France Gall a tourné la page
(Presse ) Le soir illustré

En apparence, elle n’a pas changé. Avec sa jolie tête de petite fille, sa voix juvénile, très douce et haut perchée, avec son sourire éclatant de fraîcheur et ses cheveux dorés, France Gall incarne toujours l’image même d’une « petite sirène ».

Pourtant, qui oserait affirmer que cette « éternelle gamine » a trente ans et qu’elle s’apprête à fêter cette année ses quinze ans de carrière ? Pour France, cet anniversaire a une signification un peu particulière, elle veut démontrer que la France Gall 1978 n’a plus rien de commun avec l’adolescente de “Sacré Charlemagne”.

C’est sur l’île de Noirmoutier, longue de 19 km et large de 7, paradis des pêcheurs et des touristes, que naît le 9 octobre 1947, Isabelle, fille cadette de Mr et Mme Robert Gall.

« Il faut bien le reconnaître, avoue France, je n’ai pas été l’enfant la plus sage, ni la plus obéissante, ni la plus travailleuse, ni la plus affectueuse, non ! »

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, tout le monde m’a toujours appelé « Babou », diminutif curieusement dérivé de mon vrai prénom : Isabelle. Quand on dit Isabelle, on pense immédiatement Moyen Age, châteaux forts, croisades, troubadours, tournois, et longs séjours silencieux au haut d’un donjon, attendant le prince charmant. Tandis que « Babou », ça ne chante pas à l’imagination, ça hurle aux oreilles. « Un Babou », c’est un pitre, un diable, une sorte de petit animal vociférant, agité et braillard, qui ne tient pas en place et veut bouleverser la terre entière par ses exigences. »

Lorsque l’on naît dans la musique de variétés, que l’on a un papa qui a écrit les plus belles chansons d’Edith Piaf et qui détient le record des droits d’auteur avec « La Mamma », chanson composée en collaboration avec Charles Aznavour (5 millions de disques vendus à travers le monde), lorsque l’on a un frère aîné, Patrice, mannequin, mais doué pour l’écriture et le chant, que voulez-vous faire, sinon entreprendre une carrière artistique ?

« Cela s’est passé le plus bêtement du monde, un soir que je grattais les cordes de ma guitare, mon père qui connaît bien les gens du métier, me conseilla de jouer et de chanter plus souvent. Il me conduisit chez un ami, professeur de chant afin de « tester » ma voix. Ma mère était scandalisée. Sa fille chanteuse, courant les cachets et les cabarets, quelle horreur ! J’ai tenu bon, mon père aussi. Et mon premier disque est sorti en 1963 avec un titre qui eut tout de suite du succès : « Ne sois pas si bête ». C’était il y a quinze ans déjà.

« Dans toute la France, on n’entendait plus que ça, un air nouveau qui nous vient de là-bas ! ». Les guitares électriques encore mal accordées des « Chats sauvages » et des « Chaussettes noires » couvraient le son des violons ou de l’accordéon, les écoliers n’hésitaient pas à « sécher » les cours pour se rendre au Golf Drouot pour écouter l’émission « Salut les copains » sur Europe 1.

En grandissant, les enfants de l’après-guerre vont s’inventer une musique, une mode, un vocabulaire. Les professionnels du show business ne restent pas insensibles face à cette masse de jeunes qui constituent un nouveau potentiel économique non encore utilisé.

C’est le temps des « yéyés », l’ère des idoles et des copains bat son plein ! Johnny Hallyday, Claude François, Richard Anthony et Danyel Gérard font la « une » de la presse des jeunes nouvellement créée. Du côté des chanteuses, ça bouge également. Les valeurs sûres comme Dalida sont contestées et détrônées par de nouvelles venues qui ont toutes un point commun : leur jeune âge ! Françoise Hardy (19), Sylvie Vartan (17), Sheila et France Gall (16).

