Atteinte d’un cancer du sein, France Gall a été opérée le 22 avril et reporte à septembre son Bercy prévu pour juin.
La nouvelle a suscité une émotion inouïe. Le destin s’entête, mais France Gall, une fois de plus, fait preuve de ce courage qu’elle a déjà montré après la mort de Michel Berger.
“Elle a, elle a ce je ne sais quoi … Ce petit truc en plus, cette incroyable grandeur d’âme …” Ce sont ces mots de Michel Berger, tirés d’une chanson-hommage à Ella Fitzgerald, qui se sont tout de suite imposés à notre esprit en apprenant la nouvelle.
Que France Gall, victime d’une tumeur maligne au sein – “de bon pronostic” précisent les médecins – se soit fait opérer le 22 avril d’un cancer, alors qu’on la croyait en vacances à Ramatuelle et qu’elle ait maintenant à subir – “sans inquiétude” affirment heureusement ses proches – un traitement complémentaire par irradiation dont, vraisemblablement, les effets secondaires des premières séances l’ont amenée à différer Bercy, cela, bien sûr, incite à une tristesse rageuse. Depuis huit mois et la tragique disparition de Michel, son combat a été suffisamment douloureux pour que le destin l’épargne de toute autre agression.
Mais que, se sachant malade, elle ait préféré tout cacher et tenter de relever l’incroyable défi que mener conjointement toutes ses convalescences- celle de la chanteuse qui, longtemps, avait renoncé à des bonheurs qu’elle croyait galvaudés, celle de l’épouse abandonnée en plein renouveau par son omniprésent « professeur Tournesol », celle, enfin, de la femme atteinte dans sa chair par la malignité – voilà qui laisse pantois sur ses ressources intérieures d’autant plus que, il y a tout juste une semaine, France avait enregistré “live”, en une seule journée, sa version de “Mademoiselle Chang”, de Michel Berger.
“Parfois je m’épate”, nous confiait-elle, l’autre jour, en nous interdisant aussitôt de le répéter. Elle évoquait le trouble dans lequel, au-delà du chagrin, l’avait plongée la disparition de Michel. “Avant, j’avais toujours besoin de me sentir protégée, car je savais que la chose était possible. Depuis, tout a été brusqué. Je suis obligée de me prendre seule en main … et j’y arrive!”
Pour ce faire, France avait d’abord pris “sa” grande décision, chanter quand même : “Je l’ai prise très vite mais, sans que je sache très bien pourquoi, il a fallu que j’attende Noël pour la rendre publique. Exactement comme pour oser sortir de chez moi, à part pour les concerts de Johnny ou de Catherine Lara, où l’émotion m’a finalement submergée.”
Ensuite, elle a fait, comme le chanterait Michel, sa “déclaration” : “C’est vrai ! Un jour, j’ai dit tout haut : je vais faire Bercy. Quatre mots qui mettent en route tellement d’argent, de risques, d’émotion. Je les ai prononcés pour ne plus avoir à reculer.”
En nous confiant cela, elle avait ajouté : “Je sais que je vais y arriver”, avec un ton d’une étonnante véhémence. Peut-être pensait-elle alors à l’ultime et insidieux obstacle de sa maladie. Il ne fallait pas compter sur elle pour se livrer à ce sujet, puisqu’elle ajoutait aussitôt : “Ce qui m’importe, même dans la douleur, c’est la dignité. Je suis très choquée par tous ceux qui jouent sur l’émotion. Je ne suis pas du genre à tirer la larme aux gens”.
Il lui restait encore à s’organiser pour se gérer elle-même tout en gérant l’énorme entreprise “Berger”. Sur le plan privé comme sur le plan professionnel, elle sut saisir les bonnes mains : “Au début, à titre personnel, mon amie Coco Balavoine m’a beaucoup aidée. C’était un réconfort inouï d’avoir à côté de soi quelqu’un qui avait connu un drame similaire. Et puis, il y a eu énormément d’amour et d’amitié, y compris anonyme, autour de moi.”
C’est ainsi parée que France a commencé à concevoir ce spectacle qui, avec déjà cinquante-cinq mille billets vendus, allait créer l’événement artistique autant qu’émotionne !
Au programme, on allait bien sûr entendre “Double jeu”, l’album publié par le couple à la fin du printemps dernier, mais aussi, au-delà des “incontournables” de France, la plupart des titres chantés jusqu’ici exclusivement par Michel : “Si c’était pour chanter d’autres chansons que les siennes, je ne serais pas là.”
