France gall : ce que j’ai vu au Mali

L’article retranscrit (signé France Gall)

DÉLÉGUÉE PAR L’ORGANISATION HUMANITAIRE ACTION ÉCOLE, FRANCE GALL S’EST RENDUE AU DELTA DU NIGER.

Elle raconte, dans le premier article de sa vie le bouleversant combat d’une population acharnée à survivre.

Ecrire un article, pour moi, c’est comme chanter sur scène pour un écrivain. Au départ, c’est pas mon truc ! Je suis plutôt quelqu’un qui regarde, qui sent les choses. Pas qui parle.

Souvent on me demande pourquoi je me suis engagée à fond dans Une opération humanitaire comme “Action École”.

Je ne peux pas répondre à cette question. Mais je me rends compte chaque jour, et plus encore au retour de ce voyage-mission au Mali, que la vraie question qui pourrait se poser est : « Comment aurais-je pu ne pas le faire ?»

Dans le premier journal “Action École” envoyé à 94 000 classes dans les écoles, les collèges et les lycées en janvier dernier, j’ai écrit que, lorsque j’étais adolescente, mon sentiment d’impuissance devant les souffrances des autres et l’injustice m’avait étouffée. J’aurais aimé pouvoir agir, et ainsi me sentir moins inutile devant l’absurdité du monde des adultes. J’aurais trouvé fantastique qu’il existe un mouvement comme Action École pour exprimer ma révolte. Aujourd’hui, cet engagement assouvit cette soif de justice qui ne m’a pas quittée et me permet, enfin, de faire quelque chose ; l’absurdité n’a d’ailleurs pas non plus quitté le monde des adultes.

Agir. Tout est là. Le fait d’écrire ce que je ressens est déjà en soi une action. Je ne l’ai jamais fait. Et, en mesurant la difficulté de la tâche, je sais que je ne le referai probablement jamais. Engagée oui, mais pas en littérature.

Pourtant, ce voyage jusqu’au cœur du delta du fleuve Niger, au Mali, là où va se dérouler l’opération Delta, j’ai envie d’en parler. Dire : j’ai vu des enfants rire et jouer ; au moins vingt sur cent n’atteindront pas l’âge de 5 ans. Dire : j’ai vu des femmes acharnées au travail ; elles n’auront plus de mil à piler demain. Dire : j’ai vu des hommes qui veulent construire l’avenir; ils sont obligés de survivre au jour le jour. Dire : j’ai vu le désert, sa force et sa beauté. Dire : tout a l’air perdu et tout est possible.

C’est étrange comme un voyage comme celui-ci remet les choses à leur place. Non pas que je tombe dans le piège absurde de la culpabilité. Au contraire. De constater à quel point je me sens si naturellement proche d’êtres qui semblent éloignés, si normalement concernée par des problèmes qui apparaissent complexes et réservés aux “spécialistes”, me conforte dans l’action.

Le contact est facile avec le Premier ministre du Mali exprimant la volonté de son gouvernement de voir cesser l’aide alimentaire massive et aveugle, ou les gigantesques projets de développement, véritables gouffres financiers aux résultats incertains. Et le courant passe aussi avec cet ancien : ce “vieux papa” qui, sous l’arbre à palabres d’un village à quatre heures de pirogue de la première piste, se révèle être le président des parents d’élèves d’une école désertée pour cause d’éloignement. Le discours, le souci, le jeu de la séduction et de la conviction me sont, malgré tout, familiers.

Et puis, il y a la beauté. Et la beauté, cet instant d’harmonie à l’intérieur de soi, qui s’impose, elle est partout au Mali. Dans les choses et dans les gens.

Dès la sortie de Bamako, la capitale rouge, affairée et bruyante, dans le sud, dont la production agricole suffira cette année à nourrir tout le pays et jusqu’à l’océan d’eau douce recouvrant la moitié du delta, on est stupéfait ! Quoi ! pas de désert ? Comment ? Il pousse du petit mil à profusion et du sorgho ? Et du maïs ? Et du riz ? Il y a même des baobabs tranquilles sous le soleil.