Le succès du premier 45 tours de France Gall est encourageant, il lui faut à présent trouver une chanson « aussi forte », qui lui permette d’atteindre les sommets des hitparades et de faire son entrée dans le peloton de tête des vedettes « yéyé». Cette chanson, c’est Mr Robert Gall en personne qui la lui écrira et en l’espace de quelques semaines

« Sacré Charlemagne » deviendra une nouvelle « Marseillaise » des cancres que des millions de jeunes Français reprendront en chœur. L’année suivante, la rencontre avec Serge Gainsbourg va s’avérer déterminante pour la suite de la carrière de France Gall. Né à la chanson bien avant le raz de marée du « yéyé », Gainsbourg se convertit dans la « variété jeune ». « J’ai retourné ma veste, le jour où j’ai compris que celle des « yéyés » était doublée d’hermine », avoue-t-il à l’époque.

« J’avais dix-sept ans et le personnage de Gainsbourg me terrifiait ! raconte France. Serge affectait déjà les cols ouverts, le menton pas rasé et la fumée de cigarette dans les yeux. A chaque fois qu’il me proposait de nouvelles chansons, il m’invitait au restaurant, j’étais complètement paniquée. Lorsqu’il m’adressait la parole, je ne parvenais que difficilement à lui répondre ! »

Pourtant c’est ce même Gainsbourg qui à Rome, en 1965, lui permettra de remporter le 10e Grand Prix Eurovision de la Chanson, avec « Poupée de cire, poupée de son ».

« Je ne m’attendais pas du tout à cette victoire, déclarait France à l’époque. Pendant les votes, mon attachée de presse et moi-même étions parties nous désaltérer dans un bar derrière le théâtre où se déroulait le concours. Après quelques minutes, mon attachée de presse m’a dit qu’il serait temps de regagner les coulisses, les votes doivent se terminer. Lorsque j’ai réintégré ma loge, j’ai été assaillie par une meute de journalistes et de photographes, je venais de remporter l ‘Eurovision. »

« Gagner l’Eurovision, pour une jeune chanteuse, c’est très important. Du jour au lendemain, l’Europe entière connaît votre visage, votre voix et fredonne votre chanson. On voyage énormément et on fait beaucoup de bêtises ! »

De 1965 à 1972, France interprète avec un talent certain, et plus ou moins de succès, les chansons qu’on lui propose : « N’écoute pas les idoles », « Les sucettes », « Bébé Requin », « La guerre des chansons » et puis … le silence.

Les auteurs conditionnés par son physique de « femme-enfant » et par sa voix ne parviennent pas à lui donner une nouvelle dimension. Les comptines puériles et les chansonnettes ingénues qui avaient fait son succès finissent par devenir sa propre prison. Elle qui a dix-huit ans avait connu la popularité qu’un Claude François n’atteindra qu’à trente, les tournées frénétiques à travers toute la France, les tubes que l’on s’arrache par centaines de milliers d’exemplaires, est passée de mode.

France, mal dans sa peau et dans sa voix, comprend que le moment est venu de tourner la page, de faire le point. Mais le problème quand on veut chanter autre chose que des mélodies stéréotypées, c’est de trouver des chansons suffisamment riches et fortes pour concerner tout le monde. Elle se tourne vers le tandem Julien Clerc-Etienne Roda-Gil qui lui écrivent deux chansons sur mesure. Mais le changement de style est trop brutal et le public reste insensible à la nouvelle France Gall.

« Dans le temps, je faisais n’importe quoi. Ce qu’on me proposait, en fait. A chaque disque, on me donnait un nouveau directeur artistique. On ne me demandait pratiquement pas mon avis. Il faut avouer que je ne savais pas du tout ce que j’avais envie de faire. La seule chanson que j’ai choisie, c’était « Poupée de cire, poupée de son », et encore, je n’avais pas fait attention aux paroles. » Après ma période « petite vedette », je me suis retirée à la campagne. Je vivais avec mes animaux, portais de grandes robes romantiques et j’habitais une cage dorée où je pouvais me livrer à mon passe-temps favori : la décoration. De temps en temps, je rentrais à Paris, pour participer à quelques émissions de radio et de télévision, ensuite je retournais à ma bassecour. »

