’heure.

Quand en 2012, France nous avait fait l’honneur d’être le rédactrice en chef d’un numéro si spécial, elle avait signé l’édito en écrivant ceci : « Une règle : on ne parle pas des sujets qui fâchent, et c’est tant mieux! Pas de photos violentes, mais des plages et des filles sublimes avec toutes les nouveautés que le monde esthétique nous propose; de temps en temps un peu de douceur dans ce monde pas toujours facile est le bienvenu. »

De le douceur et de la bienveillance … voilà résumée en deux mots celle que l’on appelait France Gall. Cette même bienveillance que j’avais pu mesurer l’une des dernières fois où elle était montée sur scène, au Palais des sports à Paris. Nous étions le 17 novembre 2015 … juste après le drame du Bataclan. Sa comédie musicale Résiste écrite avec Bruck Dawit se rejouait après trois jours d’arrêt. En fin de spectacle, France a rejoint la troupe face au public, un papier à la main.

« On a voulu nous enlever ces moments de bonheur, eh bien, c’est raté. Résistons tous ensemble ! » Une philosophie de vie là encore résumée en quelques mots. France avait personnellement résisté à bien des épreuves et notamment à ce cancer du sein. Dans la vie, elle était un peu mystique … comme ce jour où elle me parla de cette certitude qu’elle avait de pouvoir communiquer avec ce paradis blanc. Elle avait préféré qu’on efface ces mots de son interview … de peur de passer pour une illuminée. Aujourd’hui on espère que ses proches, son fils Raphaël, Bruck son compagnon, Geneviève, Annie, Nan … toutes ces femmes qui l’entouraient au quotidien continueront à faire vivre son œuvre et son énergie « made in France ». Matthias Gurtler

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Magazine : Gala
Par Katia Alibert / Sébastien Catroux / Gaëlle Placek / Matthias Gurtler
Photos couverture Marianne Rosenstiehl / Thierry Boccon-Gibod
Date : 10 janvier 2018
Numéro : 1283

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