Et puis, la beauté change de couleurs et d’odeurs plus on avance au nord. C’est d’abord la brousse et sa mélancolie. Puis le désert, sa majesté et le danger qui plane. Son talon d’Achille : l’eau qui dort sous ses dunes et le fleuve Niger qui l’irrigue. Ses plus farouches ennemis : ces hommes et ces femmes décidés coûte que coûte à se battre. A le battre à coup de plaines irriguées et de rizières. A coup de motopompes et de canaux d’irrigation.

Cette lutte a sa beauté et sa noblesse comme celle que mènent les femmes qui travaillent sans relâche dans les champs, élèvent leurs enfants, s’occupent de leur maison, des repas et, toujours en retrait, soutiennent leurs hommes d’un sourire volontaire.

Ces luttes, on ne peut pas en être spectateur. On veut très fort la victoire des hommes, de l’eau et des rizières. On la veut cette victoire, car ainsi on pourrait se réconcilier avec la beauté du désert.

Parce que c’est aussi dans le désert du Mali que Daniel Balavoine a disparu. Daniel qui était le 13 juillet 1985 à Wembley au concert Live Aid, organisé par Bob Geldof. Je me souviens de sa colère comme la nôtre, à Michel Berger, Jean-Jacques Goldman et moi, parce que la France n’y participait pas. Et on trouvait ça minable. Je me rappelle encore Daniel qui nous demandait de participer à Action École et avec qui on se réjouissait d’en voir la réussite.

Et comment oublier cette nuit, près de Gourma Rharous, justement dans le nord du delta, quand un accident d’hélicoptère nous a séparés pour toujours … Mais ce n’est pas le souvenir de Daniel qui me pousse à continuer d’agir avec Action École. Ce n’est pas non plus que je sois quelqu’un de bonne volonté. A la limite, je me méfie de la bonne volonté. Mais plutôt le sentiment d’avoir à terminer une entreprise, une aventure ou une guerre, dont les motivations s’accordent avec ce que je pense et ce que je ressens.

L’enjeu est essentiel : la dignité dont je voudrais voir imprégné le monde dans lequel je vis et dans lequel vivront mes enfants. Égoïstement.

FRANCE GALL

ACTION ÉCOLE OPÉRATION DELTA – L’ÉCOLE EN GUERRE POUR LE DÉVELOPPEMENT

Le 6 octobre, Action École, sous l’impulsion de Lionel Rotcage, a lancé une nouvelle et massive opération Intitulée Opération Delta. Son objectif : faire en sorte que dans ce qu’on appelle la région du Delta, au Mali (30 000 km2), ses quelque 500 000 habitants reçoivent le soutien qu’ils demandent et puissent dire au plus vite : “Merci, on n’a plus besoin de votre aide”.

A la différence de la première opération (L’École en Guerre contre la Faim) – qui était ponctuelle, d’urgence et qui a vu 900 000 écoliers, collégiens et lycéens français, en trois mols, envoyer plus de 2 000 tonnes de produits alimentaires au Soudan et en Éthiopie, en faire transporter 25 000 autres bloquées à Port-Soudan, et acheter en Éthiopie pour plus de 10 millions de francs de semences, d’engrais et d’outils agricoles – !’Opération Delta est une première dans le domaine de l’aide au développement.

Les élèves français vont pouvoir choisir, sur Minitel, parmi plus d’une centaine de projets de développement, dans tous les domaines, celui qu’ils aideront à réaliser tout au long de l’année. Ils pourront en suivre l’évolution et entrer en contact avec d’autres comités Action École qui cofinanceront le même projet. A travers l’opération Delta, l’objectif d’Action École est de déclencher la guerre pour le développement. Développement sur le terrain, en Afrique plus spécifiquement. Développement des mentalités en France. Au Mali, Action École a conclu un accord avec des O.N.G. (Organisations Non Gouvernementales) qui travaillent déjà sur le terrain et bénéficient des accords cadres avec le gouvernement malien. Cet accord prévoit que les O.N.G. réaliseront les projets de développement qu’elles ont sélectionnés et proposés aux comités Action École.

Pour les organisateurs d’Action École, le propos n’est pas de faire exploser un potentiel de charité qui existe chez les jeunes gens, mais de développer à travers une aventure le besoin de comprendre et le désir d’agir.

Magazine : ELLE
Par France Gall
Photos : Thierry Boccon-Gibod
Date : 13 octobre 1986
Numéro : 2127

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