France Gall : la rage de revivre

Durement frappée depuis un an par le destin, elle revient sur scène avec un « énorme bonheur ».

Dans un Bercy chargé d’émotion auquel elle s’attaque pour la première fois, France Gall guérie et épanouie fait son grand retour ce soir, après six ans d’absence. Six ans déjà depuis son Zénith, en 1987, où elle investissait une scène en forme de soucoupe volante. Depuis un an, le destin s’est acharné sur elle. Il lui a repris son mari, Michel Berger, puis l’a frappée d’un cancer du sein, bénin, mais cette opération et le traitement qui a suivi l’ont obligée à reporter son spectacle. Malgré tout cela, France n’a rien perdu de sa rage de vivre ni de son rythme. Une force qu’elle pulse, bien sûr, dans l’immense amour qu’elle a vécu avec Michel Berger. Retrouvailles.

France-Soir : Après une année à « survivre », comme vous le dites, Bercy vous redonne le bonheur de revivre?

France Gall : Ah oui ! Un énorme bonheur. Car, tout en affrontant les choses, je ne me suis jamais relâchée une minute, cette année, dans ma tête. Et ce qui m’a touchée beaucoup, c’est que mes enfants d’un seul coup, pour m’aider, se sont mis à se comporter en adultes. J’ai tout de suite arrêté ça. Pauline va avoir 15 ans, Raphaël n’en a que douze. Alors, un soir, je lui ai dit : « C’est gentil, mon chéri, mais tu es encore trop jeune pour jouer les chefs de famille. Tu ne remplaceras pas Michel. Tu es mon enfant et tu vas vite te laver les dents et aller te coucher. »

France-Soir : Pourquoi l’image de mère-courage vous a-t-elle été aussi insupportable ?

France Gall : Je sais bien qu’en soi ce n’est pas une insulte. Beaucoup de femmes revendiqueraient ce qualificatif. J’aimerais simplement alléger ce terme de son côté dramatique. Une couverture de magazine me montrait effondrée après mon opération, disant que je me battrais jusqu’au bout. C’était d’un mauvais goût ! Bon, c’est vrai que, le cancer, il sort ou il sort pas, mais tout le monde l’a. Pour moi, il est sorti. C’est fréquent après un grand choc. Simplement, il n’était pas envahissant. On ne m’a pas fait de chimio. On m’a juste enlevé une petite boule dans le sein qui n’a pas laissé l’ombre d’une cicatrice. Et il est fort probable, m’ont dit les médecins, que je n’en entende plus parler.

Je suis donc très, très loin des cas extrêmes et dramatiques. Et ce n’est pas une rescapée de tous les sinistres qui va monter sur la scène de Bercy. Je crois, heureusement, que mon public ne s’y trompe pas. Mais les gens sont facilement perturbés par ce qu’ils lisent. Et, à propos de bonheur, ce qui m’a surtout blessée, c’est ce que j’ai lu dans un autre magazine sur Michel et moi. En gros, c’était : elle a voulu faire son premier disque avec lui parce que ça ne marchait plus du tout pour elle. Puis, en quelques lignes, on sautait directement, quinze ans plus tard, à de ridicules petites querelles de métier parce que je ne voulais pas chanter exactement ce que Michel proposait. Sordide.

Toute l’extraordinaire histoire d’amour qu’on a vécue, Michel et moi, était réduite à ça. Dix-huit ans que je vais garder toute ma vie. Car même s’il ne m’arrive plus rien, je suis riche de ça. Tout a été beau entre nous. Et les rares personnes qui nous ont suivis d’un peu près peuvent témoigner de cette complicité pleine d’humour et d’amour qui nous liait.

France-Soir : Votre spectacle en témoigne-t-il ?

France Gall : J’espère. D’ailleurs, c’est étrange ce qui se passe en ce moment. J’ai beau dire que ce spectacle je le fais d’abord pour moi et pas pour Michel (ça fait niaiseux et mélo et je ne veux pas d’un spectacle larmoyant), je vois bien que plus le spectacle approche et plus la présence de Michel m’envahit. Mais c’est aussi ce qui me donne ma force et me fait dire : « Il faut que la vie continue ! »

France-Soir : Vous aviez eu le temps d’échafauder ensemble un canevas du spectacle?

France Gall : Rien. C’est moi, cette fois, qui décide de tout. Son, lumières, éléments de décor … Mais en me posant toujours la question : est-ce qu’il serait d’accord ? Ma réponse est : « oui ». Je suis sereine là-dessus. Les moments les plus heureux de cette année auront été ceux où j’aurai travaillé sur ce spectacle. Avec Michel, j’avais les commandes de la vie privée. J’organisais tout pour qu’il puisse créer, créer, créer. (Admirative) Sa production est inimaginable ! Lui avait les commandes de la vie professionnelle. Et c’était bien agréable de me remettre entre ses mains. Mais apprendre à maîtriser un spectacle est passionnant aussi.

France-Soir : Envisagez-vous un jour de chanter autre chose que du Michel Berger ?

France Gall : Impensable. En ce moment précis en tous les cas. La musique de Michel, c’est comme si j’étais née avec. Quand je l’ai entendue pour la première fois, j’ai cru que c’était moi qui parlais. Ce spectacle, je n’ai pas fini de le trimballer en tournée ! Au moins pendant deux ans!

France-Soir : Quelles sont les particularités de ce grand retour?

France Gall : Les musiques et le son. J’avais une certaine lassitude des morceaux que je chantais depuis près de quinze ans. J’ai changé dans ma tête artistiquement. Et c’est en ça qu’il y a eu des heurts avec Michel au moment de l’écriture de notre album « Double jeu ». Lui, en tant qu’artiste naturellement inspiré, n’éprouvait pas ce besoin de changement. Et moi, j’aurais aimé surprendre. Je pense que ce sera le cas ce soir à Bercy. La première partie comprend beaucoup du dernier album, auquel je n’ai pas touché. Dans la deuxième partie, je chante aussi des chansons qui appartenaient à Michel, comme « Le Paradis blanc », « Quelques mots d’amour », mais je les ai réorchestrées. Je n’en fais qu’à ma tête, c’est bien connu … La touche finale sera l’arrivée de toute la banlieue, avec une association qui s’appelle « Droit de cité ». Que des jeunes rappeurs blacks et beurs qui m’apportent leur culture et leur fraîcheur en m’accompagnant dans « Ella, elle l’a », « La Négresse blonde » et « Mademoiselle Tchang ». Le bonheur !

Journal France-Soir
Par Monique Prévot
Date : 10 septembre 1993

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