Michel Berger : l’adieu émouvant de France Gall et de leurs enfants

France Gall étreint la main de Pauline et de Raphaël. Comme pour mieux s’unir à ses enfants, au moment où le cercueil de Michel Berger va disparaître en terre.

En cette fin de matinée du 6 août au cimetière de Montmartre, déjà baigné de soleil, le silence aurait plu au chanteur trop tôt disparu, lui qui n’aimait les décibels que dans sa musique. La cérémonie sera brève, à peine le temps d’une face d’album, trente minutes. Émouvante, aussi. On ne peul s’empêcher d’avoir les larmes aux yeux face à France Gall, face à ses enfants, face à la mère de Michel Berger, face à sa sœur, tous assis pour écouter l’hommage si juste, si poétique, si tendre aussi, de Jacques Attali. Celui-ci n’est plus l’un des intellectuels les plus brillants de son époque, ni l’auteur de « Warburg » que diffuse TF1, mais l’ami sincère et vrai. Comme le veut la tradition juive, il ny a pas de cérémonie religieuse – seules des prières ont été faites au domicile du chanteur – mais les mots de Jacques Attali. Il n’y a pas de musique non plus, comme pour Balavoine à l’église Sainte-Eugénie de Biarritz, il y a six ans déjà. Seuls les cris d’une tourterelle troublent à peine le recueillement,

Michel Berger va reposer dans la même tombe que son frère aîné Bernard, architecte, artiste de talent, mort trop tôt lui aussi, presque au même âge que Michel des suites d’une sclérose en plaques et juste à côté de leur père, Jean Hamburger, disparu en février dernier.

Elle est admirable la dignité d’Annette Haas, mère de Michel et de Bernard, longtemps femme du professeur de médecine, devant ces existences que le destin lui a arrachées l’une après l’autre. Elle qui, en plus pianiste et concertiste, a transmis, dès l’aube de son enfance, la passion de la musique à Michel, qui lui a appris à jouer du piano assis. Au-delà de France Gall et des proches, ils sont nombreux à être venus saluer Michel Berger, les anonymes comme les plus connus. C’est l’adieu de toute une génération et finalement, l’on ne verrait pas sacrilège à ce qu’ils se mettent soudain à jouer de la musique … On se contentera des roses de l’amitié, déposées une à une sur le cercueil, déjà nappé de ces fleurs d’amour. Françoise Hardy, Véronique Sanson, Diane Tell, Maurane s’avancent. Puis Souchon, Voulzy, Simon, Jonasz, Johnny, Bruel, Hantson, Lenorman, Smaïn …

Fragile aussi, sachant mieux que quiconque ce que peut être le chagrin de France Gall et de ses enfants, Coco Balavoine, la femme de Daniel, si proche de Michel au nom du même humanisme, du même don de soi. Tandis qu’ils s’éloignent et que l’on a envie de crier à France Gall combien on la comprend, les couronnes de fleurs s’amoncèlent sur la tombe, à la dissimuler. Quand ces fleurs ne seront que poussière, nous resteront les chansons, la musique de Michel. Il nous a laissé, dans l’album « Double jeu » – ultime preuve d’amour pour France-, la chanson « Jamais partir ». Toute une génération aurait voulu la lui chanter. Par Vincent Balin / Photos de Marizy-Doumax-Croizard


Au hasard des interview, il disait …

« J’aime les villes mais j’aime encore davantage la nature. Je rêve de ces étendues blanches de l’Antarctique, de ces mondes de pureté, de silence. »

« J’aimerais parfois retrouver cette nature telle qu’elle était, avant que l’homme ne la pollue ou la détruise, sans penser qu’elle est son plus grand trésor. »

« Il y a des tas d’équipes. Médecins du monde, Médecins sans frontières. Quand on les voit sur place, c’est vraiment extraordinaire. C’est vraiment l’aventure moderne. Je comprends très bien que des jeunes ayant entre 15 et 20 ans soient fascinés. C’est une manière de vivre qui est en même temps une grande aventure humaine. »