Les nouvelles dates sont déjà fixées, deux fois trois jours les 10, 11, 12 puis les 22, 23, 24 septembre. Avant, France, au repos forcé, continuera quand même à s’occuper de Michel. A la rentrée, Paris doit aussi accueillir le “Tycoon”, version anglaise de “Starmania”, dont le disque fait un carton dans le monde entier et dont Lewis Furey assurera la mise en scène.
Et puis, dans quelque tiroir secret du couple que jamais le temps ne scellera, il y a un scénario de film, signé Michel Berger, qui lui tenait terriblement à coeur. Plus qu’intéressés, certains producteurs l’avaient baptisé “Totem”. France aimerait remettre la machine à flot et redonner à l’oeuvre son titre original : “Le bruit silencieux de la pagaie”. Pas étonnant, quand on sait comme elle peut ramer dur tout en gardant le silence.
Alain Houstraete-Morel
Quelques jours avant son opération, elle se confiait à Alain Houstraete-Morel : “Je n’ai pas pu accepter le départ de Michel”
Alain Houstraete-Morel a rencontré France Gall juste avant “Taratata” le samedi 10 avril, qui marquait son premier vrai retour à la scène et un peu à la vie. Moins de deux semaines plus tard, France entrait en clinique.
Après la mort de Michel, vous avez gardé le silence longtemps. Pourquoi?
Vous savez, s’il n’y avait pas Bercy de plus en plus proche, il n’y aurait toujours pas un mot ni une photo. Outre que je n’en avais pas la force, je déteste me faire voir ou entendre en dehors de mes activités professionnelles. Le déballage du malheur me gêne. Je crois qu’on a réussi à l’empêcher, que tout a été digne. Et puis, j’avais le droit au temps. Comme au poker, quand c’est à soi de distribuer les cartes.
Rechanter déjà, est-ce aussi, comme au poker, un coup de bluff avec le destin ?
Je ne sais pas. C’est peut-être une diversion. C’est en tout cas, actuellement, mon seul accès à la joie. Je chante pour retrouver le bonheur. J’ai déjà lu dans la presse des titres du genre: “Son défi, par amour”, bassement racoleurs et. .. inexacts. Depuis que Michel est parti, je me rends compte, comme jamais, à quel point j’aime chanter. Ce n’est plus du plaisir, ça devient une passion.
Depuis que Michel est parti … Beaucoup de choses ont changé?
Tout a changé. Dans ma tête, déjà. Etre veuve, pour commencer. Rien que le mot, difficile de l’admettre. Et puis, même si à 40 ans j’avais décidé de m’occuper un peu de moi, tout restait lié à ma tribu. C’était ma référence essentielle. Aujourd’hui, Michel me manque pour tout. Son intelligence et ses avis sur les choses ont laissé un vide incroyable.
Comme celui d’un père ?
Non! Mon père, je l’ai adoré mais, depuis sa mort, il y a trois ans, il ne me manque pas de la même façon. Michel, c’était un grand enfant génial avec moi, façon professeur Tournesol. Même quand il était sérieux, voire sinistre (rire), le regarder vivre nous comblait de joie. Avec les enfants, d’ailleurs, quand on parle de lui, on se rappelle toujours les moments drôles.
Pauline et Raphaël, comment avez-vous fait face à leur chagrin ?
La souffrance des enfants, ça dépasse tout ce qu’on se croit capable d’assumer. Leur refus d’admettre les choses aussi. C’est pour ça que j’ai tenu à ce qu’ils assistent à l’enterrement. Ils ne voulaient pas, mais il fallait qu’ils voient… qu’ils croient. Je les avais préparés comme j’ai pu à l’incontournable mur des appareils photos. Ce jour-là, ils sont devenus des personnages publics, ce qui leur avait toujours été interdit. Ensuite, on a réécouté tous les disques de leur père et on a lu ensemble tous les articles sur le drame. Maintenant, ils participent à tout. On a choisi mon répertoire ensemble et ils sont venus aux premières répétitions. Ils ne voulaient pas que je refasse de la scène. Ce métier, la vie aussi, pour eux, désormais, c’est dangereux.
Comment les avez-vous convaincus ?
En leur expliquant que je ne faisais cela pour personne d’autre que pour moi. En leur disant le bonheur que j’éprouvais à faire vivre cet album et revivre les chansons de leur père. En leur faisant comprendre qu’il était essentiel qu’ils me soutiennent et que j’avais besoin qu’ils m’approuvent. En fait, ils étaient inquiets pour moi. Maintenant, ils sont hyper-concernés par le spectacle. Eux et moi, on vit notre petite vie, on s’aime comme des fous, on se touche tout le temps pour se rassurer. Ça se passe plutôt bien.
Et l’école ?
On sait qu’il y a des cycles à respecter, des étapes qu’ont eues à franchir tous les enfants qui ont connu ce genre de drame.
Qui vous aide à les franchir ?
Moi, d’abord. Quand c’est arrivé, j’ai incroyablement assuré. J’arrivais quand même à tout faire. Prévenir les gens, régler tous les problèmes, accueillir les proches. Je me souviens par exemple que j’ai voulu faire visiter notre maison à Jean-Jacques Goldman ou que j’ai été la seule à regarder entièrement l’émission qu’avait improvisée Michel Drucker. Et puis, il y a eu l’amour que m’ont manifesté les gens – et pas seulement les proches. L’expression “serrer les rangs”, je sais vraiment désormais ce qu’elle veut dire. Mais la solitude, cela vous surprend quand même, qu’on soit entouré ou non.
Pour votre couple, l’album “Double jeu”, n’était-ce pas une sorte de second souffle ?
Que Michel ait réussi presque contre son gré à me faire cet album, c’était sa preuve d’amour. Vous savez, quand on vit ensemble dix-huit ans et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est qu’il y a des choses très fortes. On était un couple particulier rare dans ce métier, pas à l’eau de rose, parce que le bonheur n’est jamais simple, mais soudé pas les mêmes valeurs et par le même humour.
Ramatuelle, vous avez pu y retourner ?
Oui, très vite et avec les enfants. C’est là qu’ils avaient vécu avec leur père pour la dernière fois. Il ne fallait pas laisser le malheur imprégner l’endroit. Il fallait au contraire, y faire fleurir les bons souvenirs.
Le Sénégal, vous y allez encore ?
Bien sûr, ce n’était pas une passade, mais un port d’ancrage. On est allés tous les trois passer Noël dans mon cabanon, histoire de ne pas voir passer Noël. Mais les choses ne sont pas si simples.
Aujourd’hui, qu’est-ce que vous souhaitez ?
Etre heureuse le plus vite possible. Je sens qu’il se passe des choses nouvelles en moi. En fait, je voudrais surtout que le processus de cicatrisation s’accélère. Je guette les arcs-en-ciel.
Y en a-t-il déjà eu de beaux ?
Bien sûr. Le dernier, c’était il y a quelques jours, pour l’anniversaire de Raphaël. On fêtait ça et, soudain, quelqu’un a sonné à la porte. Quand elle s’est ouverte, il y avait devant Raphaël son idole absolue, David Ginola, le footballeur du P.S.-G. qu’il rêvait de rencontrer. C’était notre ami Gérard Holtz qui avait concocté ce cadeau. Pour Raphaël, cela aura été le plus bel anniversaire de sa vie et, pour moi, comme un sourire de l’avenir.
Le courage de France Gall (courrier des lecteurs)
Pourquoi le destin s’acharne-il donc toujours sur les mêmes personnes ? France Gall avait déjà fort souffert du décès de Michel Berger et la voilà maintenant en proie à la terrible maladie qu’est le cancer. Nous, les téléspectateurs et ses fidèles fans, nous nous réjouissions à l’avance de la retrouver prochainement à l’écran. Elle venait d’apparaître dans quelques émissions et tout laissait supposer qu’il y aurait des suites. J’espère que, dès qu’elle sera remise de son opération, elle pourra rapidement retrouver son public et concrétiser ses projets. Je suis de tout cœur avec elle. Patrick F., Lille.
C’est à ses enfants que je pense le plus maintenant. Ils ont dernièrement perdu leur père, Michel Berger, et il n’a pas dû être facile de faire face aux nombreux hommages qui lui ont été rendus. Revoir constamment son père à l’écran, c’est un peu retourner sans cesse le couteau dans la plaie. Le choc semblait passé lorsque France Gall avait courageusement décidé de reprendre le dessus et d’à nouveau se produire sur scène. Avec bonheur, nous retrouvions notre chanteuse préférée. Mais voilà que le cancer annule tous ces beaux projets … Ses enfants devront, une fois de plus, faire preuve de courage. T.V., Toulouse.
Que de répercussions dans les médias de la maladie de France Gall ! Le cancer du sein est une maladie particulièrement éprouvante moralement, surtout lorsqu’il y a eu ablation, mais je peux en témoigner, on recommence à vivre normalement une fois l’épreuve passée. A condition, bien entendu, que les premiers signes aient été décelés à temps. Mais telle que m’apparaît l’artiste, c’est une battante qui en sortira victorieuse. C’est un moment difficile à passer et sa famille devra beaucoup s’occuper d’elle, la réconforter, mais qu’elle ne perde pas espoir. J’ai 54 ans et, après une opération de chirurgie esthétique (on m’a totalement reconstruit le sein), j’ai repris goût en la vie. Bonne chance, France! Ginette F., Marseille.
Le Dr T.: Nous avons tous le cancer en nous, un brusque choc émotionnel peut le développer.
Le cancer est une maladie de l’adulte, plus fréquent entre 40 et 50 ans. Le cancer du sein, dont a été opérée France Gall (45 ans) est un des plus répandu chez les femmes : environ une sur cinq développera ce type de tumeur au cours de sa vie. La plupart en guérissent, car les traitements médicaux ont fait de grands progrès dans ce domaine. Cependant, la prévention (palpation des seins) joue un rôle essentiel. Pour en savoir plus, nous avons interrogé le Dr T., cancérologue.
GD : Le cancer du sein nécessite-t-i l une intervention très lourde?
Dr T. : L’opération dépend avant tout de la gravité de la tumeur décelée. Ce peut être une intervention bénigne en vue d’enlever un nodule, ou, quand le cancer est plus avancé, l’ablation complète du sein. En soi, il s’agit d’opérations assez minimes, que la chirurgie maîtrise bien aujourd’hui.
GD : Après la chirurgie, quels traitements doit suivre le malade?
Dr T. : Il est essentiel de poursuivre avec un contrôle médical, en surveillant le développement des ganglions au-dessous du bras. Les suites immédiates de l’opération sont des risques de modification anatomique, notamment le bras qui gonfle. Il existe aujourd’hui des traitements appropriés. On ne voit presque plus de femmes opérées avec un énorme bras qui a gonflé.
« Sur le pronostic et les chances de réussite, il est plus délicat de se prononcer. Cela varie selon chaque cas. Le bilan dépend de ce qui aura été découvert durant l’opération et des résultats de l’analyse de la tumeur retirée. Certains patients guérissent très vite, d’autres nécessitent des traitements plus lourds, comme la chimiothérapie ou la radiothérapie. Il y a des cas de récidive. Toutes les femmes doivent palper leurs seins à partir d’un certain âge. Elles peuvent le faire à l’approche de la quarantaine, qui est celle de la ménopause, mais elles peuvent le faire par prudence avant. Les mammographies (contrôle du sein par rayons X) sont recommandées au rythme annuel après 50 ans. »
La mort de Michel
GD : Est-il vrai que chacun porte le cancer en soi ?
Dr T. : Nous avons tous des gènes qui déterminent, au niveau de notre santé, notre présent et notre avenir. Certains gènes portent, dès notre naissance, un code qui peut déclencher un cancer, mais ils sont en permanence contrôlés et réprimés par l’organisme.
« Dans certaines circonstances, les gènes porteurs du cancer échappent au contrôle : le fumeur développera le cancer du poumon, un certain virus attrapé en Afrique favorisera un autre type de cancer, etc. »
GD : Connaît-on les facteurs déclenchants du cancer du sein?
Dr T. : Pour ces tumeurs, on sait qu’il y a des prédispositions héréditaires. Elles dépendent aussi du type d’alimentation. Par exemple, les femmes japonaises, qui se nourrissent autrement que nous, ne développent quasiment jamais de cancer du sein. On dit que certaines hormones féminines induisent ce type de tumeurs, mais c’est très controversé.
GD : Un choc émotionnel, par exemple le fait que France Gall ait perdu son mari Michel Berger en août dernier, peut-il induire le cancer?
Dr T. : C’est tout à fait possible, mais là aussi c’est controversé. Certains travaux cliniques ont été effectués, mais cela demeure au niveau des suppositions. Un état dépressif ou un choc émotionnel peut affaiblir, au niveau du cerveau, des défenses naturelles. Mais c’est très difficile à quantifier. On est dans le domaine des sentiments et de la psychologie, et la science se trouve alors plus démunie pour ce type d’analyse.
Propos recueillis par Guy DARRÉNOUGUÉ
Magazine : Ciné Télé Revue
Propos recueillis par Alain HOUSTRAETE-MOREL, Guy DARRÉNOUGUÉ
Date : 22 au 28 mai 1993
Numéro : 9320