Dans ma tête, j’ai toujours dix-huit ans (presse)

L’article retranscrit

« Babacar » est son dernier tube. Signé Michel Berger, bien sûr. Et le Zénith est prévu pour novembre.

La baby star des années soixante à aujourd’hui plus de vingt ans de carrière derrière elle.

Mais elle dit se sentir toujours une adolescente et aimer encore les Malabar.

Je pense qu’on reste un enfant jusqu’à la mort, dit France Gall. Dans ma tête, j’ai toujours dix-huit ans. J’ai gardé la fraîcheur, l’enthousiasme de cette époque. Bien sûr, j’ai vieilli, je suis physiquement assez fragile. Je souffre d’hypertension. Alors, je ne peux plus faire certaines choses comme danser toute une nuit ou me mettre la tête en bas. Je me fatigue plus vite. Mais j’aime toujours les Malabar.

Le plus terrible, dans le fait de vieillir, c’est justement qu’on ne vieillit pas tant que ça. On a beau apprendre, de la vie et des choses, tout se passe comme si l’Histoire, le temps qui s’écoule, les avatars de l’existence, en même temps qu’ils nous marquent de façon irrémédiable, ne laissaient en nous aucune trace, glissaient à la surface, sans nous pénétrer.

La fraîcheur subsiste, tant bien que mal, certes, mais indestructible. Une fraîcheur charmante et désolante à la fois. Charmante parce qu’elle nous permet un regard à chaque fois renouvelé sur le monde, nous préserve des rancœurs tenaces. Désolante car on se dit que jamais rien ne sera en mesure de nous mettre du plomb dans la tête.

On ne saura jamais être autre chose que l’incorrigible enfant qu’on était autrefois et qui n’avait d’univers que ses songes. Désolante aussi car c’est la preuve qu’on ne peut échapper, qu’on le veuille ou non et quels que soient les évènements extérieurs, a soi- même, à son passé, à l’essence même de son être.

En évoquant sa carrière, de « Poupée de cire » à « Débranche », la presse ne cesse de s’extasier sur le fait que le bébé requin du temps des yéyés a bien changé. Rien n’est moins sûr. Avec sa blondeur décoiffée, son jean et ses baskets, l’innocence de son sourire léger comme si les aspérités de la vie n’avaient pas de prise sur elle, France Gall n’est pas aujourd’hui si loin de la baby star des années soixante qui chantait avec candeur « Sacré Charlemagne ». Elle avait quelque chose comme seize ou dix-sept ans, sa voix sucre d’orge ravissait les élèves de Janson-de-Sailly ou de Molière. C’était les temps bénis, annonciateurs sans qu’on le sache de mai 1968, où les enfants gâtés préféraient les volutes enivrantes des cigarettes américaines aux relents explosifs de la guerre d’Algérie. Les Beatles se préparaient à déferler sur le monde. Richard Anthony allait pour toujours entendre siffler le train et les « ados » se mettre aux scoubidous et à la mode Vichy. Insouciance. Jusqu’au jour où le pervers Gainsbourg fait chanter à France Gall ses fameuses « Sucettes à l’anis d’Annie » qui « coulent dans la gorge d’Annie » et « l’emmènent au paradis ».

« A cette époque, dit-elle, j’étais un gros bébé. Je mettais des minijupes parce que je trouvais ça beau et j’ai chanté cette chanson parce que je la trouvais jolie. Je ne comprenais pas grand-chose. Et quand j’ai réalisé, j’ai eu honte. »

France Gall quitte alors son parolier chéri et tombe en dépression. C’est l’après 1968, les années noires. Elle commence à faire un peu n’importe quoi, se met des perruques bicolores, pose avec des concombres sur la figure pour le compte de produits de beauté et les disques qu’elle enregistre ne plaisent plus. A l’ombre de Julien Clerc avec qui elle vit à l’époque, France Gall s’éteint doucement. On la croit finie, « out ». C’est sans compter avec le talent qu’elle a de s’acoquiner avec les « bons » du showbiz. Après Gainsbourg, ce sera Michel Berger. Il naîtra de ce mariage deux enfants, Pauline et Raphaël, et plusieurs gros succès : « La Déclaration », « Musique », « Cézanne peint », « Débranche » (sept cent mille albums vendus) et aujourd’hui « Babacar ».

« Tout ce que Michel écrit pour moi dit-elle, me correspond parfaitement. » Et pour cause. Ils sont de la même génération, ont en commun la même vision soixante-huitarde du monde. Aux antipodes de l’idéologie Tapie, de la morale stressante de la réussite par l’argent, eux prônent, par des chansons comme « Résiste » ou « Débranche », une philosophie idéaliste de la vie basée sur le bonheur le bien-être, la réussite affective : « Je suis contente de ce que je suis aujourd’hui, dit France Gall, parce que j’ai fait le choix de privilégier ma vie de famille. »

Un choix qui n’empêche pas le couple de s’occuper aussi des autres, puisqu’ils participent activement tous deux, depuis quelque temps, à une œuvre humanitaire créée par des enfants pour aider l’Afrique (Action École). On n’est pas loin, décidément, du « Peace and Love » de cet humanisme clamé à l’époque de Woodstock.

France Gall a d’ailleurs gardé une certaine nostalgie du passé, de cette période où les sourires naissaient plus facilement sur les lèvres et où les fleurs poussaient sur les chapeaux. Et même si elle dit être mieux dans sa peau, on sent qu’elle n’a rien oublié des états fébriles de l’adolescence et du spleen qui la caractérise : « Quand on a quarante ans, dit-elle, on est autant touché par la solitude que quand on a dix-huit ans. On est seul même quand on est deux. Je me sens souvent seule. »

« Barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé », disait F. Scott Fitzgerald. Mais pouvons-nous réellement quelque chose contre ce courant-là … »

Magazine : Télé Loisirs
Article de Marlène Amar
Date : du 1er au 7 juin 1987
Numéro : 66

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