France Gall : je ne veux pas qu’on me plaigne

Elle entame ce soir le premier volet d’une série de concerts à Bercy.

Après avoir surmonté les pires épreuves (la mort de Michel Berger et son propre cancer), France Gall remonte sur les planches, tenant tête au destin et ne supportant pas qu’on s’apitoie sur elle.

Alain Morel : Deux fois différé pour des raisons dramatiques, voilà enfin Bercy, l’immense défi, le coup d’envoi aussi de votre grand retour sur scène. A quelques heures du lever de rideau, comment ça va vraiment ?

France Gall : Ça va … avec des hauts et des bas. Et quand les bas font mine de prendre le dessus, je suis particulièrement contrariée. Ce spectacle, j’aurais préféré l’aborder de manière plus légère. Sans jamais avoir à me battre pour retenir mes larmes. Je ne voulais pas laisser l’émotion m’envahir mais, dans cette dernière ligne droite, je me retrouve face à elle. Sans doute parce que le gros du travail est fait. Ça libère l’esprit. Du coup, ne pas penser devient un exercice difficile.

Alain Morel : Il y a quatre mois, deux jours avant que des examens vous révèlent la maladie dont le traitement éprouvant allait vous contraindre à repousser votre spectacle, vous disiez que Bercy ne serait pas un hommage à Michel, que vous ne le faisiez que pour vous. Est-ce toujours le cas?

France Gall : Je n’aimais pas l’idée que ce soit un hommage. Michel détestait ce genre de chose et je n’allais pas, moi, en être l’instigatrice. Je voulais aussi insister sur mon envie de chanter à nouveau et inscrire ce spectacle dans un contexte gai.

Ça, d’ailleurs, je ferai tout pour m’y tenir, même si certains me l’ont reproché lors de mes rares passages à la télé.

Pour le reste, plus l’heure H s’est précisée et plus j’ai su que Michel serait tellement omniprésent que chaque frisson lui rendrait hommage. Plus le spectacle a pris forme, plus la première s’est approchée, et plus j’ai eu le sentiment de me rapprocher de lui. Je crois que nous sommes définitivement indissociables. En fait, c’est en faisant Bercy pour moi que je le fais vraiment pour lui.

Alain Morel : L’essentiel de votre répertoire est d’ailleurs constitué de ses chansons à lui.

France Gall :  Il y a bien sûr notre album à tous les deux, il y a aussi ce qu’on pourrait appeler mes « incontournables » (rires)… Mais c’est vrai que j’éprouve un plaisir inouï à chanter ses tubes. J’ai presque le sentiment de chanter de nouvelles chansons et je suis fascinée par la cohésion qui ressort entre tous ces titres.

Alain Morel : Vous êtes-vous déjà imaginée, dans une carrière future, chanter des chansons qui ne soient pas signées Michel Berger ?

France Gall :  Non. Absolument pas. Je n’imagine pas cela du tout. La seule chose que j’imagine, c’est de prolonger ce spectacle le plus loin possible. Le trimbaler, par exemple, aux quatre coins du monde. Mon but, c’est aussi de faire en sorte que « Starmania » et « La Légende de Jimmy » soient jouées le plus possible … et partout.

Michel avait envie de cela et j’ai le sentiment que les décisions que je ressens le besoin de prendre sont en parfait accord avec lui. Tous les deux, vous savez, on était un couple rare. Jamais de bonheur à l’eau de rose. Toujours une vraie complicité sur l’essentiel des choses. En fait, ce que j’ai encore à faire pour nous, cela va me prendre dix ans.

Alain Morel : Pour votre bonheur, ne serait-il pas plus raisonnable de vous battre pour … oublier ?

France Gall :  Je n’ai jamais pensé à lutter pour oublier. Je sais que toute ma vie je vivrai avec ça. Je l’ai admis. L’autre jour, une journaliste m’a demandé s’il y avait eu des aspects positifs dans les drames qui m’avaient frappée. Eh bien, pour mon cancer, il y en a eu. Mais la mort de Michel, ce départ d’une violence absolue, maquillée de calme, il n’en reste que l’absurdité et la douleur. Continuer à vivre avec le souvenir des bons moments, espérer bien sûr que la souffrance s’atténuera – car on ne peut pas travailler quand elle est trop aiguë – , mais ne pas détruire le passé. Il n’y a rien d’autre à faire. Michel, de toute façon, n’avait pas de plus grand supporter que moi. Son aura, son talent, son œuvre, sa musique font partie intégrante de ma vie. Pour mes enfants comme pour moi, c’est notre patrimoine. S’y consacrer n’alourdit pas l’atmosphère … bien au contraire.

Alain Morel : A part le travail, de quoi, aujourd’hui, votre vie se nourrit-elle ?

France Gall :  De mes enfants … et de réflexion.

Alain Morel : Il paraît que vos enfants étaient hostiles à votre retour sur scène ?

France Gall :  Ils s’inquiétaient pour moi. Vous savez, quand on perd son père, on n’a qu’une peur, c’est de perdre sa mère. Au début, je ne pouvais même pas quitter la maison sans qu’ils paniquent. Maintenant, ils participent beaucoup à mon travail. Je leur raconte mes sensations, ils donnent leur avis … On s’organise. Même en tournée, ils me rejoindront souvent.

Alain Morel : Comment ont-ils subi l’épreuve de votre maladie ?

France Gall :  Avant ma complète guérison, j’en avais considérablement minimisé les effets. L’idée de leur imposer cette nouvelle épreuve était l’un des pires aspects de la chose.

Alain Morel : Est-ce la raison de votre silence ?

France Gall :  L’une des raisons. Les autres sont plus égoïstes. D’abord, j’ai pensé que les gens me fuiraient. Qu’ils se détourneraient de moi comme si j’étais pestiférée. Les chiens malades, aucun autre chien ne s’approche d’eux. Ensuite, je me suis dit qu’on ne me parlerait plus jamais de la même façon qu’avant… que je guérisse ou non. Je ne voulais pas non plus devenir la conversation de bistrot numéro un dans la France entière. Enfin, je ne supportais pas l’idée qu’on me plaigne, cela n’a pas changé d’ailleurs ! Alors, j’ai failli m’inventer une jambe cassée ou un truc comme ça. Mais, d’un autre côté, je ne voulais pas mentir. Disons que je parle peu mais je choisis la vérité. Je ne le regrette pas. La vérité, c’est vraiment mon truc.

Alain Morel : C’est une sorte de « vérité » que vous cherchez quand vous parlez de … réflexion ? Vos proches disent que vous vous êtes tournée vers la spiritualité …

France Gall :  Je n’ai pas trop envie de parler de ça, car on n’en parle utilement qu’avec des gens qui ont réellement envie de s’y intéresser. Ce qui est clair, c’est que se retrouver confrontée à sa propre mort occasionne un bouleversement.

Surtout si, en peu de temps, on vient de voir son premier « mort » en la personne de son père, puis de perdre son amour dans les conditions que vous connaissez. Moi, j’ai ressenti le besoin de parler de certaines choses avec des amis et surtout, de lire des ouvrages sur la foi, l’au-delà, la frontière entre la vie apparente et la mort.

Pour Michel, tout s’arrêtait après le dernier souffle et, tant qu’il était là, je m’abritais, sereine, derrière sa pensée. En plus, il me trouvait trop fragile pour que je m’aventure dans ce genre de domaine. Aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu rester des années sans m’intéresser à tout cela. L’âme, c’est tout de même plus important que le fameux « niveau social » après lequel tout le monde court en s’agitant. Mais, rassurez-vous, je ne fais pas brûler d’encens ni tourner les tables (Rires) … Je me fais juste un petit trajet au milieu de la folie de la vie …

► France Gall à Bercy, ce soir à 21 heures, demain à 21 heures, dimanche à 16 heures et à 21 heures. Puis du 22 au 25 septembre. Location : 40.02.60.60.

Magazine : Le Parisien (édition de Paris)
Propos recueillis par Alain Morel
Date : 10 septembre 1993

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