« Il n’appartient pas aux chanteurs de prendre la place des hommes politiques et de proposer des solutions. Simplement, on peut jouer le rôle de fous du roi en nous servant de notre sensibilité pour réveiller les consciences et rassembler les énergies qui obligeront les politiques à prendre leurs responsabilités. »

« La chanson est un témoin de son temps, si on ne le sait, pas cela prouve qu’on se désintéresse de la société dans laquelle on vit, Il faut être solidement égoïste pour penser ça. »

« Mes chansons sont toutes écrites à partir d’une émotion. Je ne pourrais jamais travailler sur commande. »

« Avec France, pour « Double jeu », Il a fallu que nous abandonnions un peu nos personnalités pour devenir une seule et unique personne. Nous ne voulions pas qu’on reconnaisse nos voix. Il fallait que nous trouvions un son qui se mélange bien. »

« Avec cette vie de fou que je mène, je regrette bien sûr de ne pas voir grandir mes enfants. Mais pour le moment, je ménage la chèvre et le chou, en me consacrant tantôt à ma famille, tantôt à ma vie professionnelle. J’espère ne Jamais avoir à choisir entre elles. Sans la musique, je serais capable de me laisser mourir. Sans mes enfants … » (Ndlr: ces dernières années, Michel Berger se consacrait beaucoup plus à ses enfants).

« Je ne peux pas écrire pour une personne que je ne connais pas. Je ne peux pas créer une chanson artificiellement et la donner ensuite à Untel. Je veux concevoir un univers, me mettre à la place de l’autre. Ça m’amuse de m’identifier à une fille ou à un type comme Johnny complètement différent de moi. »


Jacques Attali, l’ancien conseiller du Président de la République, auteur de « Warburg » que diffuse TF1, était ami du chanteur. Comme il avait été celui de Balavoine et de Coluche. Il lui a rendu hommage sur sa tombe. A la demande de France Gall. Voici ses mots. Les mots du cœur.

Il est des mots qu’on donnerait tout pour ne pas avoir, jamais, à les dire; des noms qu’on ne voudrait jamais prononcer qu’en riant; des amis, très chers, qu’on voudrait ne pas voir ce matin, ici rassemblés.

Puisque tu as souhaité, chère France, que je dise quelques mots, je le ferai en notre nom à tous – Coco, Luc, Alain, René, Michel, Richard et tous les autres.

Je te dirai, à toi, à tes enfants, à sa mère, à sa sœur, notre chagrin, notre révolte, et si tu le veux bien, notre prière.

En le faisant, je pense d’abord à ceux qui l’ont précédé en son paradis blanc, comme pour l’y accueillir, son frère Bernard, son phare, son guide qu’il va rejoindre ici, et puis Daniel et puis l’autre Michel (allusion à Daniel Balavoine et Michel Colucci (Coluche)).

Pourquoi cette génération frappée ? Pourquoi tant d’hommes jeunes, généreux et pudiques, tendres et révoltés, disparus si absurdement ? Est-ce simplement le hasard, le monstrueux hasard ? Ou bien, comme un grand signe – il aurait dit peut-être un grand totem, tragique emblème énigmatiquement planté au cœur de notre génération. En tout cas, le totem de l’orage, pas celui de la bruine. Le totem de l’éclair, pas celui du brouillard.

Le signal, peut-être, de ce que la vérité est difficilement supportable en un monde d’artifice, de ce que l’exigence est inacceptable en un temps d’illusion.

Michel n’aurait pas aimé qu’on parlât de lui, en un tel moment, avec emphase, qu’on racontât une carrière, qu’on décrivît des sources d’inspiration ou qu’on fasse l’inventaire de ses succès.

Il n’aimait pas les mots inutiles. Il savait que la pudeur est la forme supérieure de la politesse.

En apprenant l’absurde nouvelle, un mot, d’abord, m’est venu à l’esprit, un mot qu’il aimait par-dessus tout : celui de fragilité. Tout ce qui est rare est fragile. Et Michel était rare, il était à part. Car s’il est rare qu’un artiste soit un juste, encore plus l’est-il qu’un juste soit un artiste. Et Michel était l’un et l’autre.

Au sens propre du mot, Michel était distingué. Distingué par ses dons, distingué par son travail, distingué par son ambition.