Pendant ces deux années de réflexion, France Gall partage son temps entre sa ferme en Bourgogne, l’appartement de ses parents, avenue Victor Hugo, son duplex de Saint-Cloud et la maison familiale de Noirmoutier, qui donne sur un ravissant port de pêche, doublé d’un mini-port de plaisance, où le père de France possède un voilier de dix mètres de long. Elle adore passer les mois d’été à Noirmoutier, car c’est pour elle l’occasion de retrouver à cette époque de l’année sa famille ordinairement dispersée aux quatre coins de la France. Lorsqu’elle est chez elle, France adore mijoter des petits plats, les tartes aux poireaux et la pissaladière sont ses deux spécialités. Elle aime la cuisine comme elle aime s’occuper de sa maison avec amour, totalement et sans retenue. Qu’elle chante, qu’elle cuisine, ou qu’elle décore, France Gall se donne entièrement à ce qu’elle fait, un trait de caractère qui révèle une manière de vivre.

C’est dans les couloirs d’Europe 1, fin 1973, que France va rencontrer la seconde personne qui va influencer favorablement sa carrière. Ce soir-là, elle participe à l’émission « Cinq, Six, Sept » animée par Jacques Ourévitch. A la fin de l’émission, un garçon l’aborde et lui déclare : « Ce que je vous ai entendu raconter à la radio était stupide, je tenais à vous le dire ! »

Ce garçon, c’était Michel Berger, un musicien de talent, à l’inspiration fertile et très caractéristique. Dès l’âge de cinq ans, cet amoureux de Chopin et des Beatles, rêvait d’être chef d’orchestre.

Ne se juchait-il pas sur un tabouret devant une glace pour diriger « La Petite Musique de nuit », de Mozart – sans jamais penser qu’un jour il pourrait faire de la musique sa principale démarche. A dix-sept ans, il découvre Ray Charles et c’est pour lui la confirmation que la musique dite de « variétés » peut être autre chose qu’une soupe rapidement préparée pour la grande consommation.

« J’étais à la fois vexée et heureuse de rencontrer quelqu’un qui semblait s’intéresser à moi. J’ai tenu à prolonger cette conversation. Et Michel ne m’a pas ménagée. Il m’a déclaré que je ne chantais que des chansons futiles et d’autres gentillesses du même genre. Je lui ai demandé s’il voulait m’écrire des chansons. Il a refusé. A son avis, j’avais un passé trop lourd.

Mais France insiste et Michel Berger finit par accepter. Après avoir entièrement modelé Véronique Sanson et l’avoir fait découvrir au public français, après avoir remis sur les rails Françoise Hardy, France allait devenir sa grande passion … musicale. Elle commence par donner la réplique à Michel dans « Mon fils rira du rock’n’roll ». France découvre que le style « Berger » colle à sa nouvelle personnalité et surtout colle à sa voix, Berger s’enthousiasme devant les merveilleuses possibilités vocales insoupçonnées de France Gall. Il se met au travail. Résultat : deux merveilleuses chansons, « La déclaration » et « Si je pouvais parler ». Aucun professionnel ne croit au « retour » de France Gall et n’accepte de produire le disque. Pour enregistrer les compositions de Michel Berger, France devra investir ses propres deniers.

« Ce disque, c’était le mien, totalement. Je me suis donc intéressée aux textes, aux mélodies, aux arrangements, aux mixages. Tout en faisant confiance à Michel bien entendu. Car lui, il ne se trompe jamais. C’est incroyable, mais c’est vrai. Bref, j’ai fait mon premier disque heureux. »

Et le succès de ce premier disque qui ne doit rien aux anciens critères du personnage « France Gall » est immédiat. France lance alors un défi : elle veut que le public se mette à l’aimer pour ses chansons et pas seulement pour son joli minois aux cheveux blonds.

Car France au fond d’elle-même est toujours très marquée par son image « Sacré Charlemagne ». Alors elle fait attention à tout ce qu’elle dit, à tout ce qu’elle fait. Elle se surveille comme on pourrait surveiller un enfant turbulent. En réalité, elle n’est vraiment plus la petite fille qui chantait « Sacré Charlemagne », elle le sait mais elle craint continuellement que les autres ne s’en soient pas encore rendu compte.

« Oui, j’ai changé. J’ai trente ans et je suis enfin devenue une femme. J’ai vécu des épreuves, des expériences. Cela m’a mûrie. J’ai appris la valeur des choses et des gens. Je ne m’agite plus comme une gamine. Je prends mon temps. Professionnellement, je refuse de faire n’importe quoi, comme par le passé. Finis les reportages de mode et les émissions de télé débiles. J’ai appris à dire non. Cela m’a attiré certaines inimitiés, qui ne m’ennuient pas du tout. En contrepartie, je ne fais que ce qui me plaît.

« Orgueilleuse ? Non, mais lorsque pendant des années, on vous a mis dans la tête qu’il fallait apprendre à parler, à jouer « la vedette », et puis qu’un jour vous comprenez que tout cela n’est pas très important, il faut se braquer, s’imposer et lutter contre la facilité que l’on vous propose à chaque instant. »

En 1975, forte du succès de « La déclaration », France se rend à Londres afin d’y enregistrer un album entièrement écrit par Michel Berger, et réalisé au Morgan Studio, un des plus prestigieux studios d’enregistrement anglais, un endroit où à chaque instant, on peut rencontrer les plus grandes popstars anglaises ou américaines comme Rod Stewart, Paul McCartney ou Cat Stevens. « Comment lui dire » et « Samba Mambo » seront les titres vedette de cet album.

Et puis, l’idylle musicale qui unissait France à Michel Berger fait place à une idylle plus romanesque et plus sentimentale, et le 15 juillet 1976, ils décident de se marier à l’insu de tous. Les journalistes et les amis du couple apprendront la nouvelle le lendemain en recevant un petit carton avec cette phrase toute simple : Isabelle Gall et Michel Hamburger ont le plaisir de vous annoncer qu’ils se sont mariés ce 15 juillet 1976. Et l’on a presque envie d’ajouter, de cette union naquit … un second album « Dancing Disco » qui allait consacrer définitivement la métamorphose de France Gall.

Mais France n’a pas voulu s’arrêter en si bon chemin. Six ans après son dernier tour de chant, elle a voulu remonter sur scène, à Paris, où elle savait que« Le Tout Paris » l’attendait au tournant et ne lui ferait pas de cadeau. Pendant quatre mois, elle a conçu et répété un véritable show qu’elle a intitulé « Made in France » et qu’elle a présenté au théâtre des Champs-Élysées du 14 au 22 avril dernier. Accompagnée par un orchestre exclusivement féminin, composé de onze musiciennes recrutées aux quatre coins du monde, France chante et danse sur les compositions de Michel Berger. La chorégraphie est signée Amadéo, Amadéo à qui l’on doit également deux autres réussites françaises « La révolution française » et « Mayflower », la comédie musicale d’Éric Charden.

Dans « Made in France », les barrières entre la salle et la vedette n’existent pas. Au fil des chansons, France se fait à la fois chatte et tigresse, princesse ou coquine. Vêtue simplement d’un pantalon rouge, d’un chemisier blanc et d’un gilet, elle évolue avec aisance, tantôt emboite un pas de danse, tantôt sourit et adresse un coup d ‘œil complice à un public ravi et conquis par ce « petit bébé requin » aux dents nacrées.

Ce spectacle, il est probable que France le présente à Bruxelles dans le courant du mois de septembre. Pendant quinze ans, on nous a présenté quelqu’un qui n’était pas vraiment France Gall; aujourd’hui, · elle n’aura plus jamais besoin de faire semblant. Il lui suffit de chanter ce qu’elle aime. Son dernier 45 tours

« Viens, je t’emmène » et son spectacle sont la preuve la plus éclatante qu’elle pouvait donner à ceux qui n’avaient pas encore compris que la « nouvelle France » n’a plus rien à voir avec « la poupée de cire » d’il y a quinze ans, qui chantait « Les sucettes » en rêvant de l’ « Amérique » !

Magazine : Le Soir Illustré
Par René Michiels
Date : 8 juin 1978
Numéro : 2398

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