Michel ne voulait pas être une star, mais un artiste. Un artiste dure. Une étoile file.

Des millions de gens savaient déjà qu’il était un exceptionnel musicien, quand certains cherchaient encore avec rage dans quelle catégorie l’enfermer, dans quel hit-parade l’enfouir. Car son art est inclassable. Il fait du raffinement une vertu, de l’élégance une morale, de la rigueur un art de vivre. Sa musique, nourrie à tant de sources qu’elle régénérait, dira à jamais les couleurs d’une époque, qu’il voulait rendre un peu plus raffinée, un peu plus tolérante. Intellectuel (c’est son travail sur l’esthétique de la pop music qui nous a fait nous rencontrer, il y a seize ans), curieux de toutes les littératures, ouvert à tous les arts (son film « Totem » entièrement écrit, rêvé, image par image, reste à tourner), il détestait les phrases qui masquent les sentiments, les embrassades qui camouflent l’indifférence, les bravos lorsqu’ils ne disent que mondanités. Par toute son œuvre, Michel parlera longtemps de mille voix. Celles des hommes et des femmes de « Starmania », de « Jimmy », et des autres, ici et ailleurs, saltimbanques au laser aussi fragiles que ceux d’antan.

Plus tard, bien plus tard, on s’étonnera qu’un seul homme ait pu influencer si profondément le goût musical d’une génération toute entière. On comprendra alors que notre temps avait soif d’intelligence, de douceur et de raffinement. Et qu’il avait tout cela.

Lui, Pierrot lunaire, haussant les épaules, fuyait les certitudes, il n’était d’aucun clan, d’aucune bande. Il n’en avait ni le temps, ni le goût. Il avait trop le vague à l’âme du perfectionniste, la tristesse de celui qui se croit toujours inférieur à ses propres exigences, la passion de la vraie culture, celle qu’on cache et qu’on nourrit ; et la mesure de l’action véritable, celle qu’on mène, tenace en confidence.

Il ne critiquait pas l’envahissement de l’univers sonore européen par une sous-musique venue d’ailleurs, trop occupé qu’il était à donner ses couleurs à la musique française, à la faire chanter par les meilleurs, leur révélant leur propre voix et leur vérité intérieure.

II ne se désolait pas de la misère du monde, mais il aidait Michel Colucci à créer les Restos du cœur, et Bob Geldof à lancer Band Aid.

Il ne dissertait pas sur les vertus de l’amitié. Mais il retraversait l’Atlantique simplement parce que la voix d’un ami, à Paris, au téléphone, avait trahi quelques soucis qu’il voulut partager.

Chère France, rien de ce que je dis là ne se veut consolation. Il ne peut y en avoir. II ne doit pas y en avoir. Le temps est à la colère, à la rage, à la révolte.

Mais il aurait aimé qu’on vive cela avec élégance.

Il aurait eu tant de peine de faire de la peine ! …

Aussi, aurait-il voulu, je crois, qu’à ce moment, en pensant à lui, très intensément, dans le silence noir de notre chagrin, nous tentions, chacun à notre façon, de voyager dans l’univers de sa musique, là où les intolérables injustices et les abominables fragilités tissant la trame de la condition humaine s’effacent devant la couleur d’un mot, la forme d’une mélodie, le rythme d’une harmonie.

II aurait aimé, je crois, que la colère et la douleur qui nous habitent en cet instant laissent la place au calme et à la sérénité, que la tendresse des adultes apprenne, et c’est le plus difficile, à accompagner le deuil des enfants.

Chère Pauline, cher Raphaël, n’oubliez jamais que, pour ses amis, Michel sera toujours là, autrement.

Et qu’au-delà de l’intolérable énigme de la providence, qui donne et reprend à sa guise, son sourire, sa douceur, son regard, son art porteront à jamais, plus loin, le message de la lumière.

Magazine : Télé 7 Jours
Par Vincent Balin / Photos de Marizy-Doumax-Croizard
Par Jacques Attali
Numéro du 22 au 28 août 1992
Numéro : 1682

Merci à Elisabeth